Voici une décision motivée rendue par la Cour d'appel de PARIS qui, à l'occasion d'une demande de révocation d'un mandat de protection future, rappelle à ceux qui auraient tendance à l'oublier, que seul l'intérêt du majeur protégé compte.

La protection juridique des personnes majeures

Toute personne dans l'impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d'une altération, médicalement constatée, soit des facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l'expression de sa volonté peut bénéficier d'une mesure de protection juridique (C. civ. art. 425 et 428).

Cette mesure ne peut être ordonnée par le juge qu'en cas de nécessité et lorsqu’il ne peut être pourvu suffisamment aux intérêts de la personne par l'application des règles du droit commun de la représentation (...) par une autre mesure judiciaire moins contraignante ou par le mandat de protection future conclu par l'intéressé ; elle doit être proportionnée et individualisée en fonction du degré d'altération des facultés personnelles de l'intéressé.

Définition du mandat de protection future

Toute personne majeure ne faisant pas l'objet d'une mesure de tutelle ou d'une habilitation familiale peut charger une ou plusieurs personnes, par un même mandat, de la représenter pour le cas où, pour l'une des causes prévues à l'article 425, elle ne pourrait plus pourvoir seule à ses intérêts.

[...] Le mandat est conclu par acte notarié ou par acte sous seing privé. [...]

Lorsque le mandant n’est plus en état de pourvoir à ses intérêts, il appartient au mandataire désigné de faire constater sa prise d'effet par le greffier du tribunal, en produisant un certificat d'un médecin inscrit.

La fin du mandat de protection future

La révocation est prononcée par le juge des tutelles à la demande de tout intéressé, lorsque l'exécution du mandat est de nature à porter atteinte aux intérêts du mandant. (C. civ. art. 483).

Par ailleurs, tout intéressé peut saisir le juge des tutelles aux fins de contester la mise en œuvre du mandat ou de voir statuer sur les conditions et modalités de son exécution (C. civ. art. 484).

Enfin une mesure de protection ne doit être ouverte que, si le mandat de protection future s'avère insuffisant pour protéger la personne souffrant d'une altération de ses facultés mentales (C. civ. art. 485).

Dans cette affaire, le mandat signé entre les parties a été établi par acte sous seing privé et limité, quant à la gestion du patrimoine, aux actes qu'un tuteur peut faire sans autorisation. M. X. a confié l’exercice de ce mandat à sa sœur et à son mari.

Dès lors les règles de l’article 426 du Code civil en faveur de la protection du logement s’imposaient aux mandataires :

"S'il devient nécessaire ou s'il est de l'intérêt de la personne protégée qu'il soit disposé des droits relatifs à son logement ou à son mobilier par l'aliénation, la résiliation ou la conclusion d'un bail, l'acte est autorisé par le juge (…).

Si l'acte a pour finalité l'accueil de l’intéressé dans un établissement, l'avis préalable d'un médecin n 'exerçant pas une fonction ou n'occupant pas un emploi dans cet établissement est requis.

Dans tous les cas, les souvenirs, les objets à caractère personnel, ceux indispensables aux personnes handicapées ou destinés aux soins des personnes malades sont gardés à la disposition de l'intéressé, le cas échéant par les soins de l'établissement dans lequel celui-ci est hébergé".

L’appréciation par les juges de l’intérêt du majeur protégé

Or, alors que le mandat de protection future était activé et M. X. a été placé en EHPAD par son beau-frère et sa sœur. Son appartement a été vidé et loué.

Des effets personnels et mobiliers auxquels il tenait, ont été vendus par un commissaire-priseur.

Lors de son audition devant le juge des tutelles, il a exprimé sa colère à propos de "la dilapidation de son patrimoine" et, son souhait de quitter l'EHPAD.

Il s'est plaint du fait que "son appartement était squatté" et a déclaré "qu'il était blessé à mort par rapport à l'histoire de son appartement."

Au vu des constatations, M. X. s'est vu imposé un accueil en et, alors même que le certificat médical du Dr Y. mentionnait que l'aliénation de ses droits relatifs au logement serait de nature à porter préjudice à sa santé et faisait état de sa souffrance psychique liée l'institutionnalisation le certificat médical mentionnait la possibilité de rester et que les placements financiers notamment en assurance vie permettaient ce maintien à domicile.

Dans ces conditions, il convient de dire qu'en disposant du logement principal, de la résidence secondaire, des biens mobiliers et biens personnels de M. X., sans autorisation judiciaire, en violation des dispositions légales, le mandataire n'a pas respecté ses obligations contractuelles.

Ce dysfonctionnement suffit à établir que le mandat de protection future ne garantit pas suffisamment les intérêts personnels et patrimoniaux du majeur à protéger.

De même, les conditions d'exercice du mandat sans regard extérieur, sous seul contrôle de la sœur de M. X., elle-même légataire universelle de son frère, personne à protéger et, bénéficiaire des assurances vies, ne peuvent qu'être génératrices de conflits d'intérêts lors des arbitrages nécessaires à l'administration du patrimoine.

Enfin, c'est à tort qu'après avoir relevé que M. X. exprimait désormais son refus de voir son beau-frère et sa sœur gérer ses affaires, propos réitérés lors de ses 2 auditions et également devant les médecins, le juge des tutelles n'en a pas tenu compte.

L'ensemble de ces éléments conduit à infirmer le jugement critiqué, et à ordonner la révocation du mandat de protection future.

L'altération des facultés mentales de M. X. est médicalement constatée et il n'est contesté par personne qu'il est nécessaire qu'il puisse bénéficier d'une mesure de représentation pour préserver ses intérêts. Il convient donc de le placer sous mesure de tutelle.

Compte tenu des conflits familiaux et amicaux dont M. X. est l'enjeu et les situations génératrices de conflits d'intérêts, il convient de designer un mandataire extérieur, seul à même d'exercer la mesure de tutelle dans le seul intérêt du majeur protégé.

C’est en ce sens que les juges ont apprécié l'intérêt du majeur protégé dans cette décision (Cour d'appel de PARIS -  02 mars 2021 - n° 19/18583), sous réserve d'un éventuel pourvoi en cassation.


Claudia CANINI

Avocat à la Cour - Droit des majeurs protégés

www.canini-avocat.com