Par un arrêt du 10 octobre 2022, n° 451530, le Conseil d’Etat est venu apporter des précisions importantes sur l’office du juge en matière d’urbanisme de sorte que désormais, il est acquis qu’une autorisation modificative pourra être délivrée si la règle méconnue initialement ne peut plus être regardée comme telle par l’effet d’un changement dans les circonstances de fait de l’espèce.
Au cas d’espèce, un permis d’aménager avait été délivré initialement à la société Adevia par arrêté en date du 29 aout 2011 tendant à la création d’un parc d’activités économiques.
Des modifications avaient été apportées au projet via un permis modificatif délivré le 2 juillet 2018 à la société anonyme d’économie mixte Territoires Soixante-Deux, venue aux droits de la société Adevia.
Il est en effet constant que lorsqu’une autorisation d’urbanisme a été délivrée en méconnaissance des dispositions législatives ou réglementaires relatives à l’utilisation du sol ou sans que soient respectées des formes ou formalités préalables à la délivrance de l’autorisation, l’illégalité qui en résulte peut être régularisée par la délivrance d’une autorisation modificative dès lors que celle-ci assure le respect des règles de fond applicables au projet en cause, répond aux exigences de forme ou a été précédée de l’exécution régulière de la ou des formalités qui avaient été omises. [1]
En l’occurrence, ces deux arrêtés ont été contestés devant la juridiction administrative par le Groupement de défense de l’environnement de l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer et du Pas-de-Calais, ce qui a conduit à leur annulation par le Tribunal administratif de Lille, annulation confirmée en appel au motif d’une méconnaissance des dispositions de la loi Littoral (ancien article L. 146-4 du code de l’urbanisme dans sa rédaction en vigueur à la date de l’arrêté du 29 aout 2011, devenu article L.121-8 du même code).
Tout d’abord, concernant la date d’appréciation de la légalité des décisions attaquées, la Cour rappelle la règle classiquement applicable en matière d’excès de pouvoir selon laquelle « la légalité des dispositions d’un permis d’aménager initial ou d’un permis d’aménager modificatif s’apprécie au regard des circonstances de fait et de droit prévalant à la date à laquelle ces décisions ont respectivement été prises ».https://www.legifrance.gouv.fr/ceta...
Ensuite, la cour rappelle la règle constante selon laquelle les vices entachant les autorisations d’urbanisme peuvent régularisés si, à la date de la délivrance de l’autorisation modificatif, la règle méconnue a été entretemps modifiée, dans un sens favorable au projet :
« Les irrégularités ainsi régularisées ne peuvent plus être utilement invoquées à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le permis initial ».
Dans la lignée de cette jurisprudence, il en était déduit par la Cour Administrative d’Appel de Douai que le projet ne s’insérait pas « dans une zone déjà urbanisée caractérisée par un nombre et une densité significatifs de constructions et ne se trouvait donc en continuité ni d’une agglomération existante ni d’un village, que ce soit à la date du permis de construire initial ou même à celle du permis modificatif, compte tenu de la densité non significative de constructions résultant de l’extension de la zone industrielle du Valigot et de la zone d’aménagement concerté. » [2].
Saisis en cassation, les juges du Palais Royal censurent l’arrêt de la Cour. [3]
Ce faisant, ils décident d’ajouter une possibilité de régularisation supplémentaire en jugeant qu’outre l’évolution des règles de droit, il convient également de tenir compte des circonstances de fait :
« Lorsqu’une autorisation d’urbanisme a été délivrée en méconnaissance des dispositions législatives ou réglementaires relatives à l’utilisation du sol ou sans que soient respectées des formes ou formalités préalables à la délivrance de l’autorisation, l’illégalité qui en résulte peut être régularisée par la délivrance d’une autorisation modificative dès lors que celle-ci assure le respect des règles de fond applicables au projet en cause, répond aux exigences de forme ou a été précédée de l’exécution régulière de la ou des formalités qui avaient été omises. Elle peut, de même, être régularisée par une autorisation modificative si la règle relative à l’utilisation du sol qui était méconnue par l’autorisation initiale a été entretemps modifiée ou si cette règle ne peut plus être regardée comme méconnue par l’effet d’un changement dans les circonstances de fait de l’espèce. Les irrégularités ainsi régularisées ne peuvent plus être utilement invoquées à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre l’autorisation initiale ».
Concrètement, on notera que le Conseil d’Etat renvoie à la Cour Administrative d’Appel le soin de statuer à nouveau dans cette affaire en relevant :
d’une part, qu’ « en jugeant que la méconnaissance par le projet des dispositions du I de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme ne devait s’apprécier qu’au regard des circonstances prévalant à la date du permis d’aménager initial accordé le 29 août 2011, sans qu’ait d’incidence la délivrance d’un permis modificatif par l’arrêté du 2 juillet 2018 », une erreur de droit avait été commise.
d’autre part, que « si la cour a précisé que l’appréciation du respect du I de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme qu’elle a opérée au regard de l’environnement du projet à la date du permis d’aménager initial valait " même à celle du permis modificatif ", il ressort des pièces des dossiers qui lui étaient soumis que le projet litigieux, qui consiste à aménager des parcelles localisées sur une friche industrielle, se trouve aux abords immédiats d’une usine, en continuité de la zone d’aménagement concerté du Domaine du Chemins des Près, elle-même en continuité d’une zone déjà urbanisée située à l’est du territoire de la commune d’Etaples-sur-Mer. En jugeant que, même à la date du permis modificatif, la densité des constructions de la zone d’aménagement concerté n’était pas significative et que le projet ne se trouvait pas en continuité d’une agglomération existante, la cour a dénaturé les faits de l’espèce ».
Cette nouvelle décision, bien que très pragmatique, laisse néanmoins selon nous une porte grande ouverte aux contentieux de la régularisation au travers notamment de la question de la dénaturation des faits.
[1] Conseil d’Etat, 2 février 2004, SCI La Fontaine de Villiers
[2] CE, 7 mars 2018, n° 404080
[3] https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000046420733?init=true&page=1&query=451530&searchField=ALL&tab_selection=all
Pas de contribution, soyez le premier