Civ. 1ere 15 nov. 2017, FB-P+B+I n° 15-16.265

 

Magistrats  et  avocats   confrontés  par un divorce international  doivent  s’interroger  sur la compétence  judiciaire.  Les premiers  parce  qu’ en tant  que juge  naturel  du  droit  communautaire,  doivent  vérifier  d’office  leur compétence  au  regard  du  Règlement  (CE)  du  27  novembre  2003  relatif  à  la  compétence,  la  reconnaissance et  l’exécution  des  décisions  en  matière  matrimoniale  et  en  matière  de  responsabilité   parentale,  règlement qui  a  vocation  à  s’appliquer  en  présence  d’un  élément  d’extranéité,  et  ce  même  si  la  situation litigieuse  n’est  pas  intra-communautaire.  Les deuxièmes  parce que le droit  communautaire fait partie de notre droit ; le Règlement est le premier texte à consulter,  les conventions  bilatérales  ne prévoyant en principe  pas  de règles de compétence directe en matière de divorce. 

Le champ  d’application territorial  du Règlement  n’est  pas délimité,  il s’applique  chaque fois qu’un  des chefs de compétence y  prévus  s’applique, le point de rattachement  étant  soit la résidence  ou le domicile dans le cas du Royaume-Uni et de l’Irlande,  des époux, soit leur nationalité commune  (articles 3 à 5 du Règlement).

Les règles de compétences générales  ci-dessus  ont selon l’article 6 du Règlement  un « caractère exclusif », savoir  (a) un époux qui a sa résidence habituelle sur le territoire d’un Etat membre ou (b) est ressortissant  d’un Etat membre ne peut être attrait devant les juridictions d’un autre Etat membre  qu’en vertu des articles 3 à 5 ».

Le privilège de juridiction  des articles 14 et 15  du code civile  qui permettait , avant l’entrée en vigueur  du  premier  Règlement communautaire, de fonder  la compétence internationale  du juge français  si la compétence ne pouvait être retenue  en vertu  des dispositions  de l’article 1070 du code de procédure civile,  dispositions étendues par la jurisprudence  sur l’ordre juridique international, n’a  pas disparu,  il réapparait  dans  les compétences  résiduelles  prévues par le Règlement (article 7 du Règlement).

En vertu  de l’article  7,   le demandeur  français  peut  en raison  du privilège de juridiction  des articles 14 et 15 du code civil,  attraire  un défendeur  devant  son juge naturel  si deux conditions cumulatives sont remplies :

  • Ce dernier n’a pas sa résidence habituelle sur un Etat membre
  • et n'a pas  la nationalité d'un Etat de l'Union

Par un arrêt  rendu  le 15 novembre 2017, la Cour de Cassation  avait pour la première fois  l’occasion  de connaître d’une affaire où  le privilège de juridiction  française avait été  retenu  par les juges du fond.

Dans cette affaire, une  Française  s’était  mariée  en France  avec un ressortissant belge.  Le couple avait dans un premier temps fixé sa résidence en Belgique avant de s’installer en Inde.  Lors  d’un  séjour  en France, l’épouse  déposait  devant le juge français une requête en divorce.

Les juges du fond  après  avoir  constaté  qu’aucun chef de compétence  des articles 3 à 5  du Règlement  ne se réalisait,  ont retenu  qu’en l’absence  d’une résidence habituelle en France, leur compétence ne pouvait pas être fondée sur l’article 1070 du code de procédure civile. Ils se sont donc déclarés compétents  en application  de l’article 14 du code civil  qui permet  à un demandeur français  de saisir le juge français en raison de sa seule nationalité.

L’arrêt  fût  cassé pour violation de l’article 6 du Règlement.

Selon la Cour de Cassation, l’époux étant  ressortissant belge  sans résidence habituelle en France,  les juges du fond ne pouvaient retenir le privilège de juridiction  de l’article 14 du code civil ; un époux  qui a sa résidence habituelle  sur le territoire d’un Etat membre ou est ressortissant d’un Etat membre ne peut être attrait devant les juridictions d’un autre Etat membre qu’en vertu des articles  3 à 5 du Règlement.

En résumé :  le privilège de juridiction française  ne peut  être invoqué en application  de l’article 6 du Règlement , il peut  l’être  en vertu  de l’article  7 du Règlement  à condition  (a)  que le défendeur  n’ait pas sa résidence habituelle  dans  un Etat membre  et  (b) ne  soit  pas ressortissant d’un Etat de l’Union.