Souvent reléguée au rang de voiture-balai des décisions pénales, peu ou mal motivée, parfois prononcée indistinctement à l’égard de l’ensemble des condamnés, la confiscation est pourtant une peine. Un arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 16 janvier 2019 (n°17-86581) fournit une occasion de rappeler cette évidence.
En l’espèce, un infirmier libéral est condamné pour escroquerie au préjudice de la caisse primaire d’assurance maladie et du régime social des indépendants. La cour d’appel ordonne à son encontre la confiscation de deux biens immobiliers à titre de peine complémentaire, en application de l’article 131-21 du Code pénal.
Saisie du pourvoi de l’infirmier, la chambre criminelle de la Cour de cassation, au visa de l’article précité, rappelle « qu’en matière correctionnelle, le juge qui prononce une peine doit motiver sa décision au regard des circonstances de l’infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur ». S’agissant plus précisément de la peine de confiscation, la Haute juridiction ajoute « que, hormis le cas où la confiscation, qu’elle soit en nature ou en valeur, porte sur un bien qui, dans sa totalité, constitue le produit de l’infraction, le juge, en ordonnant une telle mesure, doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée au droit de propriété de l’intéressé lorsqu’une telle garantie est invoquée ou procéder à cette examen d’office lorsqu’il s’agit d’une confiscation de tout ou partie du patrimoine ». Enfin, elle précise « qu’il incombe en conséquence au juge qui décide de confisquer un bien, après s’être assuré de son caractère confiscable en application des conditions légales, de préciser la nature et l’origine de ce bien ainsi que le fondement de la mesure et, le cas échéant, de s’expliquer sur la nécessité et la proportionnalité de l’atteinte portée au droit de propriété du prévenu ».
Ces trois attendus, déjà présents dans un précédent arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation (Cass.crim., 27 juin 2018, n°16-87009, publié au Bulletin), constituent une appréciable piqûre de rappel.
En premier lieu, contrairement à la peine d’amende ou à celle d’emprisonnement, la confiscation n’est pas une peine unique. L’article 131-21 du Code pénal prévoit à lui seul sept types de confiscation, répondant à des conditions différentes notamment relatives au lien entre le bien et l’infraction, à la licéité du bien et à la charge de la preuve de cette licéité, ou encore à sa propriété. Par exemple, l’alinéa 2 de cette disposition permet la confiscation de l’instrument de l’infraction, ce qui nécessite de démontrer que le bien a servi ou était destiné à commettre l’infraction. L’alinéa 5 pose une présomption d’illicéité qu’il appartient au condamné ou au propriétaire de renverser en justifiant l’origine du bien. L’alinéa 9 porte sur la confiscation en valeur, ce qui signifie que le caractère licite du bien détenu est indifférent mais sa valeur permettra de déterminer s’il est ou non confiscable.
En conséquence, avant même d’évoquer l’exigence de motivation de la peine, il est indispensable que les juridictions pénales précisent le fondement exact de la confiscation. A défaut, pourrait être confisqué un bien ne correspondant à aucun cas de confiscation, en violation du principe de légalité des peines (voir par exemple Cass.crim., 11 janvier 2005, n°04-84147). En outre, la référence générale à l’article 131-21 du Code pénal est totalement insuffisante et ne permet pas au condamné de comprendre les raisons de la confiscation et éventuellement les moyens de la contester en cause d’appel.
L’expression usuelle de « confiscation des scellés » est particulièrement discutable. En effet, à supposer que tous les scellés d’une même affaire soient confiscables, il est très improbable qu’ils le soient par application du même alinéa de l’article 131-21 du Code pénal et encore plus improbable qu’ils puissent l’être sans que soit précisé celui, parmi les condamnés, à qui est infligé la sanction. La pratique de la « confiscation des scellés » ou « confiscation des biens saisis » trouve sans doute un intérêt pour la gestion des biens sous main de justice. Elle peut conduire en revanche au prononcé de peines qui ne disent pas leur nom.
En second lieu, une fois le fondement légal déterminé, et donc après qu’a pu être vérifiée la réunion des conditions de confiscation, la chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle la nécessaire motivation de la peine, comme elle l’a fait à propos d’autres peines complémentaires (notamment Cass.crim, 1er février 2017, n°15-85199).
D’une part, le mouvement jurisprudentiel de motivation des peines conduira peut-être la Haute juridiction à être moins compréhensive avec les juges du fond que par le passé (voir notamment Cass.crim, 1er juillet 1998, n°97-84645 ; Cass.crim, 9 janvier 2002, n°01-82797 ; irrecevabilité des moyens au pourvoi des condamnés qui n’avaient pas contesté devant les juges du fond que les biens étaient l’instrument ou le produit de l’infraction).
D’autre part, la chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle la nécessité d’apprécier la proportionnalité de l’atteinte portée au droit de propriété de l’intéressé. Cette exigence souffre toutefois une exception en apparence logique mais en réalité assez discutable : le cas où la confiscation, en nature ou en valeur, porte sur un bien qui, dans sa totalité, constitue le produit de l’infraction.
A première vue, cette exception s’explique aisément. En effet, le principe de proportionnalité n’est pas tout à fait écarté. Il est en quelque sorte contenu dans le mécanisme de confiscation. Comment pourrait-il être disproportionné de confisquer un bien qui n’est que le produit de l’infraction ?
En réalité, le principe posé n’est pas exempt de critique. En effet, la sanction pénale ne se confond pas avec l’indemnisation du préjudice subi par la victime. Ainsi, il n’est pas nécessairement « proportionné » de condamner un prévenu à la confiscation d’un bien d’un certain montant, dévolu à l’Etat (article 131-21, avant-dernier alinéa, du Code pénal), et à payer des dommages intérêts du même montant à la victime de l’infraction. La condamnation d’un prévenu à payer le double de ce que lui a éventuellement rapporté l’infraction est loin d’être en soi proportionnée. A ce titre, la comparaison avec la peine d’amende semble pertinente. En effet, la motivation d’une peine d’amende n’est pas différenciée selon que son montant est inférieur ou supérieur au produit de l’infraction. Dans tous les cas, cette peine doit être motivée « au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges » (Cass.crim, 1er février 2017, n°15-83984, publié au Bulletin). A cet égard, la Haute juridiction refuse que le montant de l’amende soit motivé par la seule référence au bénéfice financier tiré de l’infraction commise par le prévenu (même arrêt). Or, il n’existe en pratique aucune différence notable entre une peine d’amende et la peine de confiscation en valeur. Dans les deux cas, il s’agit d’une sanction pénale affectant le patrimoine du condamné, que ce patrimoine ait ou non un rapport avec l’infraction commise, et qui se cumulera aux éventuels dommages et intérêts accordés à la partie civile. Dans ces conditions, on voit mal ce qui pourrait justifier la différence de régime entre le prononcé d’une amende et le prononcé d’une confiscation d’une somme d’argent d’un même montant sur un compte bancaire préalablement saisi. Tout au plus, l’exécution de la peine de confiscation sera plus certaine car plus aisée, ce qui devrait conduire les juridictions à être encore plus attentive au prononcé de ce type de peine. Enfin, il doit être rappelé que la peine de confiscation du produit de l’infraction n’est ni obligatoire, ni automatique.
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