L’agent immobilier, en tant que professionnel de l’intermédiation, n’est ni garant du bien vendu ni expert technique. Pourtant, dans un nombre croissant de litiges postérieurs à la vente, il est attrait en responsabilité par les acquéreurs mécontents, au titre d’un prétendu manquement à son devoir d’information et de conseil. Cette judiciarisation de la relation d’entremise reflète une attente croissante d’engagements implicites de résultat, notamment dans un contexte où les déséquilibres informationnels, les diagnostics parfois lacunaires et la technicité croissante des désordres immobiliers brouillent les frontières entre conseil, vente et garantie.
Plusieurs décisions récentes soulignent que la responsabilité de l’agent immobilier vis-à-vis de l’acquéreur suppose une faute caractérisée, généralement une rétention d’information connue ou une présentation trompeuse du bien. Ainsi, dans une affaire commentée (CA Versailles, 1er juill. 2021), l’agent immobilier a été condamné pour avoir laissé croire que des travaux de fondation avaient été effectués alors qu’ils ne l’avaient pas été. Ailleurs, l’omission volontaire d’un rapport technique ou la non-communication de désordres visibles, comme des fissures importantes (CA Paris, 13 oct. 2021), a pu suffire à engager la responsabilité du professionnel.
Mais à l’inverse, d'autres décisions rejettent toute faute lorsque l’agent a fourni les documents réglementaires, que les désordres sont techniques ou non apparents, et que l’acquéreur a eu l’occasion de visiter les lieux. On pense notamment à une affaire jugée par la cour d’appel de Paris le 1er décembre 2021, où la cour a rappelé qu’il ne peut être reproché à l’intermédiaire de n’avoir pas alerté sur des désordres structurels affectant une maison ancienne, dès lors que ces désordres étaient indécelables sans expertise approfondie.
C’est dans cette ligne jurisprudentielle que s’inscrit l’arrêt rendu par la cour d’appel de Reims le 23 mai 2023 (n° RG 21/01845). Dans cette affaire, un couple avait acquis une maison ancienne pour un prix de 290.000 euros, par l’intermédiaire d’une agence immobilière, et s’est trouvé confronté, après la vente, à de nombreux désordres : humidité, infiltrations, défauts de toiture, pannes d’équipements et non-conformité électrique. Après expertise, ils ont recherché la responsabilité de l’agence, lui reprochant une abstention fautive dans la vérification et la transmission des informations.
Or, la cour a écarté toute faute imputable à l’agent immobilier, retenant que ce dernier avait communiqué les diagnostics obligatoires, les factures de travaux et un mémo récapitulatif, et qu’il n’avait aucune obligation de contrôle technique approfondi. Les acquéreurs avaient en outre visité le bien à plusieurs reprises, accompagnés de professionnels. Cette décision s’inscrit ainsi dans la jurisprudence qui refuse de transformer l’agent immobilier en garant technique du bien, dès lors qu’il a satisfait à ses obligations d’information et n’a commis ni rétention, ni manœuvre, ni approximation trompeuse.
La présente note vise donc à examiner, à la lumière de cette décision et des apports doctrinaux récents, les contours actuels de la responsabilité de l’agent immobilier vis-à-vis de l’acquéreur, en insistant sur les conditions de son engagement et sur les particularités rencontrées dans les ventes de biens anciens.
I. La responsabilité de l’agent immobilier vis-à-vis de l’acquéreur : un régime fondé sur la faute, encadré par la jurisprudence
La responsabilité de l’agent immobilier envers l’acquéreur repose sur un fondement contractuel, issu du mandat ou du contrat d’intermédiation conclu avec ce dernier, dans le cadre des articles 1984 et suivants du code civil. Elle ne peut être engagée que sous condition de faute, de préjudice et de lien de causalité. Ce régime de droit commun est cependant adapté par la jurisprudence, qui en précise les contours au regard des obligations spécifiques pesant sur le professionnel.
a) Une obligation de conseil et d’information, mais non d’expertise
Le premier principe réaffirmé par les juges est que l’agent immobilier est tenu d’une obligation de conseil et d’information loyale, mais non d’un devoir d’expertise technique. Il n’est ni ingénieur, ni architecte, ni contrôleur technique. Il lui revient de transmettre les documents réglementaires obligatoires, de signaler les vices apparents ou les incohérences manifestes, mais il n’est pas tenu de procéder à des vérifications approfondies ou destructives.
Ainsi, dans une affaire commentée (CA Versailles, 1er juill. 2021), l’agent a été condamné pour avoir relayé, sans vérification, une information erronée affirmant que des travaux de renforcement de fondations avaient été réalisés. Il s’était ainsi rendu complice d’une présentation trompeuse du bien. De même, la cour d’appel de Paris (13 oct. 2021) a retenu la responsabilité d’un agent qui n’avait pas alerté sur des fissures apparentes, pourtant visibles lors de la visite.
À l’inverse, dans l’affaire jugée par la cour d’appel de Reims le 23 mai 2023, les conditions d’un manquement n’étaient pas réunies : les désordres invoqués par les acquéreurs (infiltrations, humidité, pannes électriques) n’étaient ni visibles, ni connus de l’agence, qui avait transmis les diagnostics obligatoires, les documents d’entretien, et n’avait formulé aucune affirmation erronée sur l’état du bien. Surtout, les acheteurs avaient procédé à plusieurs visites, accompagnés d’amis professionnels du bâtiment. La cour relève que l’agence n’a pas à « vérifier la réalité des travaux » allégués par le vendeur dès lors que les pièces justificatives sont transmises, et que rien ne permettait de douter de leur véracité.
b) La jurisprudence refuse l’assimilation à un garant du bien
Plusieurs arrêts convergent pour écarter toute assimilation de l’agent immobilier à une obligation de résultat ou à une garantie implicite de la qualité du bien. L’analyse du panorama jurisprudentiel confirme que, hors dissimulation volontaire d’un défaut connu ou affirmation erronée, aucune responsabilité ne peut être retenue. L’arrêt de la cour d’appel de Paris du 1er décembre 2021 est à cet égard significatif : le rejet des demandes d’un acquéreur confronté à des désordres structurels non détectables illustre bien cette limite fonctionnelle du rôle de l’intermédiaire.
En ce sens, l’arrêt de Reims de 2023 s’inscrit dans une jurisprudence constante qui protège l’agent immobilier contre une extension déraisonnable de sa responsabilité. Il illustre la distinction essentielle entre faute par omission fautive(absence de communication d’un document connu) et absence de connaissance légitime d’un désordre caché, qui ne peut être imputée à l’intermédiaire. L’arrêt rappelle opportunément que l’acquéreur ne saurait attendre de l’agent immobilier plus que ce que sa mission implique, sauf comportement délibérément fautif.
II. L’acquéreur d’un bien ancien face à l’agent immobilier : vigilance renforcée, devoir d’assistance limité
La vente d’un bien ancien, souvent porteur de désordres inhérents à sa vétusté ou à des travaux passés peu traçables, confronte l’agent immobilier à une zone de flou : comment informer loyalement sans garantir indûment ? L’arrêt rendu par la cour d’appel de Reims en 2023 permet d’éclairer cette tension : il met en lumière à la fois la bonne exécution du devoir de conseil, dans les limites de la mission de l’intermédiaire, et la nécessaire vigilance de l’acquéreur, particulièrement lorsqu’il s’agit d’un bien présentant d’emblée des signes de vétusté.
a) Un immeuble ancien, une apparence vétuste, des visites approfondies
Dans l’affaire de Reims, les magistrats ont relevé que les acquéreurs avaient visité à plusieurs reprises le bien, accompagnés de personnes ayant des compétences dans le domaine du bâtiment, et que rien n’indiquait qu’ils avaient été trompés quant à l’état général de l’immeuble. La cour constate que la maison était manifestement ancienne, que sa présentation ne dissimulait pas son âge ni son état d’entretien. Il ne s’agissait pas d’une rénovation « clé en main » vendue comme neuve, mais bien d’un bien avec ses caractéristiques propres et ses limites.
Dans une précdent affaire (CA Paris, 1er déc. 2021), les juges avaient également refusé de retenir la responsabilité de l’agent, au motif que l’acquéreur avait eu tout loisir d’examiner le bien et qu’il ne pouvait attendre d’un intermédiaire une alerte sur des désordres invisibles ou techniques. Cette position est cohérente : elle évite de transformer chaque vente d’immeuble ancien en source automatique de contentieux indemnitaires, fondés sur une forme de déception postérieure à l’achat.
b) La transmission d’informations circonstanciées : un critère d’exonération de responsabilité
L’un des apports majeurs de l’arrêt commenté réside dans l’analyse concrète des diligences accomplies par l’agence. Celle-ci avait remis aux acquéreurs les diagnostics techniques réglementaires, un mémo récapitulatif des travaux réalisés, ainsi que les factures d’entretien transmises par la venderesse. En d’autres termes, l’information était disponible, et le professionnel s’était acquitté de son obligation de transparence documentaire.
À l’instar de l’affaire jugée par la cour d’appel de Lyon le 5 novembre 2020 dans laquelle l’agent avait été déchargé de toute responsabilité après avoir remis à l’acquéreur l’ensemble des pièces relatives à l’installation électrique défectueuse, l’arrêt de Reims s’inscrit dans une jurisprudence de plus en plus attentive à l’effectivité de la transmission des documents, mais aussi à leur intelligibilité pour un acquéreur normalement prudent.
La cour d’appel rappelle ici un principe fondamental : le devoir d’information n’implique pas une obligation de vérification active ou de validation technique des documents communiqués. Il appartient à l’acquéreur, notamment en présence d’éléments d’alerte ou d’un doute légitime, de solliciter ses propres experts ou conseils. Ce principe trouve une application claire dans le fait que les acquéreurs avaient été accompagnés, à leur propre initiative, par des personnes compétentes : leur propre démarche d’investigation leur revient en charge.
c) L’équilibre contractuel préservé : pas de transfert implicite de garantie
En définitive, l’arrêt de Reims, comme plusieurs décisions similaires, préserve un équilibre contractuel salutaire : l’agent immobilier ne devient pas le garant implicite de la conformité ou de la solidité de l’immeuble, sauf à ce qu’il ait activement masqué un défaut ou affirmé une qualité inexacte. Le risque technique de la vétusté reste à la charge de l’acquéreur, qui doit — surtout dans les ventes de biens anciens — prendre ses précautions et ne pas transférer sur l’intermédiaire les effets d’un manque de diligence personnelle.
Comme le rappelait la cour d’appel de Bordeaux dans un arrêt du 25 janvier 2021, l’acquéreur qui renonce à une expertise préalable ne peut ensuite se retourner contre l’agent immobilier pour les conséquences d’un choix qu’il a lui-même opéré, dès lors que les informations nécessaires à une appréciation éclairée étaient disponibles.
En conclusion, dans cet arrêt du 23 mai 2023, la cour d’appel de Reims apporte une clarification bienvenue sur les contours de la responsabilité de l’agent immobilier envers l’acquéreur. En l’absence de manœuvre, de dissimulation ou d’information erronée, l’agent qui a transmis les diagnostics et documents disponibles ne peut être tenu responsable des désordres survenus après la vente, surtout lorsqu’il s’agit d’un bien ancien visité à plusieurs reprises.
Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante : l’agent immobilier est tenu à un devoir d’information, non à une obligation de résultat ni à un devoir d’expertise. Une ligne de partage salutaire entre intermédiation loyale et attentes excessives des acquéreurs.
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