Le 30 décembre 2019, le Défenseur des droits a publié une décision révélant que certaines personnes âgées en EHPAD ont subi des "atteintes à leurs droits fondamentaux en raison de leur perte d'autonomie et ont subi des agissements ayant pour effet de porter atteinte à leur dignité et de créant un environnement hostile, dégradant et humiliant, caractérisant l'existence d'une discrimination".
La réclamation émanait de la fille d’une résidente dénonçant les conditions de prise en charge de sa mère, au sein d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).
Quels étaient les faits visés par l’enquête par le Défenseur des droits ?
Les principaux événements rapportés concernaient :
- L’absence de signature du contrat de séjour par la personne accueillie ;
- L’absence de personnel qualifié ;
- Le manque de temps pour prendre soin des résidents ;
- Des cas de déshydratation et de dénutrition ; des erreurs et des retards dans l'administration des médicaments ;
- Une insuffisance de soins d'hygiène avec des changes effectués uniquement deux fois par jour et une rupture de stock des protections ayant obligé le personnel à emmailloter les résidents à l'aide de draps et de sacs poubelle ;
- L’absence de réponse, notamment la nuit, aux appels des résidents ; les pertes à répétition d'appareils auditifs et dentaires ;
- L’épuisement des professionnels.
Les agents du Défenseur des droits ont donc procédé à des auditions (Direction régionale de l’EHPAD, médecin coordonnateur, infirmier, médecin traitant ..).
À cette occasion, une photographie leur a été remise montrant la porte de chambre d'un résident bloquée de l'extérieur par un drap noué autour de la poignée, empêchant ainsi le résident de sortir.
Une vérification inopinée dans les locaux de l'EHPAD a été opérée.
Le résultat - avant même les ravages du Covid-19 au sein des EHPAD - est accablant.
Dans sa décision, le Défenseur des droits rappelle que :
« Les gestes involontaires ou inconscients - actes commis ou situations qui s'installent par l'effet de l'ignorance, de l'incompétence, de l'impuissance et de l'épuisement du personnel - peuvent être constitutifs de faits de maltraitance, tout comme les actes résultant de la carence d'organisation et du manque de moyens de l'établissement, signes d'une maltraitance institutionnelle » (V. l'avis du Défenseur des droits n° 18-24 sur la maltraitance des enfants et la maltraitance institutionnelle à l'égard des personnes dépendantes, 11 octobre 2018.) .
Ainsi, "les actes de maltraitance commis à l'égard de personnes en perte d'autonomie accueillies en EPHAD, ayant eu pour effet de porter atteinte à leur dignité et de créer à leur égard un environnement hostile, dégradant et humiliant, sont constitutifs d'une discrimination au sens de l'article 1er alinéa 3 de la loi du 27 mai 2008".
a) Défaut de consentement du résident au séjour en EHPAD
Le Défenseur des droits a estimé que l'EHPAD n'avait pas respecté la procédure de conclusion du contrat de séjour, telle qu'établie par la loi. Or, c'est précisément cette pratique qui protège la personne accueillie, avec des dispositifs propres à garantir le respect de ses droits fondamentaux. La personne en perte d'autonomie demeure titulaire de ses droits et une attention particulière est nécessaire pour garantir l'exercice effectif de ses droits fondamentaux.
Au vu de ces éléments, le Défenseur des droits a relevé qu'en n'ayant pas recherché le consentement de la résidente lors de son accueil au sein de l'établissement, la direction de l'EHPAD a porté atteinte à ses droits fondamentaux en raison de sa perte d'autonomie, ce qui est constitutif d'une discrimination.
Sur le plan financier, ajoutons que le défaut de signature est susceptible d’entrainer le prononcé de la nullité par le tribunal judiciaire et de ce fait l’annulation des frais de séjour réclamés par l’EHPAD.
b) Sur les graves négligences relatives à la prise en charge médicale, paramédicale et hôtelière
La requérante a déploré que « le manque de personnels soignants qualifiés entraîne une insuffisance de soins. Le personnel n'a pas le temps de s'occuper de ma mère, pas le temps suffisant pour faire les toilettes, certains personnels ne savent rien faire, des auxiliaires de vie exercent les tâches des aides-soignants ».
Elle a également relaté que le personnel n'était pas disponible pour faire déjeuner les résidents incapables de se nourrir seuls et que certains résidents faisaient des fausses routes alimentaires de façon régulière.
L'instruction du Défenseur des droits a confirmé que la prise en charge des résidents, affectée par de graves négligences professionnelles, ne se déroulait pas dans le respect de la personne et de ses droits tels que consacrés par l'article L. 311-3 du CASF et la Charte des droits et libertés de la personne accueillie.
Ainsi, les résidents ne bénéficiaient pas de soins et d'un accompagnement adapté à leurs besoins, que cela soit en matière d'hydratation, d'alimentation ou de toilette.
Selon les parents de résidents entendus, il existait un nombre important de vacataires, lesquels étaient moins formés et moins investis dans leurs missions. Ils ont par ailleurs indiqué que, lors des visites, les résidents se plaignaient systématiquement d'avoir soif ; à de nombreuses reprises, les résidents n'avaient pas de verre ou de gobelet à leur disposition, le personnel n'ayant pas le temps de le leur fournir.
Sous réserve d’un éventuel recours devant la Cour d’appel, il a été jugé par le tribunal judiciaire :
« que la société Z n'a pas mis en œuvre les moyens humains et matériels adéquats [permettant à la résidente] de bénéficier des soins attentifs et irréprochables que son état exigeait» et que «le manque d'attention et l'insuffisance d'accompagnement, le défaut de surveillance et la carence dans l'administration de soins d'hygiène corporels et médicaux, appropriés à l'état de handicap de Madame Y, lui ont nécessairement occasionné des souffrances d'ordre psychologique et physique ».
Le Défenseur des droits rappelle qu’une prise en charge de qualité et un accompagnement individualisé, qui tiennent compte de l'état physique et psychologique de la personne accueillie, s'inscrivent dans la recherche de son bien-être.
À l'inverse, le non-respect de tels droits fondamentaux crée des situations de maltraitance ; les négligences dans l'aide à la vie quotidienne des résidents ont pour effet de porter atteinte à leur dignité et de créer à leur égard des conditions d'accueil défavorables.
Le Défenseur des droits en a conclu que "cette atteinte aux droits fondamentaux et, par conséquent, à la dignité des résidents de l'EHPAD est de nature à créer, au sein de la structure mise en cause, un environnement hostile, dégradant et humiliant à leur encontre".
Selon le Défenseur des droits tous ces faits ont été facilités ou rendus possibles par la vulnérabilité liée à la perte d'autonomie des personnes accueillies. En effet, les détresses physiques et/ou psychiques rapportées sont nées des relations d'accompagnement des résidents, leur situation de dépendance les rendant d'autant plus vulnérables.
c) Sur la liberté d'aller et venir et le signalement d'un événement indésirable grave
Au sujet de la photographie montrant la porte d'une chambre d’un résident, bloquée de l'extérieur par un drap noué autour de la poignée, l’enquête a permis de déterminer qu’elle avait été prise au sein de l'unité protégée de l'EHPAD.
Le Défenseur des droits a considéré que de tels agissements, constitutifs d'une atteinte à la liberté d'aller et venir des personnes accueillies, subis par un résident de l'unité protégée dédiée à l'accueil des malades Alzheimer ou apparentés, présentant de ce fait une particulière fragilité, étaient de nature à compromettre sa santé, sa sécurité ainsi que son bien-être physique ou moral.
Autant de manquements susceptibles d'engager la responsabilité civile des sociétés exploitant les établissements d'hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD).
- Plusieurs recommandations ont été adressées à la direction de la société gérante de l’EHPAD
- prendre les mesures appropriées afin de garantir le respect des droits et libertés fondamentaux des résidents accueillis dans ses structures ;
- saisir son Conseil scientifique et éthique sur la thématique « Respect de la liberté d'aller et venir en EHPAD et procédures de contention » et de faire part au Défenseur des droits des résultats de ses travaux ;
- engager des actions d'amélioration au sein des EHPAD du groupe concernant, d'une part, la formation de l'ensemble du personnel à l'identification et à la gestion des situations à risque de maltraitance et, d'autre part, à la clarification des rôles et des responsabilités de chacun s'agissant du signalement, de la remontée et du partage d'informations au sein de) la gouvernance ;
Enfin, le Défenseur recommande à l'ARS (Agence Régionale de Santé) et au conseil départemental de mener, au cours de l'année 2020, une visite inopinée au sein de l'EHPAD afin de contrôler l'effectivité de la mise en œuvre des mesures propres à garantir le respect des droits fondamentaux des personnes accueillies, tels que rappelés dans la présente décision, et des procédures relatives aux événements indésirables graves, et d'en rendre compte au Défenseur des droits.
Claudia CANINI, Avocat – Droit des majeurs protégés
Sources : Défenseur des droits 30 décembre 2019, n° 2019-318
Sur le sujet de la responsabilité civile des EHPAD : Respect de la dignité des personnes âgées en EHPAD sous le contrôle des juges
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