Dans un arrêt du 30 janvier 2019 (N° de pourvoi 18-82644), publié au Bulletin, la Chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle que la chambre de l’instruction doit s’assurer que les pièces sur lesquelles elle se fonde pour confirmer une saisie pénale spéciale ont été communiquées à la partie appelante.

En l’espèce, dans le cadre d’une information judiciaire ouverte des chefs de banqueroute, fraude fiscale et blanchiment de ces délits, le juge d’instruction a ordonné la saisie d’un contrat d’assurance-vie au nom de la fille du mis en cause. Selon la magistrat instructeur, les fonds constituaient le produit des délits poursuivis. Pour confirmer l’ordonnance de saisie pénale de la créance figurant sur le contrat d’assurance-vie, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel s’est notamment appuyée sur des interceptions de communications téléphoniques sans qu’il soit établi que ces pièces aient été portées à la connaissance de la titulaire du contrat, partie appelante.

Au visa de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, la Chambre criminelle de la Cour de cassation expose que « la chambre de l’instruction saisie d’un recours formé contre une ordonnance de saisie spéciale au sens des articles 706-141- à 706-158 du code de procédure pénale, qui, pour justifier d’une telle mesure, s’appuie sur une ou des pièces précisément identifiées de la procédure, est tenue de s’assurer que celles-ci ont été communiquées à la partie appelante ».

Cette solution avait déjà été formulée dans les mêmes termes par la Haute juridiction dans une affaire relative à une saisie pénale immobilière (Crim., 13 juin 2018, n°17-83894) et à la saisie pénale du solde d’un compte bancaire (Crim., 13 juin 2018, n°17-83893, publié au Bulletin) à propos de l’absence de mise à disposition de l’appelant d’une plainte de l’administration fiscale.

Quel que soit le type de saisie spéciale concerné (saisie de patrimoine, saisie immobilière, saisie portant sur des biens ou droits mobiliers incorporels, saisie sans dépossession), l’appelant ne dispose pas de l’accès au dossier pénal du seul fait de son recours. Il « ne peut prétendre dans ce cadre qu’à la mise à disposition des seules pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu’il conteste » (art.706-148, al.2, 706-150, al.2, 706-153, al.2, 706-154, al.2, 706-158, al.2 Code de procédure pénale).

Selon la jurisprudence, cette formulation, particulièrement vague, ne peut conduire l’appelant à exiger de consulter l’ensemble de la procédure (Crim., 25 octobre 2017, n°16-87113 ; Crim., 25 octobre 2017, n°16-87111 ; Crim., 25 octobre 2018, n°17-86199, publié au Bulletin). En revanche, certaines pièces se rapportent nécessairement à la saisie, et doivent donc toujours être transmises. Tel est le cas, en matière de saisie de somme d’argent inscrite au crédit d’un compte bancaire, de la requête du procureur de la République aux fins d’autorisation de maintien de ladite saisie (idem). En matière de saisie pénale immobilière, la Haute juridiction a pu admettre que la requête du ministère public, l’ordonnance et la décision de saisie constituaient en l’espèce « les seules pièces de la procédure se rapportant à la saisie » (Crim., 13 juin 2018, n°17-83242 ; Crim., 13 juin 2018, n°17-83238).

La justification de cette règle, à savoir le secret de l’enquête ou de l’instruction (notamment Crim., 17 juin 2015, n°14-83236), paraît compréhensible mais sa conciliation avec les exigences d’un procès équitable est en pratique délicate. L’arrêt du 30 janvier 2019 en est une illustration dès lors qu’en l’espèce, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel n’avait pas vu de difficulté à motiver sa décision en référence à une pièce à laquelle l’appelante n’avait pas eu accès.

Cette solution mérite d’être approuvée mais sa mise en œuvre risque d’être particulièrement périlleuse.

En effet, en premier lieu, la chambre de l’instruction se prononçant sur l’appel d’une ordonnance de saisie spéciale rendue par un juge d’instruction peut avoir déjà connu de l’ensemble du dossier d’instruction à une autre occasion. Dans ces conditions, motiver sa décision par référence aux seules pièces mises à la disposition de l’appelant pourrait n’être qu’un exercice assez artificiel.

En deuxième lieu, le Ministère public dispose également de l’accès à l’intégralité du dossier. Il en résulte une inévitable inégalité des armes entre le Parquet et l’appelant.

En troisième lieu, l’objet des saisies spéciales est « de garantir l’exécution de la peine complémentaire de confiscation selon les conditions définies à l’article 131-21 du code pénal » (art.706-141 du Code de procédure pénale). En d’autres termes, la question commune à toutes les saisies, soumise à la chambre de l’instruction en cas de recours contre une ordonnance, est de savoir si une personne physique ou morale pourrait être condamnée à la peine de confiscation du bien saisi pénalement. Or, la réponse à cette question, qui dépend notamment de savoir si une infraction a pu être commise, paraît difficilement pouvoir être trouvée dans quelques pièces extraites de la procédure. Il n’est pas exagéré d’affirmer que, par principe, l’ensemble de la procédure se rapporte à la saisie contestée. A ce titre, il est évident d’une part qu’il sera plus aisé pour un mis en examen ayant accès au dossier entier de contester une saisie que pour un tiers ou pour un mis en cause ne bénéficiant pas encore du statut de mis en examen ou de témoin assisté. Il doit être constaté d’autre part qu’en l’espèce, des écoutes téléphoniques se rapportaient à une saisie pénale spéciale, ce qui démontre que les rares pièces indispensables à la procédure de saisie spéciale sont loin de constituer l’alpha et l’oméga des pièces « se rapportant à la saisie ».