La cause paraissait entendue : nul ne dispose d’un droit de propriété sur sa vue et sur le paysage environnant. La cour d’appel de Montpellier vient de le rappeler en 2014 avec une motivation cinglante qui ne laisse guère d’illusion aux propriétaires malchanceux :
«La restriction partielle de la vue sur la mer et de l'ensoleillement résultant de la terrasse de M. L ne constitue pas pour M. C, son voisin, un préjudice indemnisable.
En effet, outre que nul ne dispose d'un droit à la vue sur l'environnement, cette gêne ne constitue pas un trouble anormal de voisinage dans ce milieu très fortement urbanisé où les maisons sont accolées les unes aux autres et où chacun doit s'attendre à être privé d'un avantage en fonction de l'évolution du bâti.» (Cour d'appel de Montpellier, Ch. 1, section A O1, 22 mai 2014, RG N° 12/06889).
Toutefois si le principe est donc toujours d’actualité, il comporte néanmoins de nombreux tempéraments apportés par la jurisprudence sur les troubles anormaux du voisinage, qui laissent encore une marge de manoeuvre pour les voisins malchanceux à condition de bien connaître les règles du jeu.
1°/ Un permis de construire est toujours accordé sous réserve du droit des tiers qui peuvent agir devant le juge civil pour trouble anormal du voisinage
Il n’est pas impossible de défendre une vue exceptionnelle sur un massif montagneux même si un permis de construire a été délivré en respectant les règles d’urbanisme locales.
La cour d’appel de Pau a été sensible aux arguments des voisins victimes de l’implantation à proximité de leur maison, d’une nouvelle habitation qui leur cachait cette vue sur les Pyrénées :
«Il est constant en droit que les permis de construire ne sont accordés que sous réserve du respect du droit des tiers.
Par ailleurs, en droit, il résulte de la restriction au droit de propriété résultant des dispositions de l'art. 544 du code civil, qu'il est interdit de causer à autrui un trouble anormal de voisinage.
Ces dispositions légales permettent la mise en œuvre d'un régime de responsabilité civile indépendant des autres régimes de responsabilité et étranger à toute notion de faute.
En l’espèce, il est établi que la construction d'une maison de 6,65 m de haut et de 7 m de long à proximité de la limite de propriété a occasionné à M. et Mme L, en réduisant très sensiblement l'ensoleillement dont ils bénéficiaient auparavant, une nuisance excédant les inconvénients normaux du voisinage. Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.»
(Voir Cour d’appel de Pau, Ch. 1, 31 mars 2014, N° 14/1221, 13/00306).
Il est vrai que les nouveaux propriétaires s’étaient accolés juste en limite de terrain, alors qu’ils avaient vraisemblablement eu le choix d’un autre emplacement moins préjudiciable et que l’obstruction de la vue était totale donc particulièrement gênante.
Il a été reconnu l’existence d’un préjudice de jouissance dans le cas d’une maison de retraite construite à proximité d’une habitation qui la privait du soleil une bonne partie de la journée, rendant la piscine inutilisable. L’expert judiciaire avait évalué la parte de valeur de la maison à environ 150.000 euros ce qui justifiait amplement la demande de dédommagement :
«Du fait de la construction d'une maison de retraite, dont les murs ont une hauteur de 10,50 mètres, les propriétaires de la maison située sur le terrain voisin ont subi une perte d'intimité du fait des nombreuses fenêtres de l'immeuble collectif donnant sur le jardin et la piscine, une perte de vue, puisque la maison a perdu la vue sur le village et la campagne environnante, une privation d'ensoleillement, la piscine étant désormais à l'ombre dès le milieu d'après-midi, et ils subissent des nuisances sonores émanant d'appareils de ventilation et d'aération de l'immeuble collectif.
Ces divers troubles, de par leur importance et leur impact particulièrement dégradant sur l'environnement qui faisait l'agrément de la propriété des demandeurs avant l'implantation de l'ouvrage, excèdent à l'évidence les inconvénients normaux du voisinage. Ils sont à l'origine d'un préjudice de jouissance important en réparation duquel les voisins sont en droit de réclamer, au regard du caractère définitif et inévitable des nuisances, des dommages-intérêts évalués à 50.000 euro. La dépréciation de la maison doit être évaluée à 148.000 euro qui représente 40 % de la valeur de l'immeuble. Enfin, les frais de plantation d'arbres pour préserver l'intimité doivent être estimés à 1500 euros.» (Cour d'appel de Limoges, Chambre civile, 8 oct. 2013, RG N° 12/00625).
La construction d’un immeuble en copropriété qui entoure une cour, au point de la transformer en un simple puits sans vue et apport direct de lumière justifiera également un dédommagement pour la parte de valeur du bien et le préjudice de jouissance :
«La perte d'ensoleillement consécutive n'est pas contestable, alors que la cour est orientée au sud-ouest, situation favorisant l'exposition à la lumière et à l'ensoleillement. Si la propriété des requérants, les époux A, se trouve dans une zone très urbanisée générant une perte d'ensoleillement résultant de la construction sur un fonds voisin, celle subie dépasse les inconvénients normaux du voisinage dès lors que la construction voisine borde presque intégralement les deux côtés de leur cour au point de la transformer en un puits sans vue ni lumière directe provenant du soleil.» (Cour d'appel de Douai, Ch. 1, sect. 2, 3 juill. 2013 - RG N° 12/03564).
On comprend donc que les cas d’indemnisation sont réservés à des situations graves, dans lesquelles la perte d’ensoleillement et de vue entrainent une gène considérable. Dans des cas plus anodins, il n’est pas possible de demander réparation dans un milieu urbain.
2°/ Même des obstacles naturels peuvent justifier une action pour trouble anormal du voisinage.
La jurisprudence civile ne se limite pas à sanctionner des ouvrages humains, elle s’intéresse aussi aux obstacles naturels sur un terrain. Elle peut s’appuyer notamment sur quelques dispositions du code civil qui protègent le voisinage des arbres de haute futaie qui seraient plantés à proximité de la limite de parcelle.
En l’absence d’usages locaux, les arbres ou arbustes dont la hauteur dépasse deux mètres doivent être implantées à deux mètres de la ligne séparative des fonds, et à la distance de cinquante centimètres, pour les autres (c.civ. art. 671). Une réponse ministérielle apporte une précision importante lorsque les arbres privent une propriété de l’apport de soleil alors qu’elle a installé des panneaux photovoltaïque sur son toit :
«en cas de trouble de voisinage causé au fonds voisin, le juge faisant application de la théorie des troubles de voisinage peut contraindre le propriétaire des plantations à procéder à leur élagage. La jurisprudence détermine dans le cadre de son pouvoir souverain d'appréciation et en fonction des cas d'espèce les obligations qui doivent être imposées au propriétaire des plantations. Cette appréciation au cas par cas permet de préserver le patrimoine écologique que constituent les arbres, d'appliquer de manière adaptée les règles destinées à créer les conditions d'un bon voisinage entre propriétaires de fonds jointifs et d'atteindre un juste équilibre entre les droits et les obligations de chacun des propriétaires riverains.» (Réponse publiée au JO le : 30/04/2013 page : 4800).
A ce sujet, on pourra se reporter au récent arrêt de la cour d’appel de Chambery en 2014, qui a reconnu l’existence d’un trouble anormal compte tenu résultant de la présence d’arbres de haute taille :
«Les époux M. sont recevables à demander en raison du trouble qu'ils subissent dans l'occupation de leur logement, même sans la démonstration d'une faute, à invoquer une perte d'ensoleillement, de luminosité et à réclamer qu'une solution soit mise en oeuvre de ce chef. La proximité des arbres, leur taille importante, occasionnent pour l'appartement du premier étage effectivement une perte de luminosité, mais le trouble n'est excessif dans une région de montagne que dans la mesure où il va au-delà des contraintes normales du voisinage et du contexte d'implantation et de vie sur place. Les arbres ont une trentaine d'années, ils avaient une vingtaine d'années à l'époque de la construction de la copropriété. Leur croissance était prévisible mais il est cependant établi par les éléments du dossier qu'ils empiètent sur le jardin voisin et en cela, par cette avancée, aggravent la perte de luminosité pour l'appartement du premier étage et qu'un élagage, tel que préconisé par l'expert judiciaire, permettrait de laisser passer davantage de lumière sans inconvénient pour la santé des arbres qui sont robustes et en bonne santé. Cette demande d'élagage ne peut être atteinte par la prescription. Il y sera fait droit.»
Le juge adopte une analyse nuancée, «au cas par cas» et examine notamment la destination de la parcelle. Si celle-ci est utilisée à des fins agricoles, arboricoles, la présence de soleil est indispensable, et donc sa privation est un préjudice indemnisable :
«La privation d’ensoleillement, en ce qu’elle compromet le développement et la mise à fruits de ces végétaux et empêche l’exploitation de leur parcelle dans des conditions normales, constitue un trouble anormal de voisinage (Civ. 3e, 3 mai 2011, F-D, n° 09-70.291).
En conclusion, si vous souffrez d’une perte d'ensoleillement sévère, et récente, des recours existent pour l'indemnisation de la perte de valeur de votre maison ou appartement ainsi que l'indemnisation de votre préjudice de jouissance.