Les dernières années ont été particulièrement marquées par une accélération du processus législatif, notamment en droit des étrangers, droit complexe et mouvant.

En effet, depuis le début des années 2000, plusieurs textes sont venus modifier en profondeur les conditions d'entrée et de séjour des étrangers sur le territoire, ainsi que la procédure applicable en matière d'éloignement.

Ainsi, de manière non exhaustive, on peut citer:

  • la Loi n°2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration;
  • la Loi n°2011-672 du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité;
  • la Loi n°2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile;
  • la Loi n°2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

En 2018, deux textes majeurs sont venus modifier en partie les règles applicables au droit d'asile. Il s'agit de la Loi n° 2018-187 du 20 mars 2018 permettant une bonne application du régime d'asile européen et de la Loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.

I.  Sur la Loi n° 2018-187 du 20 mars 2018 permettant une bonne application du régime d'asile européen

Cette Loi, publiée au Journal Officiel le 20 mars 2018, fait suite à l'adoption du Règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (dit Règlement Dublin III).

L'objectif affiché était de clarifier les règles applicables à l'asile au niveau européen et ainsi, de mettre fin aux jurisprudences contradictoires de la Cour de Justice de l'Union Européenne, la Cour de Cassation et le Conseil d'Etat.

Le texte contient donc quatre dispositions principales:

  • Tout d'abord, il autorise le placement en rétention d'un réfugié relevant de la procédure Dublin (du nom du Règlement Dublin III, lequel prévoit qu'est responsable de l'examen d'une demande d'asile l'Etat par lequel le réfugié est entré dans l'UE ou qui lui a accordé un titre de séjour), tout en l'assortissant d'un certain nombre de garde fous pour répondre aux exigences posées par la Cour de cassation et du Conseil d'Etat.

Ainsi, en attendant le renvoi vers le pays d'entrée dans l'UE, le placement en rétention n'est possible que "pour prévenir un risque non négligeable de fuite, sur la base d'une évaluation individuelle, prenant en compte l'état de vulnérabilité de l'intéressé, et uniquement dans la mesure où le placement en rétention est proportionné [...]"

Par souci encore de clarification, la loi énumère douze situations permettant de soupçonner un "risque non négligeable de fuite", comme par exemple, le refus de se soumettre au relevé des empreintes digitales ou l'altération volontaire de ces dernières.

  • Ensuite, la Loi du 20 mars 2018 rappelle que le principe doit être celui de l'assignation à résidence et le placement en rétention, l'exception.

Pour cela, la loi assouplit notamment les règles relatives aux visites domiciliaires, préalable indispensable à l'assignation à résidence.

  • Toujours dans cette même perspective, la Loi sécurise l'assignation à résidence, sans limitation de durée, d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement, mais qui justifie être dans l'impossibilité de quitter le territoire français, de regagner son pays d'origine ou de se rendre dans aucun autre pays.

Ainsi, le texte prévoit que le maintien sous assignation à résidence au-delà d'une durée de cinq ans fera désormais l'objet d'une décision spécialement motivée, énonçant les circonstances particulières justifiant cette prolongation au regard, notamment, de l'absence de garanties suffisantes de représentation de l'étranger ou de sa dangerosité.

Cette disposition, qui ne figurait pas dans la version initiale du texte, résulte d'une Décision du Conseil Constitutionnel n°2018-762 DC du 15 mars 2018.

  • Afin d'accélérer les procédures, la Loi ramène de quinze à sept jours le délai de contestation d'une décision de transfert vers un autre pays de l'Union Européenne au titre de la procédure Dublin.

 

II. Sur la Loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie

La loi du 10 septembre 2018 résulte d'un projet présenté en début d'année au Conseil des Ministres par Monsieur Gérard COLLOMB, Ministre de l'Intérieur.

Certaines de ses dispositions n'entreront en vigueur qu'en 2019. Toutefois, il est d'ores et déjà possible de tirer les premiers enseignements de ce texte, globalement validé par le Conseil Constitutionnel dans sa Décision n°2018-770 DC du 6 septembre 2018.

Ainsi, cette loi poursuit plusieurs objectifs :

  • la réduction des délais d’instruction de la demande d’asile : en effet, la loi vise à réduire à six mois en moyenne les délais d’instruction de la demande d’asile.

En amont, cela suppose que les étrangers arrivant en France disposeront désormais de 90 jours à compter de leur arrivée pour déposer une demande d‘asile (au lieu de 120) et en cas de rejet de leur demande d'asile par l'OFPRA, les requérants disposeront désormais de quinze jours (au lieu d'un mois) pour faire appel de la décision devant la CNDA.

  • le renforcement de la lutte contre l’immigration irrégulière : pour cela, la loi vise à faciliter la reconduite à la frontière pour les déboutés d'asile.

Le texte modifie également les règles applicables en matière d'appel devant la CNDA puisque faire appel de la décision de l'OFPRA ne permettra plus de suspendre une décision d‘expulsion pour les personnes originaires de pays dit “sûrs”.

De plus, un demandeur débouté ne pourra plus solliciter un autre de séjour excepté en cas de circonstances nouvelles. 

Par contre, pendant le délai de recours accordé aux déboutés à qui il sera fait obligation de quitter le territoire français, le recours à l’assignation à domicile sera possible.

Autre mesure phare: la durée maximale de la rétention sera doublée et passera de 45 à 90 jours. Sur ce point le Conseil Constitutionnel a émis une réserve d'interprétation, jugeant que, pour être constitutionnel, ce dispositif suppose que "l'autorité judiciaire conserve la possibilité d'interrompre à tout moment la prolongation du maintien en rétention, de sa propre initiative ou à la demande de l'étranger, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient".

La retenue administrative pour vérification du droit de séjour passera quant à elle de 16 à 24 heures. Le délit de franchissement non autorisé des frontières extérieures à l’espace sera sanctionné d’un an de prison et 3750 euros d’amendes. Enfin, la loi prévoit une amélioration des échanges d‘informations entre l‘Office français de l‘immigration et de l‘intégration (OFII) et les services d‘hébergement d‘urgence, concernant les demandeurs d‘asile et les réfugiés (CADA).

  • l’amélioration de l’accueil des étrangers admis au séjour pour leurs compétences et leurs talents: dans cette perspective, le texte étend le passeport talent aux salariés d’entreprises innovantes.

La mobilité des étudiants et chercheurs entre leur pays d’origine et la France sera facilitée, y compris dans le cadre de programmes de mobilité intra-européens.

La recherche d’emploi sera également facilitée pour ceux qui auront terminé leurs études en France et justifieront d’un niveau suffisant.

  • le renforcement de la protection des femmes risquant l'excision dans leur pays d'origine et des victimes de violences conjugales.
  • la sécurisation du droit au séjour pour les bénéficiaires de la protection internationale et des membres de leur famille: sur ce point, le texte porte à quatre ans (au lieu d’un an actuellement) la durée du titre de séjour pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire et les apatrides et ce, dès leur première admission au séjour et lors de son renouvellement.

Egalement, il uniformise les conditions de délivrance des titres de séjour prévues pour les membres de la famille des bénéficiaires d’une protection internationale et étend le bénéfice de la réunification familiale aux frères et soeurs du mineur réfugié.

  • l'instauration d'un régime spécifique du droit du sol pour Mayotte: concrètement, cela signifie que pour qu’un enfant né à Mayotte puisse bénéficier du droit du sol, il faudra qu’à la date de sa naissance, l’un de ses parents au moins réside en France de manière régulière, sous couvert d’un titre de séjour, et de manière ininterrompue depuis plus de trois mois.

Outre la réserve d'interprétation évoquée supra, plusieurs dispositions du texte ont été censurées par le Conseil Constitutionnel pour raisons procédurales:

  • l'article 15 qui modifiait le paragraphe II de l'article L. 349-2 du Code de l'action sociale et des familles afin de prévoir que les centres provisoires d'hébergement participeraient aux actions d'intégration des étrangers réfugiés;
  • l'article 52 autorisant le Gouvernement à prévoir, par ordonnance, « les dispositions répartissant les compétences, au sein de la juridiction administrative, en matière de contentieux des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de contentieux du droit de se maintenir sur le territoire français prévu aux articles L. 743-3, L. 743-4 et L. 571-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les dispositions permettant d'organiser, devant la Cour nationale du droit d'asile, des procédures d'urgence ».
  • Ont également été censurés les dispositions de l'article 42 prolongeant l'autorisation d'exercer la médecine accordée à certains praticiens étrangers et de l'article 72 imposant au Gouvernement de définir certaines orientations et un plan d'actions pour la prise en compte de certains mouvements migratoires.

Hormis ces quelques points, les dispositions de la Loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 entreront en vigueur au plus tard en 2019.

Quelques mois seront bien entendu nécessaires pour en apprécier toute la portée. Une chose est sûre en revanche: les avocats traitant le contentieux du droit des étrangers doivent dès à présent intégrer ces nouvelles dispositions afin de conseiller au mieux leurs clients les défendre utilement, notamment dans le cadre des recours devant la CNDA.