Cet article a été publié également sur le site de "Chronique Ouvrière" sous le même titre, consultable à "http://www.chronique-ouvriere.fr/spip.php?page=recherche&recherche=Peschaud"

mardi 4 décembre 2012

Drogue en entreprise : stupéfiants règlements intérieurs.

Dans certaines entreprises, le règlement intérieur prévoirait des contrôles de consommation de stupéfiants des salariés, aléatoires et obligatoires, pratiqués par le médecin du travail.

Le Président du Conseil National de l’Ordre des Médecins, interrogé par un syndicat de  cadres, rappelle que, même s’il « a un rôle de conseil dans la prévention de la consommation de drogues ou d’alcool sur le lieu de travail », d’une part « en aucun cas, les obligations du médecin du travail ne peuvent résulter du règlement intérieur d’une entreprise », d’autre part que le médecin n’a pas à participer « à une opération relevant du seul pouvoir disciplinaire de l’employeur » .

Rappelons, concernant le dépistage de la consommation de drogues dans l’entreprise, ce qui relève des prérogatives du médecin du travail et de celles de l’employeur.

La consommation de « drogues dures » peut motiver le licenciement pour faute grave d’un salarié lorsque celui-ci appartient par exemple au personnel « critique pour la sécurité » d’une compagnie aérienne (Cass. Soc., 27 mars 2012, n° : 10-19915).

La question du dépistage de la consommation de stupéfiants dans l’entreprise, si cette mesure est justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché, soulève par contre des problèmes juridiques redoutables à l’employeur, excepté dans le cadre d’une procédure pénale, comme il a été jugé récemment dans l’affaire précitée.

Le dépistage « en interne », en dehors d’une intervention judiciaire, suppose le passage obligé par le médecin du travail, dans le respect des prérogatives de ce dernier, ce que semblent avoir ignoré un certain nombre de règlements intérieurs, objets de la saisine pour avis du Conseil de l’Ordre par un syndicat de cadres.

Le respect du secret médical vis-à-vis de l’employeur s’impose tout particulièrement.

  1. Chevauchement de compétences

La difficulté dont ces règlements intérieurs ici discutés sont l’expression est que dans l’exemple cité le salarié ayant consommé de la drogue dure pendant des escales entre deux vols, ce qui relève de sa vie privée, se trouvait encore sous l’influence de produits stupéfiants pendant l’exercice de ses fonctions, et avait ainsi fait courir un risque aux passagers ainsi qu’à ses camarades de travail.

Ce type de comportement engage la responsabilité de l’employeur et justifie le contenu du règlement intérieur, mais concerne également la protection de la santé du salarié, ce qui relève pour partie de la responsabilité et des prérogatives du médecin du travail.

A. Les prérogatives respectives de l’employeur et du médecin du travail

L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, sous peine d’engager sa responsabilité – y compris pénale pour la consommation de stupéfiants – en cas de manquement. Dans l’entreprise, la santé du salarié est également l’affaire du médecin du travail, tant sur le plan individuel que sur le plan collectif.

Il est donc tentant pour certains employeurs d’instrumentaliser le médecin du travail dans une politique de répression disciplinaire de la consommation de stupéfiants.

Lorsqu’il soupçonne une pathologie ou une addiction quelconque, même si le comportement du salarié est incompatible avec les fonctions exercées, l’employeur ne peut se substituer au médecin du travail pour porter le moindre diagnostic, et licencier le salarié pour ce motif.

Seul le médecin du travail est compétent pour en prononçant un avis d’aptitude ou d’inaptitude du salarié concerné à poursuivre ou non son activité professionnelle, faire d’éventuelles propositions de reclassement à l’employeur, et en s’abstenant d’en donner le motif.

Ainsi par exemple a-t-il pu être jugé qu’un licenciement en raison d’un comportement anormal d’excitation que l’employeur estimait incompatible avec les fonctions attribuées reposait sur l’état de santé du salarié, et était nul de plein droit (Cass. Soc., 28 janvier 1998 n°95-41491).

Cependant, le médecin du travail agit en principe dans l’intérêt exclusif de la santé et de la sécurité des salariés dont il assure la surveillance médicale.

Son rôle est exclusivement préventif.

Il consiste à éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail, notamment en surveillant leurs conditions d’hygiène au travail, les risques de contagion et leur état de santé.

Selon le Président du Conseil de l’Ordre, le « dépistage (de consommation de stupéfiants) imposé par l’employeur, ne nous parait pas faire partie de ses missions ».

B. L’indépendance du médecin du travail

Le médecin du travail, salarié de l’employeur ou d’un service de médecine du travail inter-entreprises, n’est pas un salarié comme un autre.

Le médecin du travail est lié par un contrat de travail conclu avec l’employeur ou le président du service de santé au travail interentreprises, dans les conditions prévues par le code de déontologie médicale.

En d’autres termes, le médecin du travail, salarié subordonné à l’employeur, est également un médecin lié par le code de déontologie qui prime sur la subordination.

En particulier, l’indépendance du médecin est garantie au médecin du travail dans l’ensemble de ses missions par le Code du travail, en particulier celle de faire des « propositions de mesures individuelles justifiées par des considérations relatives notamment à l’âge, à la résistance physique ou à l’état de santé physique et mentale des travailleurs ».

L’employeur « est tenu de prendre en considération » « ces propositions ». En cas de refus, l’employeur doit « faire connaître les motifs qui s’opposent à ce qu’il y soit donné suite. En cas de difficulté ou de désaccord, l’employeur ou le salarié peut exercer un recours devant l’inspecteur du travail. Ce dernier prend sa décision après avis du médecin inspecteur du travail » (*).

Garantie efficace de son indépendance vis-à-vis de l’employeur ou du service inter-entreprises qui l’emploie, le médecin du travail est protégé contre le licenciement au même titre qu’un représentant du personnel, son licenciement ne pouvant intervenir qu’après autorisation de l’inspection du travail.

C’est pourquoi le dépistage de consommation de stupéfiant dans l’entreprise ne peut être imposé au médecin du travail par l’employeur.

Le courrier du Président du Conseil de l’ordre ne signifie pas que le médecin du travail n’est pas en droit de dépister la consommation de stupéfiants sur le lieu de travail.

Ce qui est interdit, c’est « le dépistage imposé par l’employeur » au médecin du travail.

Le médecin du travail, chargé par le législateur, en toute indépendance de l’employeur, « d’éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail, notamment en surveillant leurs conditions d’hygiène au travail, les risques de contagion et leur état de santé », a toute latitude pour mener une politique de prévention des consommations de drogues ou d’alcool sur le lieu de travail.

Du reste, le courrier du Président du Conseil de l’Ordre le confirme : même si la prévention ne peut être « imposée par l’employeur » au médecin du travail, celui-ci « a un rôle de conseil dans la prévention de la consommation de drogues ou d’alcool sur le lieu de travail ».

De plus, ce même courrier ménage « l’hypothèse où le médecin du travail n’effectuerait pas le dépistage mais en recevrait les résultats, non communicables à l’employeur », pour rappeler que dans ce cas « il lui appartiendrait, en toute indépendance, d’en tirer les conséquences ».

C’est donc le médecin du travail, sur son initiative, sans que cela soit « imposé par l’employeur », même si c’est nécessairement « en liaison avec lui », qui peut le cas échéant « effectuer le dépistage » de consommation de drogues sur le lieu de travail, et en tirer les conséquences éventuelles « en toute indépendance ».

En tout état de cause, les informations individuelles recueillies dans ce cadre ne sont pas communicables à l’employeur, car elles sont couvertes par le secret médical.

II. Secret médical « non partageable »

« Le médecin qui l’aurait effectué (le dépistage, NDA) ne peut remettre, même avec le consentement du salarié, les résultats au médecin du travail, dans un cadre sans rapport avec sa prise en charge sanitaire. Il appartient au salarié de remettre lui-même ses résultats au médecin du travail ».

Le Président du Conseil de l’Ordre rappelle ainsi que le médecin traitant par exemple n’a pas à communiquer au médecin du travail des informations « sans rapport avec sa prise en charge sanitaire », ce que seul le salarié est habilité à faire volontairement, s’il le souhaite.

En tout état de cause, « afin d’assurer la mise en œuvre des compétences médicales, techniques et d’organisation nécessaires à la prévention des risques professionnels, et à l’amélioration des conditions de travail », les services de santé au travail assurés par un ou plusieurs médecins du travail peuvent faire appel sur leur initiative et « en liaison avec les entreprises concernées :

1° Soit aux compétences des caisses régionales d’assurance maladie, de l’organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics ou des associations régionales du réseau de l’agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail ;

2° soit à des personnes ou à des organismes dont les compétences dans ces domaines sont reconnues par les caisses régionales d’assurance maladie, par l’organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics ou par les associations régionales du réseau de l’Agence pour l’amélioration des conditions de travail.

Cet appel aux compétences est réalisé dans des conditions garantissant les règles d’indépendance des professions médicales et l’indépendance des personnes ou organismes associés. Ces conditions sont déterminées par décret en Conseil d’Etat ».

Le secret médical peut alors être partagé entre ces personnes ou organismes exerçant dans le cadre d’un même objectif : la protection de la santé des salariés au travail.

Mais quel que soit le professionnel ou l’organisme chargé par le médecin du travail de la mise en œuvre éventuelle de ces actions, les informations personnelles collectées sur les salariés ne sont jamais « communicables à l’employeur ».

Le médecin du travail est d’abord un médecin, titulaire d’un certificat de spécialité.

En tant que médecin, le médecin du travail est soumis au secret médical prévu par le Code de la santé publique, et renforcé par le Code pénal.

Même si « tout salarié bénéficie d’un examen médical à la demande de l’employeur ou à sa demande », le secret médical interdit au médecin du travail de dévoiler à l’employeur les résultats de cet examen médical.

« Le secret professionnel institué dans l’intérêt des patients s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris ».

En conséquence, même dans l’hypothèse d’une action en prévention de la consommation de stupéfiants sur le lieu de travail menée par le médecin du travail, sur son initiative et en liaison avec l’entreprise concernée, les informations personnelles ainsi collectées ne peuvent jamais être communiquées à l’employeur.

Henri PESCHAUD, avocat

 

(*) Depuis le 1er janvier 2017, le conseil des prud’hommes a une compétence exclusive pour statuer sur les litiges relatifs aux avis d’inaptitude, aux propositions, conclusions écrites ou indications émises par le médecin du travail (C. trav., art. L. 4624-7). Les modalités et les délais de recours prud’homal figurent sur les avis et mesures émis par le médecin du travail (C. trav., art. R. 4624-45).

Articles de cet auteur