Par un arrêt en date du 27 juin 2018 (pourvoi n°17-84280), publié au Bulletin, la chambre criminelle de la Cour de cassation affine sa jurisprudence relative à la saisie pénale dans un sens favorable à la personne dont le bien immobilier est saisi.
En l’espèce, un bien immobilier d’une valeur de 1.143.000 euros a été saisi par ordonnance d’un juge des libertés et de la détention. La personne morale propriétaire du bien, mise en cause dans une affaire de prise illégale d’intérêt et de recel, a contesté la décision devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel.
Pour confirmer l’ordonnance, la chambre de l’instruction relève notamment que l’opération immobilière ayant conduit à l’ achat du bien a été réalisée grâce au bénéfice tiré de la commission des infractions, estimé à un minimum de 610.000 euros. La cour d’appel refuse d’examiner le bien fondé de la saisie à l’aune du principe de proportionnalité dès lors que, selon elle, la chambre criminelle de la Cour de cassation aurait jugé ce principe inapplicable aux saisies opérées sur le produit direct ou indirect de l’infraction en vertu de l’article 131-21, alinéa 3, du Code pénal. La chambre de l’instruction ajoute que ce texte n’impose pas de limiter la confiscation au produit de l’infraction lorsque ce produit a été mêlé à des fonds d’origine licite pour acquérir le bien.
Au visa de l’article 1er du protocole n°1 de la Convention européenne des droits de l’homme, la chambre criminelle de la Cour de cassation censure l’arrêt de la chambre de l’instruction.
Elle affirme que lorsqu’un bien est acquis au moyen de fonds constituant l’objet ou le produit de l’infraction mêlés de fonds licites, la décision de saisie pénale doit être motivée « au regard de la nécessité et de la proportionnalité de l’atteinte ainsi portée au droit de propriété ». La chambre de l’instruction aurait donc dû, en l’espèce, rechercher si la saisie pénale immobilière ordonnée « ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété ».
Cette solution explicite la jurisprudence antérieure.
La Haute juridiction a déjà eu l’occasion d’affirmer que « le principe de proportionnalité ne peut s’appliquer à la confiscation d’un bien qui, dans sa totalité, est le produit ou l’objet des infractions dont le prévenu a été déclaré coupable » (Crim., 7 décembre 2016, n°16-80879, publié au Bulletin). Quelques mois plus tard, elle décidait qu’une chambre de l’instruction aurait dû vérifier l’absence d’atteinte disproportionnée au droit de propriété de saisies qui concernaient « des éléments de patrimoine insusceptibles de constituer le produit de l’infraction » (Crim., 4 mai 2017, n°16-87330). Elle a encore pu estimer qu’est inopérant « le grief tiré de la violation du principe de proportionnalité par une mesure de saisie pénale en valeur au regard du droit de propriété dès lors que cette a porté, sans en excéder le montant, sur la valeur de l’objet ou du produit direct ou indirect supposé de l’infraction » (Crim., 25 octobre 2017, n°16-87111).
L’intérêt de l’arrêt est renforcé par la nature du bien saisi pénalement en l’espèce, à savoir un bien immobilier.
Aux termes de l’article 706-151, alinéa 2, du Code de procédure pénale, « jusqu’à la mainlevée de la saisie pénale de l’immeuble ou la confiscation de celui-ci, la saisie porte sur la valeur totale de l’immeuble ». Il en résulte qu’un bien immobilier ne peut faire l’objet d’une saisie pénale partielle, alors qu’un compte bancaire peut par exemple faire l’objet d’une saisie à hauteur d’une certaine somme.
En conséquence, lorsqu’un bien immobilier a été acquis à l’aide de fonds licites et illicites, les juges ne peuvent limiter la saisie pénale au montant estimé du produit de l’infraction. L’application du principe de proportionnalité ne peut conduire qu’à saisir totalement ou à ne pas saisir du tout le bien immobilier concerné. Dans cette dernière hypothèse, la proposition faite en l’espèce par le requérant de substituer au bien immobilier saisi un autre bien d’une valeur approximative de 700.000 euros, écartée avec dédain par la chambre de l’instruction, pourrait se révéler pertinente. En effet, la personne morale offrait à la cour d’appel une option à la fois satisfaisante s’agissant de la perspective d’une confiscation et respectueuse du principe de proportionnalité. Sur le plan procédural, la chambre criminelle de la Cour de cassation a récemment décidé que la chambre de l’instruction avait la faculté d’ordonner elle-même une saisie (Crim., 16 mai 2018, n°17-83584, publié au Bulletin).
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