Arrêt Conseil d’Etat statuant au contentieux (Section du contentieux, 7ème et 2ème chambres réunies) PK N° 453378  Ministre des Armées contre X - séance du 9 mars 2022 - décision du 28 mars 2022

Les faits : M. X... a été affecté en tant que commis aux vivres à bord de divers navires de la Marine nationale entre 1977 et 2001, entre 19 et 43 ans  (la FIM, Fiche Individuelle du Marin, récapitule les différentes affectations).

A l’époque, et jusqu’à la fin des années 1980, les bâtiments de la Marine d’Etat étaient construits en utilisant couramment l’amiante pour le calorifugeage des tuyauteries et des parois. Avec le temps, l’usure et les contraintes, ce matériau eut tendance à se déliter ; partant, le personnel était exposé au risque d’inhalation de poussières d’amiante – sans que des mesures particulières préventives ne soient alors prises.

A l’heure de sa retraite, M. X... rassembla les éléments de sa carrière et vint à disposer d’une attestation du directeur du personnel militaire de la Marine (DPMM) du 13 mai 2013, indiquant que « pendant ces affectations ou mises pour emploi, l’intéressé a été exposé aux risques présentés par l'inhalation de poussières d'amiante ».

La procédure : M. X… a sollicité en août 2016 du Ministère des Armées la réparation de son préjudice moral /de son « préjudice d’anxiété » - à savoir les troubles dans ses conditions d'existence résultant de son exposition aux poussières d'amiante sans aucun moyen de protection efficace fourni par l’employeur.

Par un jugement du 20 juin 2019, le tribunal administratif de Rennes a condamné l'Etat à verser à M. J... la somme de 5.000,00 €, en réparation dudit préjudice moral.

Sur appel du Ministère, la Cour d’Appel Administrative de NANTES, par arrêt du 6 avril 2021, a rejeté ledit recours.

Sur pourvoi du Ministère, le Conseil d’Etat a rendu un arrêt portant reconnaissance du droit à indemnisation du préjudice d’anxiété issu d’une exposition potentielle à l’amiante.

Appréciation de l’arrêt 

A - Quant au droit de la preuve, il est celui de cette « exposition effective aux poussières d’amiante susceptible de l’exposer à un risque élevé de développer une pathologie grave et de voir, par là même, son espérance de vie diminuée ».

Il ne s’agit donc « que » d’établir l’« éventualité de la réalisation de ce risque » pour ouvrir droit à indemnisation – « sans avoir à apporter la preuve de manifestations de troubles psychologiques engendrés par la conscience de ce risque élevé de développer une pathologie grave ». Juridiquement et procéduralement parlant, il n’est pas exigé d’être atteint d'une pathologie liée à l'amiante. Il s’agit ici d’un préjudice d’anxiété – non d’une procédure d’indemnisation suite à lésions physiologiques constatées.

Les juges du Palais Royal ont relevé les éléments du dossier établissant cette exposition dans un espace « clos et confiné » – au rang desquels figuraient les différentes affectations et la lettre de la DPMM de 2013.

Une particularité toutefois : il a été estimé que les bénéficiaires de l’ «allocation spécifique de cessation anticipée d'activité, désormais régi par la loi du 29 décembre 2015, lequel vise à compenser un risque élevé de baisse d’espérance de vie des personnels ayant été effectivement exposés à l’amiante, doivent, de même, être regardées comme justifiant de ce seul fait d’un préjudice d’anxiété lié à leur exposition à l’amiante » : une preuve « automatique » en quelques sorte.

B - les conséquences : Peu importe la fonction exercée (y compris comme en l’espèce celle de commis aux vivres, spécialité indispensable, incontournable et appréciée de l’équipage même si peu « guerrière »). A partir du moment où il y aura eu exposition à l’amiante, il y a ouverture à indemnisation.

La solution d’indemnisation s’imposait – avec une évaluation de l’indemnisation à hauteur du risque encouru découlant – entre autres – de la durée d’exposition.

Perspectives

Cet arrêt s’inscrit dans la lignée des instances civiles reconnaissant depuis plus de dix ans le préjudice d’anxiété – cf. la jurisprudence judiciaire issue dudit risque d’amiante (e.g. Civ. 11.05.2010 Bull. Civ. V n° 106 DALLOZ 2048 note C BERNARD) – ou celle découlant de l’usage du « Médiator » des Laboratoires SERVIER, ….

Mais il s’agit là d’une première en droit administratif quant aux marins d’Etat – précédés il est vrai par les ouvriers d’État de la construction navale « DCN » (v. CE 3 mars 2017, n° 401395, Ministre de la Défense, Lebon 03-03-2017 n° 401395 ; AJDA 2017 495 – allocation cette fois de 12.000,00 € au titre du préjudice moral et de 2.000,00 € au titre des troubles dans les conditions d'existence).

Me Pierre BORDESSOULE de BELLEFEUILLE

Avocat à la Cour - Barreau de Versailles - C 392

Cabinet des Bords de SEINE

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