La Décision n°2018-768 QPC du 21 mars 2019, M. Adama S. [Examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l'âge] était particulièrement attendue, tant par les associations de protection de l’enfance, que les structures d’accueil des mineurs étrangers isolés et, bien entendu, les avocats pratiquant le droit des étrangers.

Elle laisse donc à tous un goût amer...

Pour rappel, le Conseil Constitutionnel avait été saisi le 21 décembre 2018 d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC*) après qu’un jeune guinéen, arrivé en France en 2016 et affirmant alors être âgé de 15 ans, ait été considéré comme majeur par le juge des enfants en raison de son refus de se soumettre aux tests osseux prévus par l’article 388 du Code civil.

Le jeune homme avait fait appel de cette décision et consenti à un tel examen afin de prouver sa bonne foi. Malheureusement, les tests osseux lui avaient attribué un âge compris entre 20 et 30 ans. Devant la Cour de cassation, il dénonçait le manque de fiabilité de ces tests réalisés à partir d’une radiographie (généralement du poignet) pour pouvoir y fonder une décision de justice.

Saisi par la Haute Juridiction, le Conseil Constitutionnel devait donc se prononcer sur la question de la conformité de l’article 388 du Code civil aux droits et libertés que la Constitution garantit.

Plusieurs moyens d’inconstitutionnalités étaient soulevés par le requérant, soutenu par de nombreuses associations:

  • Il invoquait d’abord la méconnaissance, par les dispositions précitées, de l'exigence de protection de l'intérêt de l'enfant fondée sur le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, dès lors que le manque de fiabilité des examens radiologiques osseux conduirait à juger comme majeurs des mineurs étrangers isolés et à les exclure en conséquence du bénéfice des dispositions législatives destinées à les protéger;
  • Il était également soutenu que le droit à la protection de la santé serait méconnu par les dispositions contestées, en ce qu'elles autoriseraient le recours à un examen radiologique comportant des risques pour la santé, sans finalité médicale et sans le consentement réel de l'intéressé.
  • Pour les mêmes motifs, ces dispositions contreviendraient au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine.
  • Elles seraient également contraires au droit au respect de la vie privée dans la mesure où elles aboutiraient à la divulgation de données médicales concernant les mineurs isolés, sans que ceux-ci y aient consenti.
  • Enfin, les dispositions contestées seraient entachées d'incompétence négative dans des conditions portant atteinte au principe d'égalité devant la loi en tant qu'elles permettent le recours à des examens osseux en l'absence de “documents d'identité valables” sans préciser cette notion ni renvoyer à d'autres dispositions législatives qui le feraient.

D’un simple revers de main, le Conseil Constitutionnel a balayé cet argumentaire en considérant notamment, sur le grief tiré de la méconnaissance de l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant :

  • que seule l'autorité judiciaire peut décider de recourir à un tel examen;
  • cet cet examen ne peut être ordonné que si la personne en cause n'a pas de documents d'identité valables et si l'âge qu'elle allègue n'est pas vraisemblable.
  • cet examen ne peut intervenir qu'après que le consentement éclairé de l'intéressé a été recueilli, dans une langue qu'il comprend. À cet égard, la majorité d'une personne ne saurait être déduite de son seul refus de se soumettre à un examen osseux.
  • le législateur a pris en compte, dans les garanties qu'il a établies, l'existence de la marge d'erreur entourant les conclusions des examens radiologiques: d'une part, il a imposé la mention de cette marge dans les résultats de ces examens; d'autre part, il a exclu que ces conclusions puissent constituer l'unique fondement dans la détermination de l'âge de la personne.

Pour le Conseil Constitutionnel, il appartient à l'autorité judiciaire d'apprécier la minorité ou la majorité de la personne en prenant en compte les autres éléments ayant pu être recueillis, tels que l'évaluation sociale ou les entretiens réalisés par les services de la protection de l'enfance. Si les conclusions des examens radiologiques sont en contradiction avec les autres éléments d'appréciation susvisés et que le doute persiste au vu de l'ensemble des éléments recueillis, ce doute doit profiter à la qualité de mineur de l'intéressé.

Le Conseil Constitutionnel en conclut donc que, “compte tenu des garanties entourant le recours aux examens radiologiques osseux à des fins de détermination de l'âge, le législateur n'a pas méconnu l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant découlant des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946. Le grief tiré de la méconnaissance de cette exigence doit donc être écarté.

Les griefs tirés de la méconnaissance du droit à la protection de la santé ou encore du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et de l'inviolabilité du corps humain ont pareillement été écartés.

En conséquence, dans sa décision n°2018-768 QPC du 21 mars 2019, le Conseil Constitutionnel a considéré que les deuxième et troisième alinéas de l'article 388 du code civil, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant, sont conformes à la Constitution.

 

Par cette décision, le Conseil Constitutionnel a certes tenu à mettre en garde les magistrats contre les risques d’un recours abusif et une confiance excessive en ces tests osseux mais ceux-ci pourront continuer à être pratiqués avec les conséquences que l’on connaît...

Nous entendons aussi les inquiétudes - légitimes - des services de l’Aide Sociale à l’Enfance qui ne peuvent prendre le risque de laisser des majeurs qui se prétendraient mineurs côtoyer de “vrais” mineurs vulnérables du fait de leur âge mais aussi et surtout en raison d’une histoire familiale et personnelle particulièrement douloureuse.

De notre côté, nous sommes néanmoins inquiets pour ces jeunes dont les conditions de prise en charge sont incertaines.

Si les juges du fond concluent à leur majorité et par conséquence, à leur exclusion des dispositifs d’accueil des mineurs, ils n’en déterminent pour autant pas l’âge exact. Dès lors, ces jeunes ne peuvent pas non plus intégrer les Foyers jeunes travailleurs ou conclure des contrats jeunes majeurs...

Quelle solution leur reste-t-il?

L’avenir le dira au gré des évolutions législatives et scientifiques.

En attendant, le parcours du combattant continue et j’ai aujourd’hui une pensée toute particulière pour les jeunes clients dont l’affaire est en cours, devant le Juge des Enfants ou la Chambre des mineurs de la Cour d’Appel et qui attendaient beaucoup de la décision du Conseil Constitutionnel...

 

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*QPC: Introduite en droit français par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, la QPC, prévue par l’article 61-1 de la Constitution, est une procédure de contrôle de constitutionnalité des lois déjà promulguées (contrôle a posteriori) qui permet, sous certaines conditions, au Conseil d’Etat ou à la Cour de Cassation de demander au Conseil Constitutionnel de vérifier si une disposition législative ne serait pas inconstitutionnelle en ce qu'elle “porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution”.