Une récente décision de la chambre criminelle de la Cour de Cassation est venue raviver le débat sur la question du délit de solidarité en apportant notamment, des précisions importantes quant aux exceptions dont peuvent bénéficier les auteurs d’actes visant à apporter une aide aux étrangers irréguliers.

Cet arrêt offre une occasion parfaite de revenir sur les nombreuses formes qu’a pu prendre le délit de solidarité dans la législation française.

La pénalisation de l’aide apportée aux étrangers en situation irrégulière oppose l’ordre public et le principe de fraternité.

Ceci explique que le législateur aussi bien que le juge, ont eu du mal à trouver une formule qui permettrait de concilier ces deux notions sans que l’opinion publique ne s’offusque du résultat.

1. La pénalisation de l’aide à l’entrée, au séjour et à la circulation d’un étranger en situation irrégulière

Avant toute chose, il convient de préciser que le délit de solidarité n’est pas une notion légale mais une formule politique utilisée par les défenseurs des droits humains pour qualifier l’incrimination contenue dans la législation française de l’action d’aider un étranger en situation irrégulière sur le territoire français.

Le CESEDA comporte en effet en son sein l’article L. 622-1 qui prohibe l’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour d’un étranger en situation irrégulière.

Un individu se rendant coupable de tels actes encourt, au titre de la peine maximale, 5 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.

Destiné principalement à incriminer les activités des passeurs, ce texte, par son caractère imprécis a pu servir de fondement aux poursuites d’individus apportant une aide aux migrants en les hébergeant, en leur fournissant des biens de première nécessité ou encore en leur prodiguant des conseils juridiques.

Par conséquent, cette disposition très vague a pu conduire à une assimilation entre l’action des réseaux criminels de passeurs et celle des associations de défense des droits humains.

Cette confusion a poussé les associations à dénoncer l’existence d’un « délit de solidarité », afin de souligner l’absurdité de la pénalisation d’actes guidées par des principes humanitaires.

Si cette disposition est issue d’une loi datant de 1945, elle a progressivement été entourée d’exemptions nombreuses, de sorte que, aujourd’hui, son champ d’application est limité à des situations résiduelles.

2. Les exemptions de poursuites : les immunités « familiales » et « humanitaires »

La première des exemptions concerne les membres de la famille de l’étranger en situation irrégulière.

Ainsi, si l’aidant a un lien de parenté avec l’aidé, il ne sera pas poursuivi pour son action.

Cela vise notamment le conjoint, les parents, ou encore les frères et soeurs de l’étranger. Cette immunité a également été étendue au concubin.

Outre cette immunité « familiale », l’article L.622-4 du CESEDA énonce une série d’hypothèses dans lesquelles un acte de solidarité de la part d’une personne aussi bien physique que morale envers un étranger en situation irrégulière ne sera pas constitutif d’un délit.

Il s’agit là d’immunités « humanitaires ».

La rédaction actuelle de l’article L.622-4 est issue de la loi asile et immigration du 10 septembre 2018.

Cependant, cette disposition est en réalité le fruit de plusieurs années de tâtonnements législatifs et jurisprudentiels, impulsés par les critiques portées par les défenseurs des droits humains contre l’absurdité d’une pénalisation de l’aide apportée aux étrangers.

3. La portée de l’article L.622-4, un sujet sensible et clivant

La première intervention législative importante date de 2003.

La loi relative à la maitrise de l’immigration, au séjour des étrangers et la nationalité avait introduit une exception aux poursuites fondées sur l’article L.622- 1 du CESEDA, lorsque l’aide apportée était destinée à un étranger qui se trouvait face à un danger « actuel et imminent » et que cette intervention était « nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l’intégrité de l’étranger ».

La difficulté de l’application de cette exception résultait notamment de la preuve du danger « actuel et imminent » qui menaçait l’étranger.

La nécessité d’un danger actuel et imminent pour justifier une intervention auprès d’un étranger irrégulier ne figure plus à l’article L.622-4 aujourd’hui.

Cette intervention législative n’a donc pas permis de faire taire les critiques.

Face aux contestations incessantes des associations, une nouvelle loi intervient en 2012 avec l’objectif d’instaurer une véritable distinction entre l’action des associations et l’activité des passeurs.

Ainsi, l’article L.622-4 du CESEDA prévoyait qu’était exempté de poursuites pénales la personne dont l’acte « n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité de celui-ci ».

Cette nouvelle rédaction de l’article a contribué à « humaniser » l’étranger en situation irrégulière en prévoyant qu’un acte visant à préserver sa dignité, ne tombait pas sous le coup de la répression pénale.

Toutefois, une difficulté subsiste qui est celle de la définition de la notion de « contrepartie directe ou indirecte ».

Le législateur n’a manifestement pas souhaité restreindre la portée de la répression aux seuls actes ayant donné lieu à une contrepartie financière.

A cet égard, il convient de noter que la commission nationale consultative des droits de l’homme, dans un avis rendu le 18 mai 2017, recommandait que la pénalisation de l’aide apportée aux étrangers au titre de l’article L.622-1 du CESEDA soit limitée aux actes accomplis avec une visée lucrative.

Cette rédaction laisse donc la porte ouverte à des poursuites pénales fondées sur la circonstance que l’aide apportée a donné lieu à une contrepartie autre que financière, sans que les contours de cette notion ne soient définis.

Comme le précise la Cour de Cassation, désormais, l’attention du juge devait surtout être portée à l’existence ou non d’une contrepartie directe ou indirecte à l’aide apportée (Cass. crim., 4 mars 2015, n°13-87.185).

Cependant, en 2017, dans le cadre de deux affaires emblématiques, celles de Monsieur Herrou et Monsieur Mannoni, la Cour d’Appel d’Aix en Provence a rendu un verdict inédit.

Les affaires de deux hommes sont très similaires puisque tous deux ont aidé à l’entrée, la circulation et le séjour de migrants, les deux ont été condamnés par la Cour d’Appel à des peines d’emprisonnement avec sursis.

Cependant, dans ces deux affaires, n’était pas en cause la contrepartie que les deux hommes auraient tirée de leur action, mais les circonstances dans lesquelles l’aide a été fournie.

Le juge a considéré que les actions menées par Monsieur Herrou et Monsieur Mannoni l’ont été dans un contexte militant et n’étaient pas, par conséquent, des actes spontanés et individuels relevant du champ d’application des immunités humanitaires (CA Aix-en-Provenance, 8 août 2017, n°2017/568 et CA Aix-en-Provenance, 11 septembre 2017, n°2017/628).

L’opinion publique s’étant emparé du débat, la Cour de Cassation a décidé de saisir le Conseil Constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’application combinée des articles L.622-1 et L.622-4 du CESEDA le 9 mai 2018.

L’intervention du juge constitutionnel a été retentissante puisqu’en consacrant le principe de fraternité comme un principe à valeur constitutionnelle, les neuf sages ont semblé sonner le glas du délit de solidarité.

Ainsi, a été proclamée « la liberté d’aider autrui dans un but humanitaire sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national » (Cons. Const., 66 juillet 2018, 717/718 QPC : JO, 7 juill.)

Le Conseil a cependant nuancé la portée de ce principe en rappelant qu’il convenait de le concilier avec l’objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre l’immigration irrégulière, conciliation dont il revenait au législateur de fixer les modalités.

C’est ce qu’il a fait à l’occasion de l’importante réforme touchant le CESEDA intervenue en 2018, et ayant abouti à l’adoption de la loi asile et immigration.

4. Les dispositions aujourd’hui en vigueur

La rédaction aujourd’hui en vigueur de l’article L.622-4 du CESEDA, et plus particulièrement de son 3° est la suivante :

« Sans préjudice des articles L. 621-2, L. 623-1, L. 623-2 et L. 623-3, ne peut donner lieu à des poursuites pénales sur le fondement des articles L. 622-1 à L. 622-3 l'aide à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger lorsqu'elle est le fait :

3° De toute personne physique ou morale lorsque l'acte reproché n'a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et a consisté à fournir des conseils ou accompagnements juridiques, linguistiques ou sociaux, ou toute autre aide apportée dans un but exclusivement humanitaire. »

Il convient de relever que les actions accomplies au titre de l’aide apportée à l’étranger ne sont plus limitativement énumérées puisque a été introduite la formule « ou tout autre aide apportée (…) ».

De plus, l’aide apportée n’est plus liée à la préservation de la dignité de l’étranger, notion sujette à interprétations.

Cependant, si la loi asile et immigration était destinée à mettre en conformité la rédaction de l’article L.622-4 avec la décision du Conseil Constitutionnel de 2017, la formule restrictive de « l’aide apportée dans un but exclusivement humanitaire » laisse entendre que l’action qui s’inscrirait dans un contexte militant ne pourrait relever du champ d’application de l’immunité humanitaire. 

Or, il s’agit d’une notion introduite par la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, utilisée dans les décisions Herrou et Mannoni, restriction qui n’avait pas été reprise par le Conseil Constitutionnel.

Cependant, une récente décision de la Cour de Cassation est venue clarifier l’interprétation qu’il convenait de retenir de l’article.

La Haute Juridiction retient en effet « qu’il ne résulte nullement de (l’article L.622-4 3°) que la protection dont bénéficient les auteurs d’actes accomplis dans un but exclusivement humanitaire soit limitée aux actions purement individuelles et personnelles et qu’en soit exclue une action non spontanée et militante exercée au sein d’une association ».

En conséquence, le contexte militant dans lequel s’inscrit l’aide apportée à l’étranger, n’est pas un critère pertinent pour exclure son auteur du champ de l’immunité humanitaire.

Toutefois, la Cour de Cassation précise qu’il convient de tenir compte de l’objectif que poursuit l’auteur d’une telle action.

Et, s’il est établi que l’action visait à « soustraire sciemment » l’étranger à un contrôle opéré par les autorités politiques, son auteur sera exclu du bénéficie de l’immunité humanitaire (Cass. Crim, 26 février 2020, n°19-81.561).

Enfin, si l’aide à la circulation et au séjour de l’étranger est admise, l’aide à l’entrée sur le territoire reste quant à elle strictement prohibée, ce qui signifie que son auteur ne sera pas protégé contre des poursuites pénales.

Ainsi, il convient de retenir qu’en vertu d’une application combinée des articles L.622-1 et L.622-4 3° du CESEDA, ne sera pas passible de poursuites pénales l’auteur d’une action visant à faciliter la circulation ou le séjour d’un étranger, à condition que :

  • son action n’ait pas contribué à faciliter l’entrée de l’étranger sur le territoire français;
  • qu’elle n’ait donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte ;
  • et qu’elle n’ait pas eu peur objet de soustraire sciemment l’étranger au contrôle des autorités.

Maître Grégoire HERVET
Avocat en droit des étrangers
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