La loi du 5 mars 2007 a renforcé la prohibition de l’opposition d’intérêts en lui consacrant un texte général, mais aussi en introduisant des présomptions d’opposition d’intérêts pour renforcer la vigilance des juges et des notaires (notamment pour la vente d’immeuble ou le bail conclu au profit du tuteur ou curateur).

Puis, l’opposition d’intérêts a été étendue aux habilitations familiales.

Cependant, le législateur n’a pas défini l’opposition d’intérêts qui est appréciée au cas par cas.

En tout état de cause, la protection juridiquue d'une personne vulnérable est instaurée et assurée dans le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne.

Elle a pour finalité l'intérêt de la personne protégée. Elle favorise, dans la mesure du possible, l'autonomie de celle-ci (C. civ. art. 425).

Dès lors, la personne habilitée a le pouvoir de définir l’intérêt de la personne protégée, sauf en présence d’une opposition d’intérêts.

C’est pourquoi, la personne habilitée agirait en opposition d’intérêts si elle se laissait perturber par un autre intérêt que celui dont elle a reçu la charge (le sien, ou celui de ses enfants par exemple).

En droit

Lorsque l'accomplissement d'un acte place la personne protégée et la personne dotée d'une habilitation générale en conflit d'intérêts, l'article 494-6 alinéa 6 du Code civil prévoit l'interdiction de passer cet acte.

Le juge peut toutefois, exceptionnellement, autoriser la personne habilitée à accomplir cet acte lorsque l'intérêt du majeur vulnérable l'impose.

Le juge statue à la demande de tout intéressé ou du procureur de la République sur les difficultés qui pourraient survenir dans la mise en œuvre du dispositif.

Il est deux hypothèses dans lesquelles le juge peut décider de mettre fin à l'habilitation.

Hypothèse 1 : Lors d'une instance visant à statuer sur les difficultés survenues dans la mise en œuvre du dispositif, le juge des tutelles peut décider à tout moment de mettre fin à l'habilitation, après avoir toutefois entendu ou appelé la personne bénéficiaire de la mesure, si son état le permet (C. civ. art. 494-10 al. 2).

Hypothèse 2 : Le juge des tutelles peut ordonner la mainlevée à la demande d'une des personnes autorisées à demander la mise en place de la mesure lorsqu'il s'avère que les conditions de l'habilitation ne sont plus réunies « ou lorsque l'exécution de l'habilitation familiale est de nature à porter atteinte aux intérêts de la personne protégée. » (C. civ. art. 494-11, 2°).

La jurisprudence

Citons à titre d’exemple, le cas d'un homme ayant deux enfants majeurs. Son fils dépose une requête aux fins d'ouverture d'une mesure de protection juridique. Le juge des tutelles place l'octogénaire sous sauvegarde de justice et attribue à sa fille un mandat spécial. À la suite de leur audition, le fils et la fille demandent que leur père bénéficie d'une habilitation familiale générale. La mesure est ouverte pour 10 ans et le juge attribue à la fille un pouvoir général de représentation.

Mais par la suite, le fils fait état d'un certain nombre de dysfonctionnements que confirme l'audition judiciaire de la personne habilitée.

Sur l'avis confirmatif du procureur de la République, le juge des tutelles révoque donc l'habilitation et ouvre une mesure de tutelle au profit de la même personne protégée, dont voici un extrait :

 « Attendu [...] qu'il convient de mettre fin à l'habilitation familiale générale confiée à Mme X. ;

Que la discorde entre les deux enfants de M. X. [père] ne permet pas de désigner l'autre enfant pour le représenter dans le cadre d'une habilitation familiale que, d'ailleurs, M. X. [fils] a déclaré n'accepter d'être tuteur qu'après la vente du domicile de [son père] ;

Attendu qu'il est établi par l'ensemble du dossier et plus spécialement par les éléments médicaux que M. X. [père] a, de ce fait, besoin d'être représenté d'une manière continue dans les actes de la vie civile, tant en ce qui concerne l'exercice de ses intérêts patrimoniaux que la protection de sa personne, qu'il convient d'ouvrir une mesure de tutelle ;

[...] Attendu qu'aucun membre de la famille ou proche ne peut assumer la tutelle à l'égard de M. X... [père], il y a lieu de désigner... [un] mandataire judiciaire à la protection des majeurs... en qualité de tuteur »*.

La mainlevée de l'habilitation familiale générale et l’ouverture d’une tutelle

Le juge a mis fin à l'habilitation familiale générale car la personne habilitée avait dépassé, par deux fois, les limites de son pouvoir de représentation, en concluant des actes sans requérir l'autorisation du juge des tutelles.

D'une part, celle-ci avait donné la voiture de son père à sa propre fille, sans requérir l'autorisation du juge, comme le lui ordonnait pourtant la loi pour tout acte à titre gratuit.

D'autre part, la personne habilitée avait donné à bail le logement de la personne protégée à sa propre fille et à son gendre, pour un loyer modique, alors que tout acte de disposition du logement de la personne protégée requiert également l'autorisation du juge des tutelles.

De surcroît, chacun de ces actes était suspect dès lors que la personne habilitée était mue par l'intérêt de ses propres enfants au lieu de l'être exclusivement par l'intérêt de la personne protégée.

L'opposition d'intérêts aurait ainsi dû conduire la personne habilitée à saisir le juge des tutelles non pas pour se faire remplacer, comme dans le droit commun, mais pour obtenir l'autorisation de conclure l'acte, à condition que celui-ci soit conforme à l'intérêt de la personne protégée.


Claudia CANINI

Avocat au Barreau de TOULOUSE - Droit des majeurs protégés

www.canini-avocat.com


* Tribunal d’instance de CAEN, 10-10-2017 n°16-21.973