Par un arrêt en date du 26 juin 2019 (n°18-84650, n°18-84651), la Chambre criminelle de la Cour de cassation procède à un sévère rappel méthodologique : il ne suffit pas de multiplier anarchiquement les fondements textuels d’une saisie pénale pour la justifier.
En l’espèce, une enquête préliminaire a été ouverte à la suite du dépôt d’une plainte des chefs d’abus de confiance aggravé, d’escroquerie et de blanchiment en bande organisée, déposée par une société à l’encontre de son ancien dirigeant. Dans ce cadre, le Procureur de la République a, d’une part, autorisé la saisie de comptes bancaires appartenant à l’une des sociétés dirigées par le dirigeant visé par la plainte, à hauteur de 1.492.543 euros et de 323.474,37 dollars, et d’autre part, requis la saisie sans dépossession d’un stock de marchandises appartenant à cette même société. Le juge des libertés et de la détention ayant maintenu la saisie des sommes d’argent et ordonné la saisie des marchandises, la société propriétaire a interjeté appel des deux ordonnances.
Pour confirmer les saisies pénales, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel a, après avoir évalué à 1.500.000 euros la valeur des marchandises et fonds qui auraient été détournées par le dirigeant, estimé que les biens saisis étaient confiscables en tant qu’objet ou produit direct ou indirect de l’infraction. Ne craignant pas la contradiction, la même juridiction a considéré que les biens pouvaient aussi faire l’objet d’une saisie en valeur sur le fondement de l’article 131-21, alinéa 9, du Code pénal. Enfin, répondant sans doute à l’objection légitime de la société propriétaire des biens selon laquelle elle n’était nullement mise en cause par la plainte, la chambre de l’instruction a précisé que l’objet ou le produit de l’infraction pouvait toujours être saisi en quelques mains qu’il se trouve.
La société appelante s’est pourvue en cassation.
En premier lieu, le moyen pris de la violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et des droits de la défense donne à la Chambre criminelle de la Cour de cassation l’occasion de synthétiser son insatisfaisante jurisprudence relative aux pièces mises à la disposition de l’appelant à l’occasion de son recours en matière d’enquête préliminaire. Ainsi, elle réitère son refus de voir l’appelant accéder à l’ensemble du dossier (Crim., 25 février 2015, n°14-86447 ; Crim., 28 février 2017, n°16-83773 ; Crim., 26 octobre 2018, n°17-86199) puisqu’elle précise que « constituent les seules pièces de la procédure se rapportant à la saisie, au sens du second alinéa des articles 706-154 et 706-158 du code de procédure pénale, la requête du ministère public, l’ordonnance attaquée et la décision de saisie précisant les éléments sur lesquels se fonde la mesure de saisie » (déjà en ce sens, Crim., 13 juin 2018, n°17-83238). Tempérant ce principe, la Haute juridiction impose que les pièces précisément identifiées sur lesquelles se fonde une chambre de l’instruction pour confirmer une saisie aient été communiquées à l’appelant (Crim., 13 juin 2018, n°17-83893). En raisonnant a contrario, on pourrait y voir, pour les juridictions, une prime à l’imprécision de la motivation. En l’espèce, la Cour de cassation a estimé que l’appelante ne justifiait pas que la Cour d’appel s’était fondée sur des éléments précisément identifiés qui n’auraient pas été communiqués.
En second lieu, en revanche, la Haute juridiction censure la décision de la chambre de l’instruction s’agissant du caractère confiscable des biens saisis. Elle remet ainsi de l’ordre dans la motivation de la Cour d’appel en envisageant deux hypothèses.
Si la société dont les biens ont été saisis pénalement n’est pas suspectée des infractions faisant l’objet de l’enquête préliminaire, ce qui est plausible dès lors qu’elle ne paraît pas visée par la plainte, elle ne peut faire l’objet d’une saisie fondée sur l’article 131-21, alinéa 3 du Code pénal qu’à deux conditions cumulatives. D’une part, il doit être établi que les marchandises et sommes saisies constituent l’objet ou le produit des infractions poursuivies. D’autre part, dès lors que dans cette hypothèse la société n’est qu’un tiers, il doit être démontré qu’elle est de mauvaise foi. La réserve des droits du propriétaire de bonne foi s’applique en effet y compris lorsque le bien saisi est l’objet ou le produit de l’infraction (déjà en ce sens, Crim., 7 novembre 2018, n°17-87424 ; Crim., 29 octobre 2003, n°02-88326). La précision de la Cour de cassation mérite d’être saluée en ce qu’elle rappelle que la bonne foi est présumée et qu’il appartient donc au ministère public de démontrer le contraire d’une part, et que cette bonne foi ne fait pas seulement échec à la confiscation lors de la phase du jugement mais également à une mesure de saisie préalable.
Si la société est suspectée, c’est-à-dire, selon les termes de la Cour de cassation, « s’il est existe des raisons plausibles de soupçonner (qu’elle) a commis les faits objets de l’enquête », la saisie en valeur est possible sous deux réserves que la chambre de l’instruction a ignorées. D’une part, le montant de la saisie en valeur ne doit pas excéder le montant du produit des infractions. En l’espèce, le produit des faits objet de l’enquête avait été évalué à 1.500.000 euros, ce qui interdisait une saisie en valeur pour un montant supérieur. D’autre part, si le principe de proportionnalité ne trouve pas à s’appliquer en cas de saisie en nature ou en valeur du produit de l’infraction (Crim., 5 janvier 2017, n°16-80275 ; Crim., 12 octobre 2016, n°16-82322), il en va différemment lorsque le propriétaire faisant objet de la saisie pénale n’a pas effectivement tiré profit de la totalité du produit (déjà en ce sens, Crim., 24 octobre 2018, n°18-80834). Dans ce cas, la saisie de la partie du produit excédant le seul profit du propriétaire doit être examinée en considération de sa situation personnelle et de la gravité concrète des faits.
Pas de contribution, soyez le premier