Karim, 36 ans, et son fils, Nino, 6 ans, revenaient tous les deux d’une soirée chez un des amis de Karim.

Extrait audience : « L’accident s’est produit très vite, je n’ai même pas eu le temps de réagir » Karim

En 2010, Karim passe une soirée chez l’un de ses amis, Pierre.

Il a été invité au dernier moment la veille, pour un diner. Karim a la garde de son fils ce soir-là. 

Karim est divorcé depuis deux ans et une garde alternée a été prononcée.  Il met un point d’honneur à chaque fois à aller chercher son fils et à ne le laisser avec une nounou sous aucun prétexte.

Cette soirée chez Pierre n’était pas prévue et il a décidé d’y aller avec son fils.

La soirée se déroule bien, entre histoires drôles et histoires vraies, et Karim boit quelques verres pendant le diner copieux alors qu’il s’était juré de ne rien consommer.

Extrait audience : « J’ai vu une lumière blanche arriver sur moi, j’ai mis un coup de volant » Karim

Nino est fatigué mais s’endort rapidement sur la banquette pendant que Karim fini son repas.

A la fin de la soirée, Karim porte Nino qui dort, et l’installe dans son véhicule dans son siège auto, en prenant soin de l'attacher.

Le trajet se déroule normalement et arrivé à son domicile, à 5 km seulement du domicile de celui de Pierre, Karim s’aperçoit alors qu’il a oublié ses clés sur la banquette chez Pierre, avec d’ailleurs son téléphone portable.

Karim très énervé décide alors (avait-il le choix) de retourner rapidement chez Pierre et pour ne pas réveiller Nino, le remet dans son siège auto, cette fois, sans l’attacher.

Sur la route, pour une raison inconnue à ce moment, Karim va mettre un coup de volant assez brusque, et son véhicule va se renverser.

L’accident est très grave, Nino héliporté décèdera au cours du trajet vers l’hôpital. Karim est gravement blessé et a été mis dans un coma artificiel.

Karim se réveillera une semaine plus tard avec quelques séquelles et sera entendu par les services de gendarmerie.

Il apprendra alors de la bouche du gendarme, les infirmières l’ayant préservé, que son fils est décédé des suites de l’accident et que son ex-femme avait déposé plainte contre lui pour homicide involontaire

Karim ne s’en remettra jamais, démissionnera de son travail qui l’occupait autrefois 12 heures par jour, coupa définitivement les ponts avec son ex-femme, et tentera même de se suicider deux fois.

Extrait audience : « Et si Nino avait été ceinturé… Aurait-il survécu ? » Procureur de la République

Les gendarmes ne retrouveront aucune trace d’un véhicule tiers susceptible d’être impliqué même si Karim a toujours soutenu avoir été ébloui par des phares venant sur sa voie. Les gendarmes ont relevé en revanche l’alcoolémie de Karim qui n’était pas très élevée mais assez pour constituer un délit et expliquer les causes de l’accident.

Extrait audience : « Comment vivre quand on a provoqué la mort… de son propre fils ? » Karim

C’est Pierre qui vient démarcher le cabinet pour la première fois, en se faisant même passer pour Karim. Il voulait des informations, a-t-il dit par la suite, sans pour autant engager Karim. Ses réponses aux questions ne sont pas convaincantes, rien ne coïncide. Il est alors vite écarté pour réapparaitre alors une semaine plus tard avec Karim.

Voilà quelqu’un d’effacé, pas forcément triste à première vue, mais qui ne va rien lâcher. Chaque réponse est calculée, le ton est sur la défensive frôlant la limite de l’agressivité. 

15 ans d’expérience ne démonte pas un avocat confronté aux pires tragédies de la route et en quelques minutes le climat se détend, et des périodes tristes, très tristes suivent alors que, Karim parle pourtant de la joie de vivre de son fils, de sa joie de vivre aussi pour son fils. 

Extrait audience : « Le délit d’homicide involontaire, est involontaire avant tout… » Michel Benezra, avocat

Karim revient sur cette nuit, cette nuit où il a vu pour la dernière fois son ange. Il explique à l’avocat qu’il roulait normalement même s’il était en colère contre lui-même d’avoir oublié ses clés chez son ami. Il a été éblouit et ce serait alors pour cela qu’il aurait mis un coup de volant.

Karim en effet, était poursuivi devant le tribunal correctionnel pour homicide involontaire sur la personne de son fils avec cette circonstance qu’il se trouvait sous l’empire d’un état alcoolique.

Pierre avait consulté plusieurs cabinets en droit routier, il avait aussi simulé cette situation délicate où il se disait être Karim. Son choix s’était alors porté sur le cabinet ayant tout de suite compris que « Karim » n’était pas Karim et pour cause, les questions posées étaient orientées, techniques, précises et tellement rassurantes pour une raison qui lui échappait. Pierre se sentant un peu impliqué avait décidé de prendre les choses en mains et d’aider Karim à surmonter cette épreuve.

Extrait audience : « Enlever une vie est manifestement une épreuve lourde. Enlever la vie de son propre fils n’est pas une simple épreuve mais certainement juste l’Enfer ! » Michel Benezra, avocat

Pierre finançait les dépenses d’avocats et n’avait pas hésité une seule seconde lorsque les tarifs assez élevés lui avaient été notifiés. 

L’audience était fixée pour le mois prochain, et cinq jours après le passage de Karim au cabinet, le dossier volumineux, ou du moins une copie, était déjà consulté, analysé et dépouillé par quelques stagiaires.

La pratique consiste à « casser » le dossier qui est proposé dans un ordre chronologique. Des centaines de pages se succèdent allant du signalement de l’accident, en passant par l’expertise ou l’exploitation de vidéos jusqu’à la fameuse convocation délivrée au prévenu et aux parties civiles constituées dans ce dossier par l’ex-femme de Karim et son ex belle-mère.

« Casser » le dossier c’est enlever cette chronologie idiote et réunir au contraire, les PV d’audition selon leur intérêt. Il est intéressant par exemple de consulter toutes les auditions de Karim en même temps et celles d’éventuels témoins dans la foulée sans être obligé de lire telle ou telle expertise.

C’est aussi lire toutes les expertises en même temps et les comparer pour déceler d’éventuelles incohérences.

Dans le dossier de Karim, il n’y avait pas grand-chose à comparer et pour cause, il existait bien une expertise en alcoolémie, mais outre les constatations des gendarmes, il n’y avait pas au dossier, d’expertise technique en accidentologie.

Si les gendarmes avaient bien réalisé des croquis de l’accident, fixé les positions du véhicule et du corps du petit Nino, et enfin photographié les traces de freinage du véhicule, aucun point de choc n’avait été déterminé.

Or le point de choc dans un accident est essentiel et permet non seulement de déterminer une vitesse avant le choc, au moment du choc puis en sortie de choc mais aussi, de comprendre une éventuelle sortie de route et ce d’autant que dans ce dossier, Karim a toujours soutenu avoir vu un véhicule venir sur sa voie.

Extrait audience : « Et si une voiture était réellement venue sur sa voie, sa manœuvre aurait été justifiée et non fautive. » Michel Benezra, avocat

Il fallait manifestement travailler ce point, non pas forcément pour disculper un prévenu poursuivi pour homicide involontaire, mais pour la vérité voulue par un client qui a perdu son fils.

Si dans les premiers temps, un sentiment de déni se dégageait de ce dossier, il est apparu clairement qu’il existait manifestement de nombreuses insuffisances dans ce dossier car les gendarmes ont voulu passer par des raccourcis interdits en droit de la procédure pénale.

Extrait audience : « En matière d’homicide involontaire, l’évidence ne peut guider l’enquête, pire, elle doit être suivie en dernier ressort. » Michel Benezra avocat

Le jour de l’audience, c’est une révélation. Les trois juges désignés pour suivre et trancher ce dossier s’accordent tous les trois sur la théorie d’insuffisance du dossier avancée par l’avocat.

S’en est trop, Karim s’effondre en larmes tout en continuant à répondre aux questions du procureur de la République.

Extrait audience : « Ma vie n’a plus de sens, j’attends que le temps passe, en quelques secondes tout a basculé » Karim

Une expertise en accidentologie est alors ordonnée sur le véhicule toujours sous séquestre et l’affaire est renvoyée à deux mois. Deux mois pendant lesquels Karim va encore moins dormir qu’avant. 

Deux mois plus tard, le rapport d’expertise confirme la version de Karim : un premier point de choc a été fixé sur l’aile gauche du véhicule de Karim impliquant alors un  autre véhicule qui aurait percuté celui de Karim lorsqu’il a réalisé sa manœuvre d’évitement. Un second point de choc apparaissait également sur le devant du véhicule de Karim correspondant au choc occasionné lorsque Karim est allé s’encastrer dans le seul arbre robuste de la route.

L’avocat plaidait la relaxe pour l’homicide involontaire, en se fondant sur les conclusions d’expertises, en rapportant la preuve que la manœuvre avait été nécessaire face au véhicule venant d’en face et non fautive, tout en reconnaissant la responsabilité pénale de Karim pour l’alcoolémie.

Extrait audience : « Quelle que soit la peine prononcée, elle ne sera pas à la hauteur de son calvaire » Michel Benezra, avocat

Le parquet sollicitait la condamnation de Karim à 4 ans d’emprisonnement dont 36 mois avec sursis et 10 ans d’interdiction de conduire.

Le tribunal correctionnel a décidé de condamner Karim malgré les arguments avancés par la défense (demande de relaxe purement et simplement), à une peine symbolique de 6 mois d’emprisonnement avec sursis, et 6 mois de suspension de permis, pour sa négligence quant à son manquement vis à vis des attaches du siège auto, restées ouvertes pendant l’accident. 

Karim, depuis le procès de sa vie, a tenté de se reconstruire en participant à des opérations de prévention routière dans des écoles. 

Il expose alors son histoire régulièrement, son amour pour son fils, ses tentatives de suicide, son opinion de la justice, pour expliquer que le bon conducteur n’est pas celui qui conduit le mieux et le plus vite, mais celui qui conduit en pensant aux autres. Que chacun, au volant, peut être confronté un jour à une histoire semblable, parce que l’homicide involontaire n’est jamais volontaire, il arrive toujours au mauvais moment.

Michel Benezra, avocat associé

BENEZRA AVOCATS

Droit Routier & Dommages Corporels

https://www.benezra.fr 

0145240040 / info@benezra.fr

EN SAVOIR + FICHE HOMICIDE INVOLONTAIRE