Puisse le combat de nombreuses familles de résidents en Ehpad[1], relayé par la Presse, soit enfin suivi d’effet … Aujourd’hui, nous apprenons l’audition du Directeur Général d’un Groupe gérant une chaîne de maisons de retraite et attendons avec intérêt le résultat des investigations.

Pour illustrer cette actualité, voici un témoignage parmi tant d’autres…

1. En mars 2021, face à leurs vives inquiétudes quant aux souffrances endurées par les personnes âgées accueillies au sein de l’EHPAD X un collectif de familles de résidents a décidé d’alerter différentes autorités (Présidence de la République, Préfecture, Président du Conseil Départemental, Maire, Députée, Défenseure des droits…).

2. Ce courrier faisait suite à de vaines réclamations auprès de la direction de ce Groupe à la tête de nombreux EHPAD (dont nous tairons le nom), du personnel médical mais aussi à un premier signalement de résidents en danger adressé à l’ARS, sans réponse.

3. Sur impulsion des autorités alertées, l’ARS a finalement entrepris une mission d’inspection au sein de l’EHPAD X, puis a proposé aux familles « un temps d’échanges » organisé dans ses locaux, quelques mois plus tard.

4. Alors que la prise en charge des personnes accueillies au sein de l’EHPAD X s’était encore lourdement dégradée, le résultat de cet échange fut décevant.

En effet, il a été précisé aux familles qu’à défaut d’obligations légales en termes de taux d’encadrement du personnel au chevet, de qualification professionnelle et de transparence vis-à-vis des résidents et/ou de leur personne de confiance, il n’y avait guère d’espoir d’améliorer la qualité de la prise en charge de leurs parents.

Quant au contrôle du respect de la législation du travail en termes de santé et sécurité du personnel (DUERP) et de recours aux CDD par l’intermédiaire d’une société d’intérim, seule l’Inspection du travail est habilitée à contrôler.

Invoquant la confidentialité de l’inspection, l’ARS n’a pas précisé si elle avait elle-même décidé de saisir l’inspection du travail. Quoiqu’il en soit, si les familles saisissaient elles-mêmes l’inspection du travail, il n’était pas certain qu’elles obtiennent une réponse en raison de l’importante charge de travail de cette autorité…

Il a été expliqué aux familles que la procédure d’inspection n’était pas contradictoire à leur égard, elles n’en connaitront donc ni la teneur, ni le résultat. Les familles ne seront pas davantage informées du dépôt du rapport destiné au seul Président de l’ARS.

6. Pourtant le constat existe : les résidents de l’EHPAD X étaient en détresse absolue dans l’indifférence absolue des autorités et moyennant un coût mensuel d’hébergement de 3 850 euros.

Des dysfonctionnements connus des autorités

7. Depuis un an, les membres du collectif mènent en vain des actions destinées à remédier aux graves dysfonctionnements qui nuisent à la qualité de la prise en charge des résidents.

La situation des personnes accueillies au sein de cet EHPAD a continué à se dégrader et il ne s’agit pas un cas isolé.

En effet, ces carences et dérives connues sont décrites et analysées dans les rapports d’information présentés à l’Assemblée Nationale en 2018 auxquels plusieurs députées ont pris part, en formulant à l’issue de leurs travaux au total 48 propositions législatives, parmi lesquelles :

« Rendre opposable une norme minimale d’encadrement en personnel « au chevet « (aides-soignants et infirmiers) de 60 ETP pour 10 résidents, dans un délai de quatre ans maximum, ce qui vient doubler le taux d’encadrement actuel ».

De plus, à l’issue de la concertation ministérielle lancée en octobre 2018 un rapport contenant 175 propositions pour une politique nouvelle et forte du grand âge en France a été remis au Gouvernement[2]. Reporté à maintes reprises, le projet de loi élaboré est récemment abandonné.

8. Les dysfonctionnements dénoncés ont également été identifiés dans le rapport de la Défenseure des Droits intitulé « Droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en EHPAD » du 29 avril 2021 adressant également 64 Recommandations à l’attention des ministères concernés[3]:

S’agissant du contrôle administratif de l’ARS, la Défenseure des droits constate que :

« Lorsque les évaluations pointent des défaillances importantes ou que les contrôles mettent en évidence des difficultés telles qu’une amélioration suffisante des conditions d’accueil et de prise en charge n’est pas envisageable, la sécurité des résidents doit pouvoir conduire à la fermeture de l’établissement ou du service. Or, qu’il s’agisse du retrait ou du non-renouvellement de l’autorisation, ou encore du retrait de l’habilitation, ces mesures demeurent rares » (Page 33).

Est-il opportun de rappeler que le droit à la santé et à la sécurité a valeur constitutionnelle ?

9. L’article L.1110-1 du Code de la santé publique dispose que l'article L. 1110-1 du code de la santé publique dispose que « le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne ». Ce code garantit également à toute personne, dans ses articles L.1110-5 et L.1112-4, le droit aux soins les plus adaptés à son étatla prise en charge de la douleur ainsi que le droit d’avoir une fin de vie digne. Le droit à la sécurité, garanti par l’article L.311-3 alinéa 1er du code de l’action sociale et des familles, et par l’article 7 de la Charte des droits.

Ces dispositions créent l’obligation à la charge de l’établissement d’assurer la sécurité de la personne accueillie, y compris sanitaire, sa santé ainsi que son droit à un suivi médical et paramédical adapté.

En réponse aux besoins urgents de normes et de contrôle, le Gouvernement a publié le 2 septembre 2021 un document repère pour soutenir l’engagement et la réflexion des professionnels concluant à la nécessité d’une « vigilance éthique d’exception »[4] et projette de diffuser une nouvelle Charte éthique d’accompagnement du grand-âge[5] venant s’ajouter à celle préexistante[6]En l’absence de contrôles efficaces et sanctions tangibles, nous craignons que ces nièmes travaux restent lettre morte.

Lors des assises des EHPAD 2021, la ministre déléguée a expliqué que l'abandon de la loi "Grand âge" ne signifiait pas un renoncement, des mesures importantes devant figurer dans le PLFSS. Dont acte, mais nos parents sont âgés de 95 ans et plus, ils n’attendront pas le résultat d’hypothétiques réformes sans cesse repoussées.

En pratique rien n’a changé ou presque !

10. Concrètement, rien n’a changé et rien de changera tant que persistera cette opacité générale tolérée par les institutions sans dispositions contraignantes, ni sanctions prises à l’encontre de l’EHPAD X qui adopte la politique suivante :

  • Opacité quant aux soins prodigués avec refus de communiquer le dossier médical incluant notamment les tableaux de bord, feuilles de transmissions, logiciel netsoins et prescriptions du médecin coordonnateur,
  • Opacité quant aux qualifications professionnelles du personnel,
  • Opacité sur les évaluation internes et externes de l’EHPAD,
  • Opacité sur le taux d’endrament du personnel au chevet,
  • Manque de communication, de coordination et de contrôle,
  • Inadéquation entre l’encadrement et les besoins des résidents,
  • Recours à la sédation ou « camisole chimique » pour pallier l’insuffisance de l’accompagnement et défaut d’information,
  • Non-conformité des prestations au regard du contrat de séjour…

11. Faute d’infractions spécifiques visant à réprimer la maltraitance institutionnelle, la justice pénale n’est pas en mesure de poursuivre les dirigeants d’EHPAD malveillants et la justice civile n’offre aucune réponse rapide et efficace au seul non-respect du contrat de séjour.

Pourtant, la réalité portée à la connaissance des autorités par le collectif des familles, par les députées et la Défenseure des droits, attestent de la récurrence des défaillances dans l’accompagnement sanitaire des personnes âgées en EHPAD. Celles-ci concernent notamment la coordination des soins, la prise en charge médicamenteuse, la prise en charge nocturne, la dénutrition…

12. Outre le turn-over permanent d’un personnel dont on ignore les qualifications et qui parfois peine à s’exprimer en langue française, à ce jour il n’y a plus de médecin coordonnateur, ni gouvernante, ni cuisinier, tandis que les IDEC se succèdent et le nouveau directeur, lorsqu’il est présent dans l’établissement, adopte une attitude méprisante, voire insultante tant vis-à-vis du personnel salarié que des résidents et leur famille.

De source informelle, les familles plaignantes ont appris que le directeur aurait subitement quitté ses fonctions, ce qui confirmerait le profond dysfonctionnement constaté dans cet EHPAD.

L’organigramme affiché dans le hall a d’ailleurs été récemment supprimé de telle sorte que l’EHPAD X s’apparente à une zone de non-droit dont nos parents seraient victimes et otages, nonobstant le prix mensuel particulièrement onéreux.

  • Conséquemment, les familles des résidents ont exigé individuellement des réponses concrètes à leurs questions :
  • Chaque résident bénéficie-t’il d’un projet d’accompagnement personnalisé comme il serait en droit d’attendre ? Qui en est le référent et le coordonnateur ?
  • Quelles sont les ressources mobilisées pour la réalisations des actions ? Quelle est la dynamique du parcours d’accompagnement de chaque résident ?
  • Une Commission de Coordination Gériatrique est-elle constituée et dans l’affirmative, quand s’est-elle réunie en 2020 et en 2021 ?
  • À quelle(s) date(s) ont eu lieu les évaluations périodiques obligatoires internes et externes de l’EHPAD destinées aux autorités de tutelle (HAS et ARS) chargées de contrôler la conformité à la réglementation applicable ?
  • Quel est le projet d’établissement et existe-t-il un Comité de pilotage ?
  • Quel est le contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) ?
  • Quel est le taux d’encadrement en personnel au chevet par résident ? Est-il conforme aux chiffres plancher de l’ARS dans le cadre de la convention tripartite avec le conseil départemental et l'établissement ?
  • Quels sont les protocoles mis en place vis-à-vis du personnel salarié qui change de façon constante et récurrente (CDD, démissions, licenciements...) ? Qu’en-est-il de leur formation et qualification professionnelle ?
  • Pourquoi un tel « turn-over » des salariés au préjudice de la santé et de la sécurité des résidents ? La raison est-elle un personnel sous qualifié et sous payé et/ou une défaillance en termes d’organisation et de hiérarchie (absence d’IDEC, absence de médecin coordonnateur, manque de compétences de la direction) ?
  • Pourquoi ce refus de communiquer au tuteur et aux personnes de confiance le dossier médical ainsi que les feuilles de transmissions du logiciel netsoins ? Est-ce parce que ceux-ci contiennent la preuve des défaillances de la prise en charge ?
  • Qu’en est-il du respect de la législation du travail du travail en termes de recours aux CDD ? Le contrôle du Registre Unique du Personnel (RUP) permettrait d’expliquer le manque de suivi personnel et médical des résidents. L’établissement satisfait-il aux obligations légales du Code du travail dans le domaine de la santé et de la sécurité des salariés ? Le Document Unique d’évaluation des Risques Professionnels est-il à jour ?

Autant de réponses que les familles sont en droit d’obtenir pour remédier efficacement aux souffrances endurées par leurs parents.

Il est temps de mettre un terme au traitement indigne (chutes et blessures inexpliquées, défaut de soins adaptés, sédation dissimulée, malnutrition, manque d’hygiène…) constatées au sein de cet EHPAD.

13. Comment peut-on accepter que l’objectif commercial de profits du Groupe X (affichant en 2020 des taux de rentabilité sur l’achat d’une chambre d’EHPAD compris entre 3,6 et 5,3 %) se fasse au préjudice de la santé et de la sécurité des résidents âgés et vulnérables ?

Comment peut-on admettre que les institutions garantes du respect des droits fondamentaux ne réagissent pas efficacement et concrètement aux maltraitances subies par les personnes âgées accueillies en EHPAD ?

Pourquoi tant d’opacité sur les contrôles des EHPAD alors que les rapports concernant les hôpitaux sont publiés ?

À l’instar de nos enfants accueillis au sein des structures scolaires, nos aînés vulnérables, méritent aussi la garantie légitime de leur droit à la dignité, à la santé et à la sécurité.

La maltraitance institutionnelle est une réalité incontestable, nous sommes sont en droit d’obtenir les réponses et moyens concrets immédiats pour protéger nos parents vulnérables résidant en EHPAD.


 Claudia CANINI

Avocat - Droit des majeurs protégés

www.canini-avocat.com 


À lire aussi : EHPAD et bientraitance : les résidents en attente de résultats concrets !

Adultes vulnérables : les maltraitances institutionnelles sont en hausse ! 

EHPAD : enfin une réforme de l’évaluation de la qualité ! 


[1] Établissement d’Hébergement de Personnes Agées Dépendantes

[2] Rapport du 28.03.2019 https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_grand_age_autonomie.pdf

[3] https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/rap-ehpad-num-29.04.21.pdf

[4] https://www.espace-ethique.org/repere-ethique-ehpad

[5] https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/2021_charte_ethique_grand-age_web.pdf

[6] Charte des droits et des libertés de la personne âgée en situation de handicap ou de dépendance (2009)