Les procédures de mise sous protection juridique, à l'instar de la tutelle, soulèvent des questions cruciales concernant les droits fondamentaux des personnes concernées. Parmi ces droits, celui d'être entendu occupe une place centrale, fermement ancré dans la loi et précisé par la jurisprudence. Penchons-nous sur les contours de cette garantie essentielle.

I. Le Fondement Légal et la Portée du Droit d'Être Entendu

L'article 432 du Code civil constitue le pilier de ce droit, en conférant expressément à la personne faisant l'objet d'une procédure de tutelle la prérogative d'être entendue par le juge des tutelles. La jurisprudence a consacré le caractère d'ordre public de cette exigence (Cass. 1re civ., 20 novembre 1979, n° 78-10.369), soulignant ainsi son caractère impératif pour le magistrat. La violation de ce droit emporte de lourdes conséquences juridiques. La Cour de cassation a clairement établi que son non-respect entache la procédure d'irrégularité et, par conséquent, la mesure de protection éventuellement prononcée (Cass. 1re civ., 13 juillet 2004, n° 01-14.506). Cette jurisprudence met en lumière l'importance procédurale de l'audition, garante du respect des droits de la défense et du principe du contradictoire.

II. Les Modalités de Mise en Œuvre du Droit d'Être Entendu

Le Code de procédure civile (CPC) prévoit des dispositions visant à assurer l'exercice effectif de ce droit fondamental.

•    Facilitation de l'Audition : L'article 1220 du CPC offre au juge des tutelles, ainsi qu'aux conseillers en cas d'appel, la possibilité de se déplacer pour procéder à l'audition. Cette disposition s'avère particulièrement précieuse lorsque la personne concernée rencontre des difficultés de mobilité. Cependant, la mise en œuvre de cette faculté est variable. Si certains juges des tutelles n'hésitent pas à se rendre au domicile des personnes concernées ou dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), d'autres peuvent se montrer plus réticents en raison de leur charge de travail. Il serait pertinent d'encourager une systématisation de ces déplacements lorsque cela est dans l'intérêt de la personne à protéger.

•    Lieu de l'Audition : L'article 1220-1 du CPC précise que l'audition peut se dérouler au siège du tribunal, au lieu de résidence habituel de la personne protégée, dans l'établissement où elle est hébergée ou traitée, ou dans tout autre lieu jugé approprié. Le choix du lieu doit impérativement être guidé par l'intérêt supérieur de la personne à protéger, en tenant compte de son état de santé et de son bien-être.

 •    Conditions de l'Audition : L'audition doit se dérouler dans un cadre respectueux de la santé et des intérêts de la personne. C'est pourquoi elle se tient à huis clos (CPC, art. 1220-1). Le juge a la faculté d'entendre la personne en présence de son médecin traitant ou de toute autre personne dont la présence lui semble bénéfique. L'avocat de la personne faisant l'objet de la procédure a le droit d'assister à cette audition et doit être informé de la date et du lieu, au même titre que le procureur de la République. En pratique, les juges disposent d'un pouvoir d'appréciation souverain quant à l'opportunité de la présence d'un tiers. Ainsi, il arrive que certains juges refusent la présence d'une personne de confiance (membre de la famille ou ami de longue date) pour accompagner la personne à protéger lors de cette étape cruciale. cette décision n'est pas susceptible de recours. III. Les Limites au Droit d'Être Entendu Le droit du majeur protégé (ou à protéger) d'être entendu n'est pas absolu et connaît des limites clairement définies par la loi et interprétées par la jurisprudence.

•    Exceptions Légales : Les articles 432 du Code civil et 1220-3 du CPC prévoient des exceptions à l'obligation d'audition. Le juge peut ainsi décider de ne pas procéder à l'audition si celle-ci est contraire aux intérêts du majeur vulnérable, notamment en raison des risques d'atteinte à sa santé, ou si ce dernier est hors d'état d'exprimer sa volonté.

•    Obligations du Juge en Cas d'Exception : Dans ces situations exceptionnelles, le juge est tenu de rendre une décision spécialement motivée, exposant les raisons pour lesquelles l'audition n'a pas eu lieu. Cette décision doit impérativement être précédée d'un certificat médical émanant d'un médecin inscrit sur la liste prévue par l'article 431 du Code civil et doit être notifiée à la personne ayant sollicité l'ouverture de la mesure, ainsi qu'à l'avocat du majeur (CPC, art. 1220-2).

•    Application à l'Organisation des Relations Personnelles : La Cour de cassation a étendu l'obligation d'entendre ou d'appeler le majeur protégé aux requêtes relatives à l'organisation de ses relations personnelles avec des tiers (Cass. 1re civ., 24 juin 2020, n° 19-15.781, sur le fondement de l'article 459-2 du Code civil), soulignant l'importance de sa voix dans toutes les décisions le concernant directement.

IV. Tempéraments Jurisprudentiels

La jurisprudence a apporté des nuances importantes à l'application stricte du droit d'être entendu.

•    Représentation par Avocat : La Cour de cassation a statué qu'une cour d'appel n'est pas tenue d'entendre la personne protégée ni de motiver son absence de comparution dès lors qu'il ressort des éléments de la procédure que cette personne a été régulièrement convoquée et est représentée par un avocat (Cass. 1re civ., 24 juin 2020, n° 19-15.781). Cette décision met en évidence le rôle de l'avocat comme garant des droits de la personne protégée.

•    Convocation Infructueuse : Dans une décision antérieure, la Cour de cassation avait admis qu'un juge des tutelles pouvait légitimement ouvrir une mesure de tutelle sans procéder à l'audition de la personne à protéger, dès lors qu'il l'avait convoquée à deux reprises sans succès et qu'un procès-verbal de carence avait été établi et n'avait pas été contesté (Cass. 1re civ., 24 novembre 1998, n° 96-17.475). Cette jurisprudence souligne la nécessité de ne pas paralyser la procédure en cas de refus manifeste de la personne de se présenter.

V. Un Droit Connexe Essentiel : Le Droit de Consulter le Dossier

Il est crucial de rappeler que, parallèlement au droit d'être entendu, le majeur faisant l'objet d'une procédure de tutelle dispose également du droit fondamental de consulter son dossier. Cette consultation lui permet de prendre connaissance des éléments qui seront pris en compte par le juge dans sa décision.

Conclusion

Le droit d'être entendu constitue une garantie procédurale fondamentale dans les procédures de tutelle.

La loi et la jurisprudence ont établi un cadre précis pour son exercice, tout en prévoyant des exceptions et des ajustements nécessaires pour tenir compte de la diversité des situations individuelles.

Une compréhension approfondie de ces dispositions et de leur application jurisprudentielle est essentielle pour appréhender pleinement les enjeux liés à la protection juridique des majeurs vulnérables et garantir le respect de leurs droits fondamentaux.


Claudia CANINI

Avocat - Droit des majeurs protégés

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