En cas de prise d’acte de la rupture de son contrat de travail pour un manquement grave de l’employeur « in futurum » - qui n’est pas encore survenu -, cette prise d’acte produit-elle les effets d’un licenciement injustifié ? C’est ce que semble admettre un arrêt récent de la cour de cassation du 1er décembre 2021 (n° 19/20139), dans le contexte bien précis de l’obligation faite à l’employeur de reprendre le versement du salaire un mois après un avis d’inaptitude du salarié, en l’absence de son reclassement ou de son licenciement.
I. Les faits.
Mme X travaillait au service de la société ISS Propreté. Le 2 septembre 2014, son contrat de travail était transféré à la société Anet et Services, ce transfert conventionnel étant garanti par la convention collective nationale des entreprises de propreté.
A la date du transfert, Mme X était en arrêt de travail depuis le 15 avril 2014, arrêt de travail reconnu comme maladie professionnelle le 8 septembre 2014.
Mme X a saisi une première fois, le 29 mai 2015, « le conseil des prud’hommes de Versailles aux fins d’obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail pour absence de reclassement ou de licenciement suite à inaptitude ».
Mais la Cour d’appel de Versailles a relevé : « que la date de fin de l’arrêt de travail ne puisse être précisément déterminée par les éléments communiqués ». Et « Il ne ressort pas des pièces produites aux débats qu’à cette date, l’arrêt de travail de Mme X avait pris fin ». Pour les juges d’appel, « le manquement n’est pas établi » [1].
En tout état de cause, avant que le conseil des prud’hommes ait eu à statuer, « à l’issue de trois visites médicales, les 30 septembre, 15 octobre et 29 octobre 2015, Mme X était déclarée définitivement inapte au poste d’agent de propreté, mais apte à un poste d’accueil. Par courrier du 2 novembre 2015, le médecin du travail notifiait à la société Anet et Services la fiche d’inaptitude de Mme X ».
La situation semblait en voie d’être régularisée par l’employeur, lorsque le 16 décembre 2015 « l’avocat de Mme X prenait acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur reprochant à ce dernier l’absence de reclassement ou de licenciement et le défaut de reprise du versement des salaires » [2].
Dès lors, la demande de résolution judiciaire du contrat de travail de Mme X, introduite précédemment le 29 mai 2015 devant le conseil des prud’hommes, ne pouvait prospérer, son contrat de travail étant déjà rompu par sa prise d’acte de la rupture, et « rupture sur rupture ne vaut » [3].
Par courrier du 12 janvier 2016, la société Anet et Services adressait néanmoins à Mme B une proposition de reclassement comme agent d’accueil, et réitérait cette proposition par courriers des 22 janvier 2016, 25 février 2016 et 16 mars 2016.
Les documents de fin de contrat, datés du 1er janvier 2016 (!), étaient finalement adressés à Mme X par courrier du 5 juillet 2026.
Il restait au conseil des prud’hommes de Versailles à faire produire à « la prise d’acte de la rupture du contrat de travail de Mme X » « les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse », ce qu’il fit dans son jugement du 23 février 2017.
Toutefois, les juges du premier degré ne se prononçaient pas sur le salaire d’inactivité de la période postérieure de plus d’un mois à l’avis du médecin du travail déclarant Mme X « définitivement inapte » le 29 octobre 2015 [4].
La Cour d’appel de Versailles infirmait ce jugement, estimant qu’il n’était justifié à l’encontre de la société Anet et Services « d’aucun manquement empêchant la poursuite du contrat de travail ».
En conséquence, selon le juge d’appel, « la prise d’acte de Mme X doit dès lors s’analyser comme une démission, ayant pris effet à la date d’envoi de la lettre, soit le 16 décembre 2015 » [5].
C’est en cet état que l’affaire était soumise à la cour de cassation sur pourvoi de la salariée.
II. Discussion.
Les deux moyens principaux du pourvoi exposés par Mme X devant la cour d’appel étaient : d’une part, « que Mme X reprochait à la société Anet et services de n’avoir effectué aucune recherche de reclassement avant qu’elle prenne acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs ladite société ; que la cour d’appel qui n’a pas examiné ce moyen déterminant a entaché sa décision d’un grave défaut de motifs et violé l’article 455 du Code de procédure civile » (A) ; d’autre part, « tout en constatant que l’employeur n’avait ni reclassé ni licencié Mme X dans le mois qui a suivi la visite de reprise du 29 octobre 2015, a estimé qu’il ne pouvait être reproché à la société Anet et Services de n’avoir pas repris le paiement du salaire parce que la salariée avait pris acte de la rupture de son contrat de travail le 16 décembre 2015 » (B).
A. La preuve de la recherche du reclassement pèse sur l’employeur, ce qu’il appartient aux juges du fond de vérifier.
« Lorsqu’à l’issue du délai d’un mois à compter de la date de l’examen médical de reprise du travail le salarié déclaré inapte n’est pas reclassé dans l’entreprise ou n’a pas été licencié, l’employeur lui verse, dès l’expiration de ce délai, le salaire correspondant à l’emploi qu’il occupait avant la suspension de son contrat de travail. Ces dispositions s’appliquant également en cas d’inaptitude à tout emploi dans l’entreprise constaté par le médecin du travail » [6].
Il a été précisé que ce texte n’impose pas à l’employeur une obligation de licencier en l’absence de reclassement possible du salarié, mais une simple incitation financière.
L’employeur a le droit de ne pas licencier même si le reclassement est impossible. Il peut préférer payer les salaires en attendant la possibilité de mettre à la retraite le salarié, par exemple, plutôt que procéder à son licenciement.
Le salarié ne pourra prendre l’initiative de la rupture du contrat et faire décider que celle-ci est imputable à l’employeur que si ce dernier ne paie pas les salaires dus dans le délai d’un mois suivant le constat d’inaptitude.
Etant rappelé que la reprise du paiement des salaires ne dispense pas l’employeur de son obligation de reclasser le salarié inapte non licencié [7].
Si l’employeur n’exécute pas les obligations qui sont légalement à sa charge, le salarié peut : Soit invoquer cette inexécution pour prendre acte de la rupture, et faire juger que celle-ci produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec le versement des indemnités de rupture et du salaire d’inactivité du premier jour du mois suivant la déclaration d’inaptitude jusqu’à la date de la prise d’acte [8] ; Soit demander la résiliation judiciaire de son contrat pour manquement grave de l’employeur à son obligation essentielle de reprendre le paiement de ce salaire, et obtenir le versement de celui-ci jusqu’à la rupture prononcée par le juge, en sus des indemnités de rupture [9].
Dans l’affaire commentée, Mme X a choisi de prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de la société Anet et services le 16 décembre 2015.
Pourquoi cette prise d’acte de la rupture le 16 décembre 2015 ?
Mme X a décompté le délai d’un mois de reprise du paiement de son salaire à compter de la seconde visite du médecin du travail, soit le 15 octobre 2015, le 15 décembre suivant étant la première date échue suivant l’obligation de reprise [10].
Selon la cour d’appel : « l’employeur n’a ni reclassé, ni licencié la salariée dans le mois qui a suivi la visite médicale de reprise du 29 octobre 2015. Il avait donc l’obligation de reprendre le versement du salaire à compter du mois de décembre 2015 puis les mois suivants » [11].
Mais pour la cour de cassation, cette motivation est insuffisante : la cour d’appel, « sans répondre aux conclusions de la salariée qui reprochait à l’employeur de n’avoir effectué aucune recherche de reclassement (…) n’a pas satisfait aux exigences » de l’article 455 du Code de procédure civile, le défaut de réponse à conclusions constituant un défaut de motifs, et une première cause de cassation.
En effet, à l’issue de la dernière visite médicale de reprise du 29 octobre 2015 « Mme X était déclarée définitivement inapte au poste d’agent de propreté, mais apte à un poste d’accueil », alors que plusieurs mois après, à quatre reprises, la société Anet et Services « adressait à Mme X une proposition de reclassement comme agent d’accueil » [12].
L’employeur devra ainsi expliquer, devant la cour d’appel de renvoi, pourquoi ce reclassement de Mme X à un poste d’agent d’accueil conforme à la proposition de reclassement du médecin du travail, qui était possible entre janvier et mars 2016, ne l’était pas à compter du 29 octobre 2015.
B. La preuve incertaine de l’absence de reprise du versement du salaire.
« Lorsque, à l’issue d’un délai d’un mois à compter de la date de l’examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n’est pas reclassé dans l’entreprise ou s’il n’est pas licencié, l’employeur lui verse, dès l’expiration de ce délai, le salaire correspondant à l’emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail. Ces dispositions s’appliquent également en cas d’inaptitude à tout emploi dans l’entreprise constatée par le médecin du travail » [13].
L’obligation de reprendre le versement du salaire lie l’employeur, même si le salarié a refusé de façon abusive le reclassement qui lui était proposé, tant que le licenciement n’a pas été prononcé, le refus abusif du salarié permettant seulement à l’employeur de ne pas payer les indemnités de rupture [14].
Concernant les seuls salariés accidentés du travail ou atteints d’une maladie professionnelle comme Mme X, il a été institué depuis le 1er juillet 2020 une « indemnité temporaire d’inaptitude » pour le mois séparant la déclaration d’inaptitude du médecin du travail de leur éventuel reclassement ou licenciement [15].
La cour de cassation fait une application littérale de l’article L1226-11 précité, en décidant que « le point de départ du délai d’un mois à l’expiration duquel l’employeur doit reprendre le paiement des salaires est la date de l’examen médical de reprise », en l’occurrence le 29 octobre 2015, et non la date de notification du constat d’inaptitude à l’employeur par la médecine du travail, soit ici le 2 novembre 2015 [16].
Il s’ensuit que tout retard dans la notification de l’avis d’inaptitude par la médecine du travail s’impute sur le mois laissé à l’employeur pour tenter de reclasser ou à défaut de licencier le salarié inapte avant d’être dans l’obligation de reprendre le versement du salaire, et facilite d’autant la possibilité pour le salarié inapte, non reclassé ni licencié et non payé passé ce délai d’un mois plus ou moins réduit laissé à l’employeur par la médecine du travail, de prendre acte de la rupture de son contrat de travail.
La cour d’appel constatait qu’il était contractuellement « prévu que la paye interviendrait le 11 du mois suivant le mois civil travaillé et serait réglée par chèque. Le salaire du mois de décembre 2015 devait donc être versé le 11 janvier 2016. Or, sans attendre cette échéance et sans laisser à son employeur la possibilité de s’acquitter de son obligation de versement du salaire, la salariée a, dès le 16 décembre 2015, pris acte de la rupture de son contrat de travail » [17].
Les juges d’appel ont cru pouvoir en conclure : « il ne peut être reproché à la société Anet et Services d’avoir méconnu son obligation de reprendre le versement des salaires » [18].
Si la preuve du paiement du salaire pèse sur l’employeur [19], le contrat de travail de Mme X obligeait la société Anet et Services à payer le mois de décembre 2015 seulement le 11 janvier 2016, soit près d’un mois après la prise d’acte de la rupture du 16 décembre 2015.
En tout état de cause, au-delà des dispositions contractuelles propres à l’espèce, le salaire est légalement payé selon une périodicité mensuelle, sans qu’une date précise ne soit imposée par le Code du travail [20], dès lors que cette date est identique d’un mois sur l’autre.
Le 16 décembre 2015, Mme X a pris acte de la rupture de son contrat de travail au motif notamment de « l’absence de reprise du versement du salaire, un mois après la seconde visite d’inaptitude, constitue une violation grave de vos obligations en votre qualité d’employeur » [21].
Mme X qui s’est méprise sur la date à laquelle il convenait de décompter le mois séparant la déclaration d’inaptitude de l’obligation de reprise du versement du salaire, ne pouvait savoir que le salaire du mois de décembre 2015 ne lui serait pas payé le 11 janvier 2016, sauf si elle avait demandé entre temps un acompte correspondant pour une quinzaine à la moitié de la rémunération mensuelle [22] du mois de décembre 2015, - acompte qui est de droit et qui lui aurait été refusé -, ce qui ne semble pas avoir été le cas.
Cette situation nous renvoie à la jurisprudence constante de la cour de cassation, qui exige que le motif de la rupture soit actuel, et non futur [23].
La cour de cassation, sans examiner cette difficulté réelle de calendrier, à la fois juridique et factuelle relevée par les juges d’appel, rappelle simplement que « le point de départ du délai d’un mois à l’expiration duquel l’employeur doit reprendre le versement des salaires est la date de l’examen médical de reprise », ce qui devait suffire selon la haute juridiction à accueillir la demande de Mme X « tendant à voir dire que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ».
C’est sans doute là que réside selon nous l’originalité de cet arrêt de cassation, pourtant pris en formation restreinte et diffusé aux seuls abonnés de la base de la cour de cassation, mais qui mérite d’être relevé [24].
La Haute Juridiction semble en effet reconnaître au salarié, dans le cas particulier de l’espèce, le droit de prendre acte de la rupture de son contrat de travail pour une faute grave de l’employeur qui n’est pas encore avérée (l’absence de reprise du versement du salaire un mois après le constat d’inaptitude), une faute grave patronale « in futurum ».
Mais s’il est impossible de changer le passé, on peut « changer le futur », et se demander si la solution aurait été identique si la société Anet et Services avait bien payé à Mme X le mois de décembre 2015 à la date contractuellement convenue du 11 janvier 2016 [25], alors que la prise d’acte avait été notifiée à la société Anet et Services le 16 décembre 2015.
Le moyen de cassation tiré de l’absence de reprise du paiement des salaires un mois après la constatation d’inaptitude de Mme X le 29 octobre 2015 aurait-il pu être alors retenu ?
Notes de l'article:
[1] CA Versailles, 23 mai 2019 : n° 17/01451, p. 6.
[2] CA Versailles, 23 mai 2019 : n° 17/01451, p. 3.
[3] Cass. Soc., 30 avril 2014 : n° 13-10772.
[4] CA Versailles, 23 mai 2019 précité, p. 3.
[5] CA Versailles, 23 mai 2019 précité, p. 7.
[6] C. trav., art. L. 1226-11.
[7] Cass. Soc., 3 mai 2006 : n° 04-40721 ; - Soc., 8 septembre 2021 : n° 19-24448.
[8] Cass. Soc., 1 mars 2017 : 15-28563.
[9] Cass. Soc., 14 décembre 2011 : n° 10-14251.
[10] Lettre de prise d’acte de la rupture, 16 décembre 2015. CA Versailles, 23 mai 2019 précité, p. 3.
[11] CA Versailles, 23 mai 2019 précité, p. 6.
[12] CA Versailles, 23 mai 2019 précité, p. 3.
[13] C. trav., art. L1226-11.
[14] Cass. Soc., 7 décembre 1999 : n° 97-43775. Publié au bulletin.
[15] Un document CERFA n° 14103*01 complété par l’employeur, le médecin du travail et l’assuré permet à ce dernier, en attente de reclassement ou de licenciement, de percevoir une indemnité journalière de son centre de sécurité sociale dont le montant est égal au montant de la dernière indemnité journalière d’accident du travail ou de maladie professionnelle versée pendant l’arrêt de travail lié à la maladie professionnelle ayant entraîné l’inaptitude. C. trav., art. D. 4624-47 ; CSS, art. L433-1 et D.433-2 à D. 433-8.
[16] Confirmation de jurisprudence : le délai d’un mois est un délai « préfix ». Cass. Soc., 3 juillet 2013 : 11-23.687. Publié au bulletin ; - Soc., 4 avril 2012 : n° 10-10.701, Bull. 2012, V, n° 115.
[17] CA Versailles, 23 mai 2019 précité, p.7.
[18] CA Versailles, 23 mai 2019 précité, p. 7.
[19] C. trav., art. L3242-1.
[20] C. trav., art. L3242-1 et s.
[21] Lettre de prise d’acte de la rupture du 16 décembre 2015 précitée. CA Versailles, 23 mai 2019 précité, p. 5.
[22] C. trav., art. L3242-1.
[23] Ainsi, le licenciement pour faute grave d’un salarié annonçant à son employeur son intention de ne pas reprendre son travail après la fin de son arrêt maladie a été jugé injustifié. Cass. Soc., 13 mars 2019 : n° 17-27015.
[24] Arrêt siglé (F-D), figurant après le numéro de pourvoi : ne semble rien ajouter pour les chambres à la doctrine de la Cour.
[25] au lieu de lui proposer un reclassement aussi inutile que tardif à quatre reprises les 12 janvier, 22 janvier, 25 février et 16 mars 2016, pour finalement lui délivrer les documents de fin de contrat le 5 juillet 2016… antidatés au 1er janvier 2016 ! CA Versailles, 23 mai 2019 précité, p. 3.
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