Saisi de nombreuses réclamations relatives aux discriminations fondées sur l’apparence physique dans le cadre de l’emploi, le Défenseur des droits Jacques TOUBON vient d’adopter le 2 octobre 2019 une décision-cadre accompagnée de cinq annexes relatives notamment aux barbes, aux tatouages et piercings, et leur impact dans le cadre de l’activité professionnelle.

Cette décision est l’occasion de faire le point sur les règles applicables en la matière.

Dans sa décision du 2 octobre dernier, le Défenseur des droits invite les employeurs à prendre en compte les évolutions de la société.

Tel est le cas notamment en matière de tatouage et de piercing pour lesquels il estime qu’ils « ne constituent plus aujourd’hui des marqueurs sociaux anticonformistes ».

Dans le même temps, le défenseur note toutefois que « certains secteurs de l’emploi restent réfractaires voire hostiles à ces modalités d’expression corporelle ».

  • Ainsi, un employeur peut-il interdire à un salarié de porter un tatouage ?

Selon le Défenseur des droits, l’employeur ne peut pas édicter une interdiction générale, pour tous les postes et en toutes circonstances. A défaut, cette interdiction trop large pourrait être considérée comme étant arbitraire et subjective et serait ainsi susceptible d’être discriminatoire.

Un employeur ne peut donc apporter des limitations que pour certains postes et dans certaines situations.

Surtout, l’employeur doit pouvoir être en mesure de justifier le caractère approprié et proportionné de ces restrictions.

Dans sa décision, le Défenseur des droits donne des exemples de restrictions et limitations pouvant être apportées.

La taille ou la signification du tatouage peuvent notamment justifier une interdiction. 

Tel est le cas par exemple des tatouages comportant des images ou des messages violents ou offensants (ex : « mort aux vaches », squelettes sanguinolents), racistes, antisémites, (ex : « croix gammée »), sexistes (ex: femme nue dans une position suggestive), qui sont contraires à la morale ou à l’ordre public (ex : tatouage faisant la promotion de la consommation de stupéfiants).

A l’inverse, le défenseur des droits précise que, du fait de leur banalisation et de leur ampleur au 21ème siècle, les tatouages discrets et non choquants devraient être tolérés dans le cadre professionnel pour les personnes en contact avec la clientèle ou les usagers du service public.

  • Qu’en est-il du piercing ?

Les mêmes principes que les tatouages s’appliquent, c’est-à-dire qu’il n’est pas possible d’édicter une interdiction générale.

L’employeur peut apporter des limitations au port d’un piercing dans certaines situations.

Tout d’abord, les exigences du poste lui-même peuvent justifier des restrictions.

A titre d’exemple, le refus d’un hôte d’accueil touristique devant revêtir un costume d’époque de retirer ses piercings justifie la rupture de sa période d’essai, compte tenu du caractère anachronique de ce type d’accessoire.

De plus, d’autres objectifs légitimes peuvent conduire les employeurs à valablement interdire ou limiter les piercings tels que les exigences d’hygiène et de sécurité.

Tel est, par exemple, le cas des policiers et des CRS qui ne peuvent porter de piercings lors de leurs interventions sur le terrain. Mais, même dans ce cas, l’employeur doit toujours être en mesure de justifier que les restrictions sont nécessaires et proportionnées.

Les juges apprécieront donc au cas par cas pour savoir si l’interdiction ou la restriction sont légitimes et proportionnées.

Mais encore faut-il que l’employeur (que ce soit pour les piercings ou pour les tatouages) puisse justifier que le salarié avait bien connaissance des règles applicables (par l’intermédiaire du règlement intérieur ou à minima d’une note de service).

  • Qu’en est-il de la barbe ?

Selon le défenseur des droits, il est en principe abusif d’exiger des salariés qu’ils se rasent la barbe.

Toutefois, un employeur peut imposer à un salarié que sa barbe soit soignée et entretenue.

De plus, un employeur peut invoquer une exigence de sécurité pour refuser le port de la barbe.

Tel est le cas par exemple pour un salarié intervenant sur des installations nucléaires de base et sous rayonnements ionisants. Le port d’une barbe était incompatible avec ce poste car elle compromettait, tout comme les favoris ou les branches de lunettes, l’étanchéité du masque de sécurité que le salarié devait obligatoirement porter.

La question est toutefois plus complexe lorsque la barbe est analysée comme un signe religieux. Dans ce cas, la liberté de porter la barbe est protégée non seulement par le droit de la non-discrimination fondé sur l’apparence physique mais également celui fondé sur les convictions religieuses.

La Cour administrative d’appel, amenée à se prononcer sur cette question a toutefois considéré que « le port d’une barbe, même longue, ne saurait à lui seul constituer un signe d'appartenance religieuse en dehors d'éléments justifiant qu'il représente effectivement, dans les circonstances propres à l'espèce, la manifestation d'une revendication ou d'une appartenance religieuse » (CAA Versailles 19 décembre 2017, n° 15VE03582).

 

Pour aller plus loin :

Décision Cadre du 2 octobre 2019 du Défenseur des droits

https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=19239