La préservation de la ressource en eau constitue un enjeu majeur, en particulier lors des épisodes de sécheresse qui se multiplient en France. Les préfets, détenteurs de la police spéciale de l’eau, sont amenés à adopter des mesures provisoires pour limiter ou interdire certains usages, dans l’intérêt général. Cependant, ces arrêtés préfectoraux font régulièrement l’objet de contestations devant le juge administratif, les requérants invoquant souvent une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce et de l’industrie.
Dans le Var comme en Bretagne, les mesures de restriction prises sur le fondement du Code de l’environnement peuvent se ressembler, alors même que la situation hydrologique diffère localement. Les juridictions administratives sont donc saisies de contentieux analogues et s’attachent à vérifier la légalité de ces arrêtés, notamment au regard du principe de proportionnalité.

Afin d’éclairer la portée de ces décisions et les motifs susceptibles de les justifier ou de les invalider, il convient d’analyser, d’une part, le partage de compétences entre les différents niveaux de l’administration (I), et d’autre part, le contrôle exercé par le juge administratif, illustré par des exemples concrets issus de contentieux récents (II).


I. Les pouvoirs de police de l’eau : un partage entre préfet de département et préfet coordonnateur de bassin

Au niveau local, la police des usages de l’eau s’exerce sous l’autorité du préfet de département, tandis qu’à l’échelle d’un bassin hydrographique, le préfet coordonnateur harmonise les orientations et fixe des seuils communs.

A. Compétence du préfet de département

Le préfet de département est investi d’un pouvoir de police spéciale pour la préservation des milieux aquatiques et la gestion de la ressource en eau (articles L.211-1 et suivants du Code de l’environnement). Lorsqu’un déficit pluviométrique menace l’alimentation en eau ou la salubrité publique, il peut édicter des arrêtés de restriction (articles R.211-66 et suivants du Code de l’environnement).

  • Ces arrêtés peuvent instaurer plusieurs niveaux de vigilance (alerte, alerte renforcée, crise) et imposer des limitations temporaires : interdiction d’arroser jardins et espaces verts, limitation des prélèvements agricoles, restrictions de lavage automobile, etc.
  • Le préfet justifie ses décisions par des constats chiffrés (niveaux des nappes, débit des cours d’eau, prévisions météorologiques), qui fondent la nécessité et la proportionnalité de ses mesures.

B. Rôle du préfet coordonnateur de bassin et arrêtés-cadres

Au-delà de l’échelon départemental, le préfet coordonnateur de bassin élabore des arrêtés-cadres qui s’appliquent à plusieurs départements relevant d’un même bassin (Adour-Garonne, Loire-Bretagne, Rhône-Méditerranée, etc.).

  • Ces textes-cadres définissent les seuils de déclenchement pour chaque niveau d’alerte et les principes directeursdes mesures à prendre (calibrage des restrictions selon la gravité de la sécheresse).
  • Les préfets de département s’y réfèrent pour adopter, au plan local, des arrêtés adaptés à leurs spécificités. Néanmoins, chaque préfet conserve une marge d’appréciation, ce qui peut expliquer certaines différences entre départements d’une même région.

Les prérogatives départementales et l’harmonisation régionale ou interrégionale s’articulent donc pour gérer au mieux la ressource en eau. Cette organisation à plusieurs niveaux se retrouve tant dans le Var que dans des territoires plus septentrionaux, comme la Bretagne, confrontés eux aussi à des épisodes de sécheresse.


Une fois que le préfet a pris ces arrêtés de restriction, il peut faire face à des recours déposés par des acteurs économiques estimant que leur activité est injustement ou excessivement entravée. Le contentieux, tant en référé qu’au fond, donne alors l’occasion au juge administratif d’examiner la pertinence et la proportionnalité de ces mesures.


II. Le contrôle du juge administratif : examen de la proportionnalité et cas concrets de contestations

Les décisions préfectorales de restriction d’usage de l’eau sont régulièrement soumises à l’examen des tribunaux administratifs. Dans le Var comme en Bretagne, les juridictions veillent à ce que les mesures de police respectent l’intérêt général tout en n’entamant pas de manière excessive la liberté d’entreprendre.

A. L’examen de la proportionnalité des mesures de police

Lorsque des entreprises, notamment des stations de lavage automobile ou des exploitations agricoles, saisissent le juge administratif, ce dernier s’attache à contrôler :

  1. La légalité formelle de l’arrêté :

    • Respect des procédures de consultation (Comité de l’eau, commissions locales de l’eau).
    • Conformité avec les prescriptions de l’arrêté-cadre, lorsqu’il existe.
    • Motivation suffisante de la décision (données climatiques, hydrologiques).
  2. La nécessité et l’adaptation de la mesure :

    • Justification au regard du déficit pluviométrique et des risques sur l’alimentation en eau.
    • Existence d’une graduation dans les mesures : si l’arrêté propose des quotas de consommation (p. ex. 100 litres maximum par véhicule avec recyclage) au lieu d’une interdiction totale, cela milite en faveur de la proportionnalité.
  3. Le caractère limité dans le temps :

    • Les arrêtés sont généralement pris pour une durée allant de quelques semaines à quelques mois, renouvelable si la situation le requiert.
    • Une mesure temporaire et modulée sera souvent considérée comme non excessive au regard de la liberté du commerce et de l’industrie.
  4. La mise en balance des intérêts :

    • Liberté d’entreprendre vs sauvegarde de la ressource en eau.
    • Le juge apprécie si l’activité peut se poursuivre, même sous des conditions plus strictes (ex. recyclage de l’eau), ou si elle est totalement empêchée sans justification légitime.

B. Exemples de contentieux dans le Var et en Bretagne

  1. Arrêtés dans le Var (2023)

    • Plusieurs arrêtés préfectoraux pris aux dates du 3 mai, du 17 août et du 28 mai 2023 ont placé certaines zones en alerte renforcée ou en crise.
    • Les sociétés de lavage ont saisi le tribunal administratif, estimant que l’interdiction ou la limitation de leurs activités portait une atteinte disproportionnée à leur liberté économique.
    • Elles ont également mis en avant l’absence de mesures compensatoires et ont soulevé l’éventuelle illégalité des arrêtés-cadres antérieurs (tel l’arrêté du 12 août 2022) en invoquant la voie d’exception.
  2. Controverses similaires en Bretagne

    • En Bretagne, d’autres entreprises (stations de lavage, exploitants agricoles) ont entrepris des recours en référé ou au fond contre des arrêtés de restriction, arguant de la même atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie.
    • Les juges administratifs (par exemple le Tribunal administratif de Rennes) ont pu rejeter certaines demandes de suspension en estimant que les mesures préfectorales répondaient à un intérêt général primordial(préserver les réserves hydriques) et restaient proportionnées, notamment grâce à des dispositifs de limitation plus que d’interdiction pure et simple.
    • Dans certains cas, la juridiction a toutefois pu encourager le préfet à adapter ou clarifier la réglementation (par exemple distinguer plus finement les stations intégrant un haut degré de recyclage d’eau).

Dans tous ces cas, la démarche du juge s’avère relativement uniforme : contrôler la solidité des justifications techniques, la proportionnalité de la mesure et le respect de la procédure. Les situations varient selon la gravité du déficit en eau et les caractéristiques locales, mais l’issue reste souvent identique : dès lors que la police de l’eau s’exerce de manière graduée et temporaire, elle est validée.

Conclusion
Face à des épisodes de sécheresse de plus en plus fréquents, les préfets sont amenés à prendre des arrêtés de restrictionpour protéger la ressource en eau, sur la base d’un cadre juridique précis (Code de l’environnement). Ces arrêtés concernent plusieurs régions françaises, dont le Var et la Bretagne, et se heurtent parfois à des contestations portées devant le juge administratif. Celui-ci exerce alors un contrôle d’abord formel (procédure, consultation, motivation) puis matériel (proportionnalité de la mesure) pour déterminer si la liberté du commerce et de l’industrie est atteinte de façon justifiée et non excessive.
Lorsque les limitations sont strictement limitées dans le temps et objectivement justifiées par la pénurie hydrique, le juge tend à les valider, estimant que la sauvegarde de la ressource prime, dans ces circonstances, sur la pleine liberté d’entreprendre. Les contentieux montrent néanmoins que certaines mesures peuvent être aménagées afin de mieux concilier impératifs économiques et protection des écosystèmes aquatiques.