Urgence pour beaucoup d’entreprises, confrontées à une cessation ou à un ralentissement d’activités : que faire alors ?

 

Prudence aussi car beaucoup d’annonces gouvernementales ont entrainé beaucoup de déceptions ! Beaucoup d’entrepreneurs ont essuyé des refus de prise en charge au titre du chômage partiel…

 

Rappelons peut-être le processus en cours et ce que sont les ordonnances :

1) Des annonces gouvernementales qui n’auront de valeur juridique que par le biais de textes publiés : lois, ordonnances, décrets notamment.

2) Une loi qui a été publiée le 24 mars 2020 au Journal officiel :

2.1. Elle autorise le Gouvernement à prendre des ordonnances pour mettre concrètement en œuvre certaines des mesures annoncées.

2.2. La loi encadre les pouvoirs du Gouvernement en fixant des objectifs généraux à atteindre.

3) Des ordonnances vont être examinées en Conseil des ministres le 25 mars 2020 en vue de leur adoption :

3.1. Une ordonnance permet au Gouvernement de prendre des mesures relevant habituellement de la loi, et donc du Parlement. Elle s’applique dès sa publication mais doit aussi faire l’objet d’une loi de ratification, adoptée par le Parlement.

3.2. Elles vont concrétiser les mesures annoncées dans le cadre fixé par la loi.

 

Attention, beaucoup d’annonces ont été faites sur le contenu de ces ordonnances. Tant qu’elles ne sont pas publiées et définitives : prudence ! Souvenez-vous des épisodes précédents avec des ordonnances rectificatives et des ordonnances dites « balais ».

 

Il faut donc s’en tenir aux objectifs et aux certitudes liés à la loi publiée aujourd’hui. Sans exhaustivité, les mesures qui nous semblent essentielles sont :

  • Dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire d’une durée déterminée :
    • Le Premier ministre peut donc, par décret :
      • limiter ou interdire la circulation des personnes et véhicules,
      • ordonner des réquisitions de biens, services et personnes,
      • ordonner un contrôle temporaire des prix,
      • « prendre par décret toute autre mesure réglementaire limitant la liberté d'entreprendre, dans la seule finalité de mettre fin à la catastrophe sanitaire »,
  • Les mesures prises doivent être proportionnées et appropriées. 
  • Leur non-respect peut faire l’objet de sanctions pénales.
  • Au-delà d’un mois, l’état d’urgence sanitaire peut être prorogé par la loi.
  • Gel des délais : en matière administrative et judiciaire. A compter du 12 mars 2020 et dans un délai maximum de 3 mois, pour les délais « prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, déchéance d’un droit, fin d’un agrément ou d’une autorisation ou cessation d’une mesure, à l’exception des mesures privatives de liberté et des sanctions ».

ATTENTION, les mesures concrètes ne sont pas encore prises par ordonnances. Il faut donc être prudents quant au contenu des ordonnances qui seront prises pour atteindre les objectifs fixés par la loi.

  • Le Gouvernement est autorisé à prendre des ordonnances afin d’atteindre les objectifs suivants :
    • « limiter les ruptures des contrats de travail et d’atténuer les effets de la baisse d’activité, en facilitant et en renforçant le recours à l’activité partielle pour toutes les entreprises quelle que soit leur taille, notamment en adaptant de manière temporaire le régime social applicable aux indemnités versées dans ce cadre, en l’étendant à de nouvelles catégories de bénéficiaires, en réduisant, pour les salariés, le reste à charge pour l’employeur et, pour les indépendants, la perte de revenus, en adaptant ses modalités de mise en œuvre, en favorisant une meilleure articulation avec la formation professionnelle et une meilleure prise en compte des salariés à temps partiel ».
    • « d’adapter les conditions et modalités d’attribution de l’indemnité complémentaire prévue » en cas d’arrêt de travail.
    • « de permettre à un accord d’entreprise ou de branche d’autoriser l’employeur à imposer ou à modifier les dates de prise d’une partie des congés payés dans la limite de six jours ouvrables, en dérogeant aux délais de prévenance et aux modalités de prise de ces congés définis par les dispositions du livre Ier de la troisième partie du code du travail et par les conventions et accords collectifs applicables dans l’entreprise » : on notera la contradiction consistant à permettre à l’employeur d’imposer ou modifier mais avec un accord. C’est bien une négociation aboutissant à un accord qui peut permettre à l’employeur d’aménager les congés payés. Dans les petites entreprises, et en l’absence d’accord, on ne peut que recommander de parvenir à un accord individuel avec les salariés pour parvenir à des solutions permettant de maintenir les emplois, tout en préservant les droits aux congés et repos, et donc le droit à la santé, « exigences constitutionnelles » rappelons-le…
    • « de permettre à tout employeur d’imposer ou de modifier unilatéralement les dates des jours de réduction du temps de travail, des jours de repos prévus par les conventions de forfait et des jours de repos affectés sur le compte épargne temps du salarié, en dérogeant aux délais de prévenance et aux modalités d’utilisation définis au livre Ier de la troisième partie du code du travail, par les conventions et accords collectifs ».
    •  « de permettre aux entreprises de secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation ou à la continuité de la vie économique et sociale de déroger aux règles d’ordre public et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical » : à ce jour, ces secteurs ne sont pas déterminés. Si certains paraissent évidents, tels que les commerces alimentaires ou les officines de pharmacie, ces notions restent, à ce jour, particulièrement floues… Pour autant, une clarification parait indispensable et relativement urgente, pour les employeurs comme pour les salariés.
    • « de modifier, à titre exceptionnel, les dates limites et les modalités de versement des sommes versées au titre de l’intéressement et au titre de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat ».
    • « de modifier les modalités d’information et de consultation des instances représentatives du personnel, notamment du comité social et économique, pour leur permettre d’émettre les avis requis dans les délais impartis, et de suspendre les processus électoraux des comités sociaux et économiques en cours » : ces mesures vont faire couler beaucoup d’encre. S’il s’agit de mettre en place des visioconférences, cela sera probablement jugé comme proportionné aux objectifs à atteindre. S’il s’agit de réduire au silence les institutions représentatives du personnel, cela posera une difficulté juridique majeure. Là encore, tout sera affaire d’équilibre, difficile à trouver en ce moment.
  •          En matière économique :
    • « D’aide directe ou indirecte à ces personnes dont la viabilité est mise en cause, notamment par la mise en place de mesures de soutien à la trésorerie de ces personnes ainsi que d’un fonds dont le financement sera partagé avec les régions, les collectivités relevant de l’article 74 de la Constitution, la Nouvelle-Calédonie et toute autre collectivité territoriale ou établissement public volontaire »
    • « dans le respect des droits réciproques, les obligations des personnes morales de droit privé exerçant une activité économique à l’égard de leurs clients et fournisseurs ainsi que des coopératives à l’égard de leurs associés-coopérateurs, notamment en termes de délais de paiement et pénalités et de nature des contreparties, en particulier en ce qui concerne les contrats de vente de voyages et de séjours ».
    • « Permettant de reporter intégralement ou d’étaler le paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux et de renoncer aux pénalités financières et aux suspensions, interruptions ou réductions de fournitures susceptibles d’être appliquées en cas de non-paiement de ces factures, au bénéfice des microentreprises, au sens du décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008 relatif aux critères permettant de déterminer la catégorie d’appartenance d’une entreprise pour les besoins de l’analyse statistique et économique, dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie ».

 

A RETENIR :

  • Le juge reste et restera garant des droits et libertés fondamentaux.
  • Les ruptures du contrat de travail en cette période seront examinées avec une probable suspicion de la part des juges, à l’exception des ruptures disciplinaires. La prudence est donc de mise.
  • L’employeur reste soumis à l’obligation de sécurité vis-à-vis de ses salariés. Il doit donc concilier cette obligation avec, parfois, la poursuite voire la survie de l’entreprise : la ligne de crête est étroite.
  • Le droit de retrait n’est ni une science exacte ni une injonction gouvernementale : il relève de la seule appréciation du juge en cas de conflit ! Là encore, la pédagogie et les échanges entre employeurs et salariés seront le meilleur moyen de parvenir à une solution viable pour toutes et tous.
  • Les abus, dans tous les domaines, consistant à pénaliser des partenaires économiques et sociaux sans motif, seront probablement sévèrement examinés par les juges.