Selon l'article L. 3121-4 du Code du travail, le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif et n'ouvre droit à une contrepartie sous forme de repos ou de compensation financière que dans l'hypothèse où il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail.

Si cette règle semble aisément applicable pour la plus grande majorité des salariés, son application est plus complexe en ce qui concerne les salariés itinérants, tels que les commerciaux ou encore les techniciens d’intervention par exemple.

La Cour de cassation considère que le temps de trajet entre le domicile d'un salarié itinérant et le lieu de travail ne constitue pas un temps de travail effectif et ne peut donner lieu qu'à contrepartie (financière ou sous forme de repos) (Cass. soc., 14 nov. 2012, n° 11-18571,  Cass. soc., 24 sept. 2014, n° 12-29209).

Or, selon le secteur géographique confié au salarié itinérant, le fait que ce temps « de trajet » ne soit pas considéré comme du temps de travail (et donc non rémunéré comme tel) peut avoir une incidence certaine.

C’est ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), dans un arrêt du 10 septembre 2015 a été amenée à se prononcer sur une question préjudicielle qui lui était posée en ce qui concerne le cas de deux entreprises espagnoles d’installation et de maintenance de systèmes de sécurité.

Dans cette affaire, la distance entre le domicile des travailleurs et le lieu où ces derniers devaient effectuer une intervention pouvait varier considérablement et parfois excéder 100 kilomètres. Les entreprises en cause calculaient la journée de travail en fonction du temps écoulé entre l’arrivée du travailleur sur le site du premier client de la journée et le moment où ce travailleur quitte le site du dernier client, les seuls déplacements qui sont pris en compte étant les déplacements intermédiaires entre les clients.

Cette méthode de décompte semble identique aux dispositions prévues dans notre Code du travail français (ainsi que la jurisprudence de la Cour de cassation).

L’avocat général ne considère toutefois pas qu’il s’agissait de la bonne méthode de calcul. Pour lui, la définition du «temps de travail», au sens de la directive 2003/88, est fondée sur trois critères : Il s’agit du critère spatial (être sur le lieu de travail), du critère d’autorité (être à la disposition de l’employeur) et du critère professionnel (être dans l’exercice de son activité ou de ses fonctions).

 Il estime donc que l’absence de prise en compte comme «temps de travail», au sens de la directive 2003/88, du temps que les travailleurs itinérants consacrent à se déplacer de leur domicile vers le premier client désigné par leur employeur et du dernier client désigné par leur employeur vers leur domicile serait contraire à cette directive dans la mesure où, en ce qui concerne cette catégorie de travailleurs, les trois critères qui sont mentionnés dans la définition figurant à cette disposition sont réunis.

La Cour de justice a suivi ces recommandations et a considéré que les dispositions européennes (et notamment la Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003) devaient être interprété en ce sens que lorsque les travailleurs n'ont pas de lieu de travail fixe ou habituel, constitue du temps de travail, « le temps de déplacement que ces travailleurs consacrent aux déplacements quotidiens entre leur domicile et les sites du premier et du dernier clients désignés par leur employeur »  (CJUE, 10 sept. 2015, aff. C-266/14).

La rédaction de l'article L. 3121-4 du Code du travail n’est donc manifestement pas en conformité avec le droit de l'Union européenne.

Pour autant, aucune action en manquement contre la France ni aucune action en responsabilité contre l’Etat du fait d'un défaut de mise en œuvre de la Directive européenne précitée ne semble pour l’heure avoir été engagée, malgré le fait que cette décision a été rendue depuis plusieurs années maintenant.

Toutefois, afin d'éviter de telles actions, la Cour de cassation, dans son rapport annuel 2019 a proposé de modifier les dispositions du Code du travail sur ce point.

Affaire à suivre donc ….