En cas de pollution des sols, le responsable n’est pas toujours facile à identifier, tout particulièrement quand un contrat transfert la charge du risque : cela peut être le cas, lorsque l’exploitant est locataire et que le propriétaire du terrain ne souhaite pas prendre à sa charge le risque de pollution de l’activité de son locataire. 

Pour autant ces stratégies de transfert du risque ne sont pas toujours opposables à un tiers privilégié qui est l’administration et qui à pour mission de faire respecter la législation environnementale. on distinguera donc les différentes situations qui peuvent se présenter et le régime de responsabilité applicable.

De même, le législateur a prévu des obligations d’information à la charge du vendeur d’un site pollué afin de prévenir le risque supporté par l’acquéreur qui n’avait pas connaissance de l’activité polluante.

 

I - L’administration comme tiers aux prérogatives particulières en cas de pollution des sols peut se retourner contre le dernier exploitant des lieux

 

L’article 1er de la loi du 19 juillet 1976, relative aux installations classées pour la protection de l’environnement insinue un régime spécial de contrôle des exploitations polluantes inscrites sur une nomenclature. Elles sont tenues de se soumettre à un régime d’autorisation en fonction de l’importance de leur activité et du risque pour l’environnement.

 

L'exploitant ou le propriétaire du terrain d'assiette ou de l'installation doit respecter les obligations légales, et spécialement doit se conformer aux mesures de remise en état du site lors de la cessation d'activité.

 

L’article 1er de la loi du 1er juillet 1976 vise « l’installation exploitée ou détenue », ce qui laisse entendre que l’exploitant n’est pas le seul responsable, et qu’il faut éventuellement adjoindre le propriétaire des lieux.

 

Le coût des travaux de réhabilitation pouvait donc être mis à la charge du dernier exploitant en date ou encore un ancien exploitant, ou encore le propriétaire du fond.

 

Le Conseil d’Etat a mis fin à une certaine incertitude à ce sujet  en décidant « la mise hors de cause du propriétaire du terrain d’assiette d’une installation classée » dont l’exploitant était en liquidation, et en affirmant que dans l’hypothèse « de fermeture d’une installation classée, seul le dernier exploitant était tenu par l’obligation de remise en état du site » (V. CE 21 févr. 1997, SCI Les Peupliers, Droit de l’Environnement, avr. 1997, note préc. d'Erik Carlier).

 

C’est donc le dernier exploitant qui est « le premier responsable » ce qui évite aux autres personnes d’être impliquées.

 

Toutefois cette règle n’est pas absolue car en cas d’insolvabilité du dernier exploitant, l’administration peut décider de se retourner contre le propriétaire des lieux : la cour administrative d’appel de Lyon, dans un arrêt du 10 juin 1997 a jugé, qu’à « défaut d’un exploitant présent et solvable », la responsabilité du propriétaire, pris en sa qualité de détenteur et de gardien du site, est engagée. Le propriétaire devra donc s’assurer de la solvabilité de son locataire s’il ne veut pas être inquiété par la suite…

 

La solution s’imposera de plus fort, si le propriétaire reprend les lieux à la fin du bail et donc devient le gardien du terrain.

 

En matière de déchets, la solution retenue par la cour de cassation impose la plus grande prudence  :  « sauf l’effet de stipulations contraires valables entre les parties, le propriétaire de la chose, bien que la confiant à un tiers, ne cesse d’en être responsable que s’il est établi que ce tiers a reçu corrélativement toute possibilité de prévenir lui-même le préjudice qu’elle peut causer »  (V. Arrêt de la Cour de cassation du 9 juin 1993).

 

II - Des tiers souhaitant devenir acquéreur d'un terrain contaminé 

 

1°/ Les vices du consentement  : dol ou erreur substantielle 

 

Il est bien évident que les tiers acheteurs du terrain doivent être correctement informés des risques de pollution par le vendeur qui a connaissance des vices : de ce point de vue il est possible d’invoquer l’erreur ou le dol sur l’objet du contrat.

 

Il est possible en effet de remettre en question la validité d’un contrat de vente portant sur un terrain contaminé en invoquant l’erreur de l’acheteur sur les qualités substantielles de la chose.

 

Tel est le cas lorsqu’un « terrain a été vendu comme terrain à bâtir et qu’il s’avère qu’eu égard à la nature du sol et du sous-sol, il n’est pas possible de bâtir dans des conditions normales… parce que le terrain n’est en fait qu'un remblai de déchets divers recouverts d'une mince couche de terre » (Francis Haumont, La contamination des sols : les responsabilités contractuelles, in Sols contaminés, sols à décontaminer, Travaux du CEDRE et du SERES). Mais l’erreur ne sera retenue que si elle porte sur une qualité substantielle : elle ne pourra donc être invoquée que si l’acheteur a révélé l’usage projeté du terrain au vendeur et si cet usage se révèle incompatible avec le degré de contamination du sol.

 

Il est également possible d’invoquer le dol, c’est-à-dire la tromperie sur la chose vendue.

Mais là encore la qualité de professionnel de l’acheteur peut l’empêcher d’obtenir la nullité de la vente.

La Cour de cassation a ainsi refusé d’annuler une vente pour dol, en relevant que « lacheteur professionnel expérimenté dans les transactions immobilières, apte à vérifier le contenu des actes qu’il passait, n’a pas été induit en erreur » « Qu’ayant acquis un terrain d’épandage vendu avec un ensemble immobilier, où avait été exploitée une raffinerie de pétrole, il pouvait découvrir par lui-même la nature des déversements recueillis sur le terrain » (Cass. 3e Civ., 10 déc. 1986, SA Générale de financements immobiliers c/ Raffinerie de Bourron, inédit).

 

2°/ L’indétermination du prix à la suite de la découverte des coûts de dépollution

 

Depuis les arrêts de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 1er décembre 1995, il a été parfois admis que l’indétermination du prix pouvait parfois entraîner la nullité d’une vente.

 

Encore faudrait-il que la révision du prix soit convenue entre les partie ou fasse  l’objet d’une clause d’annulation automatique de la vente au delà d’un certain montant.

 

En effet, les juges sont assez réticents à associer la découverte de coûts de dépollution plus importants à une remise en cause du prix de vente et donc de la vente elle-même, car il existe pour cela le mécanisme de la garantie légale ou contractuelle (tribunal de grande instance de Strasbourg, jugement du 18 octobre 1996).

 

3°/ La garantie légale des vices cachés 

 

Il s’agit bien évidemment de la motivation la plus courante des recours engagés après signature d’un contrat de cession.

 

L'article 1641 du Code civil dispose : « Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus »

 

Encore faut il que le vice soit réellement caché lors de l’acquisition du site, sinon la protection ne jouera pas… et qu’il soit bien évidemment antérieur à la vente. Là encore, l’acheteur peut être confronté à des problèmes de preuve. Il faudra s’en prémunir en rédigeant scrupuleusement les clauses relatives à la pollution des sols dans l’acte de vente.

 

Dans un arrêt du 11 juin 2012, la cour d’appel de Nancy fait application de ces règles dans un cas de vente de terrain pollué (CA Nancy, 11 juin 2012, n° 11/00698 : JurisData n° 2012-031537). Elle vérifie le caractère caché du vice en précisant que, malgré le fait que les acheteurs n’ignoraient pas l’existence passée d'une activité polluante sur le terrain, ils ne pouvaient connaître l'ampleur de la pollution découverte. Elle constate aussi la présence d'un vice rendant l'immeuble impropre à sa destination en relevant « l'atteinte à la destination de l'immeuble vendu dont il ne peut être fait usage sans danger pour les personnes ». Enfin, pour exclure l’application de la clause exonératoire de vice caché, elle retient la mauvaise foi des vendeurs qui ne pouvaient ignorer l’état de la pollution car ils étaient « à l’origine de la situation du terrain »

 

4°/ L’obligation spécifique de renseignement pour les terrains exploités par une ICPE

 

L’article 8-1 de la loi du 19 juillet 1976 est venu en renfort en prévoyant une obligation spécifique de l’acquéreur d’un site exploité par une installation classée en prévoyant dans sa rédaction d’origine :

 

"Lorsqu'une installation soumise à autorisation a été exploitée sur un terrain, le vendeur de ce terrain est tenu d'en informer par écrit l'acheteur ; il l'informe également pour autant qu'il les connaisse, des dangers ou inconvénients qui résultent de l'exploitation.

A défaut, l'acheteur a le choix de poursuivre la résolution de la vente ou de se faire restituer une partie du prix ; il peut aussi demander la remise en état du site aux frais du vendeur lorsque le coût de cette remise en état ne paraît pas disproportionné par rapport au prix de vente. "

 

En 2014, le législateur a apporté des précisions utiles sur les conditions de mise en oeuvre de cette action :

 

« À défaut, et si une pollution constatée rend le terrain impropre à la destination précisée dans le contrat, dans un délai de deux ans à compter de la découverte de la pollution, l’acheteur a le choix de demander la résolution de la vente ou de se faire restituer une partie du prix ; il peut aussi demander la réhabilitation du site aux frais du vendeur, lorsque le coût de cette réhabilitation ne paraît pas disproportionné par rapport au prix de vente."

 

On observera toutefois que le texte ne mentionne que les installations soumises à autorisation ce qui exclut celles qui ne soumises qu’à déclaration (En ce sens, voir CA Paris, 19 nov. 2009, SCI Windsor Corbeil 1 c/ CCEI).

 

Même les installations en cours de fonctionnement sont exclues de ce devoir d’information car on présume que l’acquéreur ne peut en ignorer la présence à la suite de sa visite des lieux (Cass. 3e civ., 9 avr. 2008, n° 07-10.795, FS-P+B+I). 

 

De même, les autres cas de pollution ne sont pas envisagés hors de la législation des ICPE alors que certaines activités peuvent générer de graves nuisances aux tiers riverains (mais restent au dessous des seuils règlementaires et ne sont pas admis dans la nomenclature des ICPE). Ainsi la manipulation de produits chimiques n’entraine pas systématiquement inclusion de l’installation dans la nomenclature.

 

De même, la protection n’est prévue qu’en cas de vente d’un terrain mais pas encas de cession de parts, ou de cession d’un fonds de commerce, même si par analogie, la jurisprudence pourra être tentée d’étendre cette protection à ces cas non envisagés par la législateur.

 

Il s’ensuite que la protection n’est donc que partielle et que l’acquéreur peut donc ignorer d’autres vices du terrain qui se révéleraient déterminants ensuite de son consentement.

 

En revanche, il est indifférent que le vendeur ait eu ou non connaissance de cette information car l’article L. 514-20 du Code de l’environnement crée « une obligation d’information qui concerne tout vendeur, qu’il soit ou non l’exploitant de l’installation soumise à autorisation et ne subordonne cette obligation à sa connaissance effective que relativement aux dangers et inconvénients de l’usage qui a été fait du terrain vendu » (CA Amiens, 18 oct. 2012, n° 11/02401). De même, « il importe peu que l'activité litigieuse ait régulièrement fait l'objet d'une autorisation, seul compte le fait qu'elle soit juridiquement classable » (CA Paris, 2e ch., sect. A, 8 oct. 2008).

 

Le notaire doit donc reproduire le texte de l’article L. 514-20 du Code de l’environnement et vérifier les informations afférentes, sinon il commet une faute professionnelle (CA Paris, 13 févr. 2003, n° 2002/16521). Et ils doivent prendre l’habitude, outre la consultation systématique des fichiers internet BASIAS et BASOL, d’écrire au service administratif en charge des installations classées pour savoir si une ICPE a été exploitée sur le site et si des prescriptions ont pu être émises.

 

Il convient également de rappeler que parmi les sanctions prévues par ce texte, la réhabilitation du site est expressément prévue ce qui est particulière sévère et doit attirer l’attention des rédacteurs sur leur obligation de conseil du vendeur.

 

III - L’action des tiers victimes de la pollution des sols

 

Leur action sera fondée sur le principe de la responsabilité délictuelle : il faudra donc démontrer l’existence d’une faute et d’un préjudice liés par un lien de causalité.

Logiquement elle sera dirigée contre le pollueur clairement identifié.

Mais si cette identification pose difficulté, une solution consiste à agir contre le gardien.

Celui-ci sera la plupart du temps l’exploitant et non pas le propriétaire du terrain.

C’est lui qui dispose en effet du pouvoir de contrôle, condition requise et essentielle pour qualifier le gardien de la chose dans notre droit civil. Mais si le propriétaire reprend le site à la fin du bail, ce pouvoir de contrôle peut lui être transmis à ce moment précis, et c’est lui qui devra être assigné en justice.

En ce sens,  l’arrêt de la Cour de cassation du 9 juin 1993, permet de considérer que pour un terrain considéré comme un site de stockage des déchets, il est possible de reconnaître que celui qui reçoit ces déchets en devient le gardien et qu’il en est donc le responsable. Mais encore faut-il que le détenteur connaisse la nature dangereuse des déchets sinon le transfert sinon le transfert de la garde n’est pas total ainsi que le transfert du risque : « sauf l’effet de stipulations contraires valables entre les parties, le propriétaire de la chose, bien que la confiant à un tiers, ne cesse d’en être responsable que s’il est établi que ce tiers a reçu corrélativement toute possibilité de prévenir lui-même le préjudice qu’elle peut causer ».