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vendredi 27 février 2009 par Henri PESCHAUD

I. Les faits

La profession d’avocat est une profession réglementée.

Pour y accéder, il est nécessaire de remplir certaines conditions.

Celles-ci sont énumérées à l’article 11 de la loi du 31 décembre 1971, actualisée par la loi du 31 1990 : nationalité, moralité, compétence attestée principalement par des diplômes.

En ce qui concerne la condition de diplôme, la voie d’accès ordinaire au barreau pour un étudiant justifiant d’une maîtrise en droit consiste à passer l’examen d’accès à un centre régional de formation professionnelle (CRFP) aux fins d’y obtenir, au terme d’une formation de dix huit mois, le certificat d’aptitude à la formation d’avocat (CAPA).

L’obtention du CAPA permet à l’étudiant qui en est titulaire de demander immédiatement son inscription au tableau d’un barreau.

Certaines personnes peuvent néanmoins accéder au barreau sans suivre ce cursus.

Il s’agit de professionnels ayant exercé une autre profession juridique que celle d’avocat.

Les différents Conseils de l’ordre ont tenté de limiter l’accès de ces professionnels au barreau, en s’appuyant sur une interprétation restrictive des dispositions de l’article 98 du décret de 1991, qui encadre les conditions d’accès de ces professionnels à la profession d’avocat par la voie dérogatoire.

Ceux qui nous intéressent particulièrement ici sont les juristes attachés pendant huit ans au moins à l’activité juridique d’une organisation syndicale.

La jurisprudence de la Cour de cassation, d’abord accueillante pour cette catégorie, a pendant quelques années durci sa position, avant de libéraliser à nouveau cette voie d’accès à la profession.

La nouvelle orientation de la Cour de cassation a trouvé à s’exprimer dans un arrêt de sa première chambre civile du 29 novembre 2005.

M. Philippe X... a, le 3 mars 2003, sollicité son inscription au barreau d’Avignon en étant dispensé de la formation théorique et pratique et du certificat d’aptitude à la profession d’avocat, sur le fondement des dispositions de l’article 98-5 du décret du 27 novembre 1991.

Il invoquait, à l’appui de sa demande, avoir été depuis janvier 1994 attaché à l’activité juridique de l’organisation syndicale Force ouvrière où il exerçait les fonctions de responsable juridique de son union départementale.

Le conseil de l’Ordre des avocats du barreau d’Avignon a rejeté sa requête au motif que M. X... ne justifiait pas d’une activité exclusive de juriste au sein de l’organisation syndicale.

II. Discussion

L’article 98.5° du décret de 1991 entrouvre les portes de la profession d’avocat aux juristes de syndicats :

« Sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d’aptitude à la profession d’avocat : (…)

Les juristes attachés pendant huit ans au moins à l’activité juridique d’une organisation syndicale ».

Quels sont la nature (« activité juridique ») et le quantum (« huit ans au moins ») de l’activité consacrée par le juriste au service de son organisation syndicale ?

Les deux questions de droit à trancher sont en effet les suivantes :

  • l’activité de juriste attaché pendant huit ans au moins à l’activité juridique d’une organisation syndicale doit-elle être prise en compte lorsque cette activité est exercée à temps partiel, ou encore lorsque le juriste du syndicat exerce concomitamment plusieurs activités non spécifiquement juridiques ?
  • l’activité de juriste au service d’un syndicat peut-elle se déployer en direction de l’ensemble des salariés syndiqués ou non, ou au contraire doit-elle être exercée dans l’intérêt des seuls membres du syndicat ?

La réponse à ces deux questions de droit passe par un examen des règles applicables, en particulier telles qu’elles sont interprétées par la première chambre civile de la Cour de cassation.

A. L’interprétation jurisprudentielle de l’article 98.5 du décret de 1991

Il faut compléter cette rédaction de l’article 98.5 par l’interprétation qu’en donne la Cour de cassation.

Jusqu’en novembre 2005, la Cour de cassation faisait une interprétation restrictive de l’article 98.5, concernant l’accès au barreau des juristes attachés à l’activité juridique d’un syndicat.

Depuis le 26 novembre 2005, tend à entrouvrir un peu plus largement l’accès au barreau en faveur des juristes de syndicats.

1. Ancienne interprétation l’article 98.5 : l’activité du juriste de syndicat devait être « exclusive et à temps complet »

Dans l’affaire du 29 novembre 2005 commentée, le conseil de l’Ordre des avocats au barreau d’Avignon, comme la Cour d’appel du Vaucluse, ont rejeté la requête au motif que M. X... ne justifiait pas d’une activité exclusive au sein de son organisation syndicale.

Le Conseil de l’ordre et la Cour d’appel mettaient simplement en œuvre l’ancienne jurisprudence de la Cour de cassation.

En effet, après avoir admis un temps que l’activité de juriste de syndicat devait être simplement « prépondérante » et pouvait s’accommoder de tâches administratives [1] , la Cour de cassation a par la suite longtemps exigé que les juristes de syndicats consacrent « à temps complet » une activité « exclusivement » juridique au service du syndicat .

Cette position semblait par trop restrictive et artificielle.

Le paragraphe 5° précité de l’article 98 ne précise aucunement que les juristes de syndicats doivent avoir obligatoirement exercé leurs activités juridiques de façon « exclusive » et « à temps complet » au service du syndicat.

La Cour de cassation ajoutait ainsi à la lettre du paragraphe 98.5° une double condition restrictive qui n’y figurait pas : l’exclusivité d’une activité juridique exercée à temps complet.

Cette double restriction est écartée aujourd’hui, au profit d’une autre interprétation plus large.

2. Nouvelle interprétation de l’article 98.5 : l’activité du juriste de syndicat doit être « spécifique et continue »

En retenant que le juriste de Force Ouvrière « ne justifiait pas d’une activité exclusive au sein de l’organisation syndicale », la Cour d’appel du Vaucluse n’avait fait qu’une application conforme de l’ancienne jurisprudence de la première chambre civile de la Cour de cassation.

Pourtant, la Cour de cassation reproche à la Cour d’appel de n’avoir pas « précisé en quoi la mise en place progressive du service juridique par M. X... lui-même excluait qu’il ait assumé personnellement, pendant ce temps, l’activité juridique dont le besoin justifiait précisément la création d’un service, ni en quoi ses autres activités, qui ont pu n’être effectuées que de façon ponctuelle ou en dehors de ses horaires habituels, l’avaient effectivement empêché d’avoir une activité spécifique et continue de juriste pour son organisation syndicale » .

Elle casse la décision de la Cour d’appel au motif que, en réalité, « M. X... avait justifié d’une participation effective, depuis huit ans au moins, à l’activité juridique du syndicat professionnel Force ouvrière du Vaucluse :

  • que ce soit en matière de consultations juridiques ;
  • d’assistance juridique aux comités d’entreprises, représentants du personnel et défenseurs syndicaux ;
  • de défense des consommateurs ;
  • comme en matière de rédaction d’actes pour les syndicats ou leurs adhérents ».

Dans cet arrêt, la Cour de cassation ne fait plus référence qu’à une activité juridique « spécifique et continue » que le juriste de syndicat doit mener en faveur de son organisation.

B. Portée de la nouvelle interprétation de l’article 98.5

La première chambre civile n’exige plus que le juriste de syndicat ait exercé une activité juridique « exclusive » et « à temps complet » au service de son syndicat.

Une activité « continue » est une activité « qui n’est pas interrompue dans le temps » (Le Petit Robert).

La définition de l’activité « spécifique » par contre nous laisse dans une relative incertitude : c’est une activité qui a « son caractère et ses lois propres ».

Cependant, une activité « spécifique » n’est pas une activité « exclusive ».

L’activité « exclusive » est une activité « qui exclut tout partage ».

L’activité « spécifique » semble donc pouvoir se partager avec d’autres activités, non « spécifiques ».

De plus, ces activités « spécifiques » n’ont plus à être exercées « à temps complet ».

La notion d’activité « spécifique et continue » exigée d’un juriste syndical semble donc moins contraignante que celle requise antérieurement, exercée « à titre exclusif et à temps complet ».

L’examen des circonstances de l’espèce qui a donné lieu à l’arrêt du 29 novembre 2005 achèvera de nous en convaincre.

1. L’exercice d’activités juridiques n’entrant pas dans le cadre strict de l’article 98.5 est désormais admis, dès l’instant qu’elles sont ponctuelles, ou ne sont pas exécutées pendant « l’horaire habituel de travail »

Dans le cas d’espèce qui était soumis à la première chambre civile, ni « la mise en place progressive d’un service juridique », ni « l’exercice d’autres activités qui n’auront pu être effectuées que de façon ponctuelle ou en dehors de ses horaires habituels », n’empêchent en elles-mêmes un syndicaliste « d’avoir une activité spécifique et continue de juriste pour son organisation syndicale » .

Ces activités consistaient pourtant rien moins qu’en :

  • « la poursuite d’études supérieures de droit avec le centre audiovisuel d’études juridiques jusqu’en 2000, concomitante de son activité de juriste » ;
  • « l’enseignement qu’il avait dispensé aux militants, même donné en matière juridique » ;
  • et enfin « ses fonctions de secrétaire général adjoint du syndicat, membre du bureau, (qui, d’après les moyens du pourvoi en défense) ne pouvaient se réduire à une simple représentation occasionnelle ». Il est ainsi clairement établi que :

 

  • des activités non juridiques (secrétaire général adjoint du syndicat, membre du bureau…) ;
  • ou des activités juridiques qui ne rentrent pas dans le cadre strict de l’article 98.5 du décret de 1991 (poursuite d’études supérieures en droit, enseignement juridique dispensé aux militants) ; ne sont plus en elles-mêmes un obstacle à l’intégration du juriste de syndicat à la profession d’avocat.

Il faut mais il suffit que, « pendant ses horaires habituels de travail », le syndicaliste ait « une activité spécifique et continue de juriste pour son organisation syndicale ».

2. L’activité juridique n’est plus obligatoirement à temps complet

La référence à une activité juridique « exclusive » et « à temps complet » ayant disparu, une « activité juridique » exercée à temps partiel par un juriste de syndicat devrait pouvoir être prise en considération comme condition de son intégration à la profession.

Il est évidemment légitime de se demander si cette activité juridique à temps partiel doit répondre à une condition minimale : mi-temps, voire quart de temps.

On peut valablement considérer que l’intensité de l’activité juridique au quotidien, et pas seulement sur une période relativement longue de huit années, est un gage de compétence et d’expérience du juriste de syndicat.

Un juriste travaillant une journée par semaine, soit un quart de temps complet, mettra sans aucun doute plus de temps à acquérir l’expérience d’un juriste travaillant à temps complet.

La première chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée récemment, indirectement, sur cette question :

« La dispense partielle de formation accordée aux juristes d’entreprise remplissant la condition de pratique professionnelle ne constitue pas un droit attaché à l’ancienneté, mais un mode d’accès à une profession à caractère dérogatoire et, partant, d’interprétation stricte, subordonné à une condition d’aptitude tenant à une expérience pratique réelle et effective pour la durée requise » . Le fait d’exercer une activité juridique à mi-temps au service de son syndicat prive-t-il un juriste de syndicat de la « condition d’aptitude tenant à une expérience pratique réelle et effective pour la durée requise » ?

Compte-tenu de cette jurisprudence exigeant que les huit années d’activité juridique correspondent à une « expérience pratique réelle et effective », il semble techniquement raisonnable et juridiquement pertinent de convertir en un équivalent temps plein l’activité juridique lorsqu’elle est exercée à temps partiel.

L’activité juridique réduite, au quotidien ou à la semaine, voire à l’année dans le cadre d’un temps partiel annualisé, d’un juriste à temps partiel serait compensée par une activité sur une plus longue durée calendaire. Ainsi, par exemple, il pourrait être admis qu’un juriste de syndicat exerçant son activité à mi-temps devrait avoir travaillé pendant 16 années à mi-temps en cette qualité, ce qui équivaudrait à huit années d’activité juridique exercées à temps complet au bénéfice de son syndicat.

3. L’activité de juriste au service d’un syndicat n’a pas à être nécessairement exercée dans l’intérêt des seuls membres du syndicat

Selon la Cour de cassation, le juriste d’entreprise, qui peut accéder à la profession d’avocat en application de l’article 98.3 du décret de 1991, mais qui est employé dans un service de l’entreprise à la résolution des problèmes des clients de l’entreprise, ne peut bénéficier de cette voie d’accès .

Par analogie avec cette jurisprudence de la Cour de cassation, doit-on exiger du juriste de syndicat qu’il exerce son activité juridique « spécifique et continue » dans « un service spécialisé chargé de la résolution des problèmes juridiques » de la seule organisation syndicale. En d’autres termes, l’activité de juriste de syndicat doit-elle être prise en considération seulement lorsqu’elle est exercée dans l’intérêt des membres du syndicat, pour régler les problèmes internes de ce syndicat, et non dans l’intérêt des personnes extérieures au syndicat, non syndiquées, qui viendraient le consulter ?

Cette jurisprudence concernant les juristes d’entreprise ne trouve pas à s’appliquer aux juristes de syndicat.

Il a été jugé depuis longtemps qu’exiger du juriste de syndicat qu’il exerce une activité « extérieure de consultation et de rédaction d’actes » du syndicat , et non « une activité de juriste au sein de l’organisation interne », c’était ajouter à l’article 98.5 « une condition qu’il ne comportait pas » .

Le raisonnement inverse serait tout aussi exact : exiger du juriste de syndicat qu’il exerce son activité exclusivement « au sein de l’organisation interne », ce serait ajouter à l’article 98.5° une condition qui n’y figure pas.

Dans l’arrêt précité du 29 novembre 2005, la Cour de cassation il y a une confirmation implicite de cette jurisprudence.

La première chambre civile retient que le juriste du syndicat « M. X... avait justifié d’une participation effective, depuis huit ans au moins, à l’activité juridique du syndicat professionnel Force ouvrière du Vaucluse ».

Cette activité juridique du syndicat consistait, rappelons-le, à :

  • donner des consultations juridiques ;
  • assister juridiquement des comités d’entreprise, des représentants du personnel et des défenseurs syndicaux ;
  • la défense des consommateurs ;
  • la rédaction d’actes pour les syndicats ou leurs adhérents.

La question de savoir si cette activité juridique était « exercée dans l’intérêt des membres du syndicat » n’est pas au centre du débat pour la première chambre civile de la Cour de cassation.

Bien sûr, il est fait référence à l’assistance juridique de « défenseurs syndicaux », à la « rédaction d’actes pour les syndicats ou leurs adhérents », mais pas exclusivement, ni semble-t-il principalement. Ce juriste de syndicat donnait-il ses « consultations juridiques » à un public exclusif de syndiqués, défendait-il les seuls « consommateurs » adhérents du syndicat ?

Rien n’est dit à ce sujet.

En revanche, il est clair que « l’assistance juridique des comités d’entreprise » et « des représentants du personnel » déborde de loin le cadre d’une activité juridique au service du seul syndicat ou de ses adhérents.

Admettons que tous les comités d’entreprise ainsi « assistés » étaient composés d’une majorité de représentants des salariés adhérents au syndicat Force Ouvrière.

Admettons encore que tous les tous les représentants du personnel que ce juriste assistait également étaient adhérents au syndicat Force Ouvrière.

Les comités d’entreprise, « expression collective des salariés » (C. trav., art. L. 2323-1), ont cependant une personnalité juridique et un objet distincts de celle du syndicat.

Les représentants du personnel, chargés « de présenter aux employeurs toutes les réclamations individuelles ou collectives », de saisir l’inspecteur du travail en cas de violation « des dispositions légales », et titulaires d’un droit d’alerte en cas « d’atteinte aux droits des personnes », sont autonomes par rapport au syndicat, et ne sont du reste pas obligatoirement élus sur des listes syndicales aux élections professionnelles.

[1] Cass. soc., 21 mars 1995 : BC V, n° 135 ; - 30 mai 1995 : n° 93-12030