Quel est le juge européen compétent pour attribuer une pension alimentaire à l’enfant ?
Cette question se pose très sérieusement, au regard de l'arrêt rendu par la Cour de Justice de l'Union Européenne le 5 septembre 2019.
On se souviendra de l'arrêt, rendu par la Cour de Justice de l'Union Européenne, le 16 juillet 2015 ( CJUE 16.07.2015 ; C‑184/14) , que nous avions d'ailleurs commenté dans cette rubrique, qui a indiqué à l'époque que lorsqu'une juridiction d'un État membre est saisie d'une action portant sur la rupture du lien conjugal entre les parents d'un enfant mineur et qu'une autre juridiction d'un autre État membre est saisie d'une action en responsabilité parentale concernant ce même enfant, une demande relative à une obligation alimentaire le concernant est uniquement accessoire à l'action relative à la responsabilité parentale (cela concernait la situation d'un couple d'italiens vivant avec les enfants à Londres, dont le mari était reparti demander le divorce en Italie, et l’épouse avait formé une demande en responsabilité parentale devant le juge anglais, chacun des parents revendiquant la compétence du juge du divorce, pour le premier, et du juge de la responsabilité parentale, pour la seconde, comme juge de la prorogation de la demande en obligation alimentaire concernant les enfants.)
À cette occasion, la Cour de Justice de l'Union Européenne avait indiqué que l'action en obligation alimentaire était uniquement accessoire à l'action relative à la responsabilité parentale, et elle avait justifié ce choix par la plus grande proximité entre les enfants concernés et le juge compétent.
Il s'agissait néanmoins de faire le choix, entre le juge compétent pour ce qui concerne l'obligation alimentaire, par prorogation vers le juge du divorce ou celui de l'autorité parentale, en application des articles 3-c et 3-d du règlement Obligations alimentaires N° 4/2009 du 18 décembre 2008.
Seulement, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 5 septembre 2019 les faits étaient légèrement différents puisqu'un couple de Roumains, avec enfants, vivait au Royaume-Uni.
Lors de la séparation, le mari est reparti vivre en Roumanie.
L’épouse, qui avait conservé la résidence des enfants au Royaume-Uni avec elle, a demandé le divorce devant le juge roumain, lui a demandé de statuer sur la responsabilité parentale et sur l'obligation alimentaire vis-à-vis des enfants.
Le juge roumain s'est reconnu compétent pour la dissolution du mariage, mais pas pour la responsabilité parentale au motif que les enfants vivaient au Royaume-Uni et que les dispositifs de prorogation de sa compétence en vertu des dispositions de l'article 12 du règlement Bruxelles II bis n'étaient pas réunis.
Néanmoins, et probablement à cause de l'arrêt rendu par la CJUE le 16 juillet 2015, il a posé une question préjudicielle à la Cour de justice pour savoir s'il pouvait se déclarer compétent relativement à l'obligation alimentaire sur l’enfant.
La Cour de justice répond par l'affirmative, en rappelant que les dispositions des articles 3-a et 3-b du règlement Obligations alimentaires permettent aux créanciers de saisir le juge de la résidence habituelle du défendeur, ou celui de la résidence habituelle du créancier.
Ce qui est intéressant, dans cet arrêt, est la manière dont la Cour de justice a justifié sa décision, et ceci de deux façons :
- Tout d'abord elle a rappelé que les dispositions du règlement Obligations alimentaires sont autonomes, de telle sorte que si une juridiction n'est pas compétente par prorogation de la compétence sur la responsabilité parentale, il faut rechercher si elle peut être compétente sur un autre critère. De plus, les critères de compétences définis par le règlement Obligations alimentaires sont impératifs, ainsi une juridiction objectivement compétente ne peut pas se dessaisir au profit d'une autre juridiction, qui serait éventuellement mieux placée pour connaître de l’affaire, comme c'est le cas par exemple pour la dissolution du mariage au travers de l'article 15 du règlement Bruxelles II bis.
- Ensuite, la Cour de justice a rappelé que l'objectif de faveur au créancier est un des objectifs du règlement Obligations alimentaires.
La Cour de justice a rappelé que les articles 3-a et 3-b, qui laissent libre le créancier d'aliments de saisir le juge de sa résidence habituelle ou celui de la résidence habituelle du défendeur, le laissent libre également et par voie de conséquence de choisir la loi applicable, spécialement dans les hypothèses où, comme en l'espèce, une juridiction n'est pas tenue par le protocole de LA HAYE du 23 novembre 2007, désignant la loi applicable aux obligations alimentaires.
La Cour de Justice a également rappelé que ce protocole permet au créancier d’aliments, de facto, d’effectuer un choix de la loi applicable à sa demande en matière d’obligations alimentaires en prévoyant que la loi du for et non celle de l’État de résidence habituelle du créancier s’applique de manière prioritaire lorsque celui-ci introduit sa demande devant l’autorité compétente de la résidence habituelle du débiteur (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2018, Mölk, C‑214/17, points 31 et 32).
La Cour de justice, a indiqué que ce faisant, le principe de faveur aux créanciers doit leur permettre de choisir le juge compétent en vertu notamment des articles 3-a et 3-b du règlement.
Ainsi, non seulement, la Cour de justice permet à un juge compétent pour le divorce, mais pas pour la responsabilité parentale, de statuer sur l'obligation alimentaire sur les enfants, entretenant la dispersion du contentieux, mais en plus, force est de remarquer qu'elle favorise le forum shopping, le tout, il est vrai, dans l’objectif affiché de favoriser l'intérêt du créancier d’aliments.
CJUE 5 septembre 2019 Aff. C-468/18 ; Jurisdata n° 2019-016822
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