Le caractère redoutable de la confiscation en valeur, prévue à l’article 131-21, alinéa 9 du Code pénal, et de la saisie qui peut la précéder, se trouve atténué par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 24 octobre 2018 (n°18-80834), promis à une large publication.
En l’espèce, à l’occasion d’une information judiciaire ouverte pour escroquerie à la TVA en bande organisée impliquant une dizaine de sociétés, un bien immobilier appartenant à hauteur de 80% à un mis en examen a fait l’objet d’une ordonnance de saisie pénale par le juge d’instruction. Saisie de l’appel formé par le mis examen, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris confirme l’ordonnance de saisie pénale immobilière en retenant notamment que la valeur estimée du bien immobilier saisi, soit 245.000 euros, est inférieure au préjudice résultant pour l’Etat de l’application indue du régime de TVA sur la marge, estimé « a minima entre 9 398 421 euros et 11 278 105 euros ».
A ce stade, il importe d’exposer le mécanisme de la confiscation en valeur.
Aux termes de l’article 131-21, alinéa 9, du Code pénal, « la confiscation peut être ordonnée en valeur ». La même disposition ajoute que « la confiscation en valeur peut être exécutée sur tous les biens, quelle qu’en soit la nature, appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition ».
Cette peine consiste à confisquer un bien, non pas parce qu’il serait le produit de l’infraction, comme le permettrait l’article 131-21, alinéa 3, du Code pénal, mais parce que sa valeur correspond à celle du produit de l’infraction. Ce mécanisme permet notamment de pallier l’impossibilité matérielle de confisquer le produit de l’infraction lui-même. Afin de garantir l’exécution de cette éventuelle peine de confiscation, l’article 706-141-1 du Code de procédure pénale prévoit que « la saisie peut également être ordonnée en valeur ».
La confiscation en valeur s’applique donc à des biens qui ne sont, par définition, ni l’objet, ni le produit de l’infraction. A défaut, une confiscation en nature devrait être prononcée.
Il est donc vain, pour la personne dont le bien a été saisi, de faire valoir que le bien a été acquis de manière licite.
En revanche, la Cour de cassation rappelle en l’espèce que « le montant d’une saisie pénale en valeur ne doit pas excéder la valeur du bien susceptible de confiscation ».
Cette limite impose donc à la juridiction de fixer d’une part le montant confiscable, c’est-à-dire en particulier le montant correspondant au produit de l’infraction, et d’autre part le montant du bien dont la confiscation en valeur est envisagée, afin de s’assurer que le second ne dépasse par le premier.
En outre, la Chambre criminelle rappelle que le principe de proportionnalité ne s’applique pas à la confiscation du produit de l’infraction, qu’elle soit en nature ou en valeur (déjà en ce sens, Crim., 27 juin 2018, n°16-87009 ; Crim., 5 janvier 2017, n°16-80275).
Dans cette affaire, le montant du préjudice causé à l’Etat, estimé à environ dix millions d’euros, était bien supérieur à la valeur du bien immobilier saisi. En conséquence, le plafond constitué par le montant du produit de l’infraction était loin d’être atteint par la saisie d’un bien immobilier d’une valeur quarante fois moindre.
Néanmoins, et il s’agit de l’intérêt de cet arrêt, la chambre criminelle de la Cour de cassation pose deux limites qui peuvent en revanche permettre au requérant de contester valablement la saisie.
La première limite réside dans la fixation du montant correspondant au produit de l’infraction. La Haute juridiction précise que « lorsque plusieurs auteurs ou complices ont participé à un ensemble de faits, soit à la totalité, soit à une partie de ceux-ci, chacun d’eux encourt la confiscation du produit de la seule ou des seules infractions qui lui sont reprochées ».
Cette précision présente un intérêt fondamental. Dans les affaires tentaculaires, le produit global de l’infraction était parfois tellement important qu’il permet de saisir des biens d’une valeur sans commune mesure avec le rôle de l’intéressé, notamment s’il n’est mis en examen que pour l’une des nombreuses infractions objet de l’enquête ou de l’information judiciaire. La présente affaire en fournit d’ailleurs une illustration dès lors que la chambre de l’instruction avait fixé, à titre de plafond, la somme globale du préjudice causé à l’Etat par tous les faits dont était saisi le magistrat instructeur.
Par ailleurs, la chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle en creux que le raisonnement de la chambre de l’instruction pourrait conduire à ce que le montant cumulé de toutes les saisies opérées sur les patrimoines de tous les mis en examen dépasse le produit des infractions commises.
La seconde limite, tout aussi notable, posée par la chambre criminelle de la Cour de cassation est que le principe de proportionnalité de l’atteinte portée au droit de propriété de la personne dont le bien est saisi trouve de nouveau à s’appliquer lorsqu’ « il ne résulte pas des pièces de la procédure de présomptions qu’elle a bénéficié de la totalité du produit de l’infraction ».
Là encore, le calcul simpliste de la chambre de l’instruction est désapprouvé par la Haute juridiction. Cette dernière exige de « rechercher, dans l’hypothèse où il serait apparu que l’intéressé n’aurait pas bénéficié du produit de l’infraction, si l’atteinte portée par la saisie au droit de propriété de l’intéressé était proportionné s’agissant de la partie du produit de l’infraction dont il n’aurait pas tiré profit ».
Cette solution, consistant à n’écarter le principe de proportionnalité que dans l’hypothèse où la confiscation en nature ou en valeur porte en totalité sur un bien constituant le produit de l’infraction, avait déjà été posée par la Cour de cassation (Crim., 27 juin 2018, précité). Néanmoins, elle concernait le prononcé de la peine de confiscation alors qu’en l’espèce, elle est déclarée applicable dès le stade de la saisie, c’est-à-dire à un moment où le montant du produit de l’infraction reprochée à l’intéressé n’est pas encore nécessairement tout à fait affiné.
Il résulte de cette double limitation que la chambre de l’instruction ne pouvait se contenter du montant global du produit des infractions commises dans cette affaire pour confirmer l’ordonnance de saisie pénale immobilière. Elle devait s’intéresser d’une part à l’infraction particulière reprochée au mis en examen, et d’autre part au profit qu’il aurait pu en tirer personnellement.
Si cette solution se révèle protectrice des mis en cause dont les biens font l’objet d’une saisie pénale, l’arrêt du 24 octobre 2018 recèle un principe plus déplaisant : l’article 706-150 du Code de procédure pénale n’exige pas, pour ordonner une saisie pénale immobilière, la caractérisation d’une risque de dissipation. La chambre criminelle de la Cour de cassation paraît refuser obstinément de reconnaître que, du fait même de sa nature conservatoire, la saisie pénale devrait, outre la condition de proportionnalité, être soumise à un principe de nécessité consistant à démontrer en quoi l’absence de saisie risquerait d’anéantir toute perspective de confiscation future éventuelle.
Pas de contribution, soyez le premier