PRESENTATION DE l'ORDONNANCE N°2014-236 DU 12 MARS 2014 REFORMANT LE DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTE

DISPOSITIONS INTERESSANT LE TRIBUNAL DE COMMERCE    TRIBUNAL DE COMMERCE DE DRAGUIGNAN

 

I - RAPPELS JURISPRUDENTIELS

DC, n°2012-286 QPC, du 7 décembre 2012 : le tribunal ne peut plus ouvrir une procédure collective sur « saisine d’office » même s’il lui apparaît au cours de la procédure de conciliation que l’état de cessation des paiements remonte à plus de 45 jours.

Loi n°2012-346 du 12 mars 2012 – loi PETROPLUS : création de l’article L. 631-10-2 du Code de commerce : le but de cet article est de neutraliser au moyen de mesures conservatoires l’action d’un propriétaire cherchant à reprendre ses biens dans une procédure collective lorsqu’il est la cible d’une extension de procédure. La loi permet de pratiquer des mesures conservatoires sur des biens appartenant à des tiers et susceptibles en conséquence d’être repris dans la procédure collective du détenteur précaire, lorsque la procédure de ce dernier est susceptible d’être étendue à ce tiers ou peut donner lieu à une action en responsabilité contre ce même tiers.

Com 8 mars 2011, n° 10-13.988 / 10-13.989 / 10-13.990Sté HOLD et dame Luxembourg« HEART OF LA DEFENSE » : la Cour d’appel de Paris a accueilli la tierce opposition d’un créancier, en rétractant deux jugements ouvrant une sauvegarde au profit d’une société bailleresse de bureaux achetés à crédit et de la société holding détenant le contrôle de la première (CA PARIS 25 fév. 2010). La Cour de cassation approuve les juges du fond quant à la recevabilité de la tierce opposition formée par le créancier à l’encontre du jugement de sauvegarde. Recevabilité retenue au motif que la procédure de sauvegarde était instrumentalisée afin d’obliger le créancier à renégocier le contrat. Désormais, tous les créanciers sont recevables à former tierce opposition s’ils invoquent des moyens qui leurs sont propres (jusqu’alors seuls les créanciers de la zone UE avaient été jugé recevables).

DC n° 2013-372, QPC du 7 mars 2014 :

  • Le Conseil constitutionnel a été saisi le 10 décembre 2013, par la Cour de cassation d'une première QPC relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des mots « se saisir d'office ou » au premier alinéa de l'article L. 640-5 du Code de commerce.
  • Le Conseil constitutionnel a été saisi le 20 décembre 2013, par la Cour de cassation d'une deuxième QPC relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de la seconde phrase du paragraphe II de l'article L. 626-27 du Code de commerce

Le Conseil a jugé que les dispositions qui confient au tribunal la faculté de se saisir d'office, soit aux fins d'ouverture d'une liquidation judiciaire, soit aux fins de prononcer la résolution d'un plan de sauvegarde ou de redressement, méconnaissent le principe d'impartialité des juridictions. Le Conseil a donc jugé contraires à la Constitution :

- le premier alinéa de l'article L. 640-5 du code de commerce, les mots « se saisir d'office ou »

- la seconde phrase du paragraphe II de l'article L. 626-27 du code de commerce.

DC n°2011-212 QPC du 20 déc. 2012 : inconstitutionnalité de l’article L. 624-6 du Code de commerce : le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la QPC soulevée par l’épouse d’un débiteur reprochant à l’art L. 624-6 du Code de commerce de méconnaitre à la fois la protection constitutionnelle de son droit de propriété et le principe d’égalité devant la loi, le texte n’étant applicable qu’au seul conjoint à l’exclusion de toute autre personne. Le Conseil constitutionnel a décidé que l’article portait atteinte au droit de propriété du conjoint de manière disproportionnée par rapport au but poursuivi.

Solution annexe actuelle possible : Pour pallier la supression de ce texte une autre application reste toutefois possible. Le Code de commerce prévoit le cas de suspicion de fraude. L’article L. 624-8 du Code de commerce interdit au conjoint de soustraire à l’actif de la procédure les libéralités consenties par son époux et qui n’ont pas été exécutées avant le jugement d’ouverture. Mais en pratique ce texte reste très peu appliqué, les organes de la procédure préférant agir sur le terrain des nullités de la période suspecte en retenant la nullité des actes accomplis à titre gratuit.

 

II – PRESENTATION DE L’ORDONNANCE N°2014-326 DU 12 MARS 2014 

Présentation : le texte de cette ordonnance compte 117 articles, qui modifient les Livres VI et VIII du Code de commerce mais également de manière plus ponctuelle le Code civil, le Code du travail, le Code général des impôts ainsi que le Code rural et de la pêche maritime. Pour l’essentiel, ces dispositions entreront en vigueur le 1er juillet 2014, le temps que le Décret d'application soit publié.

Objectifs de la réforme :

Le premier objectif était la poursuite de l'oeuvre de simplification. Cette simplification se traduit par une modification du régime de la déclaration de créance (plus favorable au créancier) et par l’introduction de deux nouvelles procédures : d’une part une sauvegarde accélérée dont la simplification passe par l’accélération de la procédure vouée à ne pas durer plus de trois mois, et d’autre part une procédure, dite de rétablissement professionnel, réservée aux débiteurs personnes physiques, impécunieux et sans salarié, que leur bonne foi rend éligibles à ce dispositif allégé et accéléré d’apurement du passif.

L’autre objectif, plus politique, était de rechercher un nouvel équilibre pour les procédures de sauvegarde et de redressement, jugées trop favorables à l’actionnaire de contrôle de la société débitrice lorsque celui-ci ne prend pas les moyens d’assurer le sauvetage de l’entreprise. En facilitant les conversions de la sauvegarde en redressement judiciaire (C. com., art. L. 622-10) et la mise en compétition des solutions de sauvetage présentées aux comités (C. com., art. L. 626-30-2) ou encore en permettant de tirer argument de la nécessité de reconstituer les capitaux propres pour faciliter la reprise interne de la société débitrice (C. com., art. L. 631-9-1).

 

III - DISPOSITIONS INTERESSANT LE TRIBUNAL

Suppression de l’auto-saisine d’office du tribunal :

  • pour extension de la procédure en cas de confusion de patrimoine ou de fictivité de la personne morale (art. L. 621-2 du Code de commerce).
  • pour prononcer l’ouverture d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire, après la cessation de l’activité professionnelle d’un débiteur si tout ou partie de son passif provient de cette activité et que la cessation des paiements est caractérisée avant l’arrêt de cette activité (art. L. 631-3-1 et art. L. 640-3 du Code de commerce). Le président du tribunal fait parvenir au ministère public une note exposant de façon neutre les faits de nature à motiver la saisine du tribunal. Le président du tribunal ne peut alors siéger, à peine de nullité du jugement, dans la formation de jugement, ni participer au délibéré si le ministère public demande l’ouverture d’un redressement ou d'une liquidation judiciaire à l’égard du débiteur.
  • pour décider la conversion de la procédure de conciliation en redressement judiciaire (art. L. 631-4 du Code de commerce) ou en liquidation judiciaire si cette procédure de conciliation est un échec (art. L. 640-4 du Code de commerce).

En revanche, le gouvernement a omis de modifier les dispositions de l’article L. 621-12 du Code de commerce. Ainsi, la saisine d’office par le Tribunal de commerce reste possible en cas de conversion de la procédure de sauvegarde en procédure de redressement judiciaire.

Dérogation aux règles de compétences territoriales (art. L. 662-2 du Code commerce) La première modification intéresse l'extension d'une prorogation de compétence. Jusqu'alors, seul le cas de la  délocalisation d'une affaire justifiée par les intérêts en présence, maintenait la compétence de la juridiction qui avait ouvert la procédure de conciliation en cas de conversion en sauvegarde accélérée subséquente. Depuis, l'ordonnance du 12 mars 2014, la solution a été étendu à l'ouverture de toute procédure collective faisant suite à un mandat ad hoc ou à une procédure de conciliation.

L'ordonnance comporte une autre modification, dont les modalités restent à préciser par le Décret d'application. Pour l'heure, l'article L. 662-2 du Code de commerce prévoit que le renvoi de l'affaire doit intervenir devant une autre juridiction "de même nature". Cette expression a été supprimée, ce qui laisse entendre que des juridictions d'une autre nature pourront être désignées. Ces juridictions restent, pour le moment, à créer. Il s'agira sans doute de juridictions régionales compétentes pour connaître de dossiers importants, comme l'annonce le projet de loi portant réforme des Tribunaux de commerce.

Modification des règles d'ouverture de procédure (art. L. 662-3). L'article L. 662-3 du Code de commerce est complété par un alinéa prévoyant que « le tribunal peut entendre toute personne dont l'audition lui paraît utile, et notamment, il peut entendre le représentant de l'Etat en sa demande ». L'Ordonnance du 12 mars 2014 fait ainsi entrer discrètement le commissaire au redressement productif dans le Livre VI du code de commerce. A la vérité, la portée du texte est bien plus large, puisque l'audition n'est pas limitée à la seule audience appelée à statuer sur l'ouverture de la procédure collective. Il pourra s'agir spécialement des audiences appelées à statuer sur le sort de l'entreprise : plan de sauvegarde, de redressement, de cession ou encore conversion.

 

IV - DISPOSITIONS INTERESSANT LE JUGE-COMMISSAIRE

Extension du périmètre de l’inopposabilité du secret professionnel au juge-commissaire (art. L. 623-2 du Code de commerce) : les notaires ne pourront opposer au juge-commissaire le secret professionnel dans le cadre de l'élaboration du bilan économique et social.

Encadrement des pouvoirs du juge-commissaire (art. L. 622-7 du Code de commerce) : certains actes de disposition étrangers à la gestion courante de l'entreprise altèrent gravement et durablement le patrimoine du débiteur. Il est logique de les soumettre à autorisation judiciaire, dans la mesure où ils ne sont, a priori, pas conformes à l'idée de préparation d'un plan de sauvegarde ou de redressement, qui est la seule préoccupation de la période d'observation. Ils ne doivent donc, en tout état de cause, être autorisés que dans la mesure de leur compatibilité avec la perspective de sauvetage de l'entreprise. Si cette analyse ressort de l'interprétation doctrinale, les dispositions légales ne l'indiquaient pas jusqu'alors de manière suffisamment claire. C'est ce qu'entend réparer l'Ordonnance du 12 mars 2014. En ce sens, une phrase est ajoutée à l'alinéa 1er du II de l'article L. 622-7 du Code de commerce, pour prévoir le cas où l'acte visé à cet alinéa « est susceptible d'avoir une incidence déterminante sur l'issue de la procédure, le juge-commissaire ne peut statuer qu'après avis du ministère public ». L'encadrement des pouvoirs du juge-commissaire pour autoriser l'accomplissement d'actes particulièrement graves, et de nature à compromettre le sauvetage de l'entreprise, apparaît opportun.

Interdiction pour le juge-commissaire de participer à la formation de jugement et aux délibérés (art. L. 662-7 du Code de commerce) : Il est vrai que ce juge a pu, avant de statuer, par sa participation active à la procédure collective, se forger des convictions, et une connaissance du dossier, en amont du moment où il est question de statuer de manière collégiale, ce qui apparait incompatible avec l'impartialité attendue d'une juridiction. Ilest par ailleurs notable d'observer, que la loi de sauvegarde des entreprises en 2005 avait déjà interdit au juge-commissaire de faire partie de la juridiction de jugement en matière de sanctions civiles et pécuniaires. L'ordonnance du 12 mars 2014 ne fait que poursuivre cette idée en la menant à son terme, et en interdisant purement et simplement au juge-commissaire, une fois désigné, de participer à la formation de jugement et aux délibérés. La solution est consacrée par les dispositions du nouvel article L. 662-7 du Code de commerce et vaut pour toutes les procédures collectives. Le jugement rendu au mépris de cette règle est entaché de nullité.