Il semblerait que les avocats ayant pour habitude la pratique du contentieux des loyers impayés vont avoir des difficultés à expliquer à leurs clients, dans les mois à venir, la teneur de la jurisprudence actuellement rendue par le Tribunal judiciaire de Paris concernant le recouvrement des loyers impayés pendant la période de fermeture des commerces dits non essentiels.
Généralement, le litige met en scène un restaurant qui a fait l’objet d’une mesure de fermeture d’office en raison du contexte sanitaire actuellement en vigueur. Face à cette fermeture, le locataire commercial excipe généralement soit la force majeure soit l’obligation de jouissance qui n'a pas été respectée par le bailleur offrant ainsi au locataire la possibilité de ne pas payer les obligations, au titre de la doctrine de l’exception d’inexécution.
Récemment saisi de plusieurs affaires concernant le sujet, le Tribunal judiciaire de Paris semble indécis face à la solution à apporter. Ainsi, nous avions rappelé dans un précédent article que, dans un arrêt du 20 janvier 2021, le Tribunal judiciaire de Paris a pu considérer qu’un établissement fermé en raison de la crise sanitaire est libéré de son obligation de payer les loyers car la décision de fermeture des pouvoirs publics s’analyse en une « perte de la chose louée » (TJ Paris, 20 janv. 2021, n°20/80923). Cette perte de la chose louée entraine une impossibilité pour le bailleur de solliciter le paiement des loyers pendant la période de fermeture.
Désormais, dans un jugement datant de simplement quelques jours après celui du 20 janvier, le Tribunal judiciaire de Paris conclut à une solution opposée (TJ Paris, 18ème Chambre - 2ème section, 25 janvier 2021, RG n°18/02353). Si le contexte du contentieux portait sur un renouvellement du bail, il n’en demeure pas moins qu’un moyen soulevé dans le cadre du présent contentieux portait sur les loyers impayés pendant la période de confinement. Le Tribunal Judiciaire de Paris tranche en faveur du bailleur (en rejoignant par la même occasion l’analyse de plusieurs cours d’appel) et estime que la période de fermeture justifie seulement un aménagement du paiement des loyers et non un effacement de la dette.
La Cour d’appel de Paris a également rendu un récent arrêt sur la question qui devrait être une ligne de conduite pour les juges de première instance (CA Paris, Pôle 1, Ch. 2, 4 février 2021, n°20/12540) qui indique par un attendu intéressant :
« Que force est de constater que la pandémie du Covid-19, qui a bien évidemment eu de lourdes conséquences sur le secteur de la restauration, ne suffit pas à dispenser l’exploitant du paiement des loyers et indemnités d’occupation dus, nonobstant la discussion des parties sur la date précise d’envoi du courrier du preneur faisant état de ses difficultés au bailleur ; qu’est également indifférente à l’obligation de paiement l’existence de procédures de saisies diligentées à la demande de la SCI X au cours de cette période ; »
Si la Cour d’appel reconnait l’existence de difficultés financières liées à la crise, elle n’absout pas le locataire de son obligation de payer les loyers.
Concernant l’obligation de jouissance, elle a également été largement mise de côté par la Cour d’appel de Riom dans une jurisprudence très récente (CA Riom, 2 mars 2021, n°20/01418) qui soutient que :
« Or, l’impossibilité pour le locataire d’exercer son activité dans les lieux n’est pas la conséquence d’un manquement du bailleur à son obligation de garantie de jouissance paisible, mais d’une décision de l’autorité qui s’impose au locataire comme au bailleur. Le bailleur ne dispose d’aucun moyen pour interdire lui-même l’accès des locaux loués au public. »
L’argument semble pertinent et non dénué de sens. On ne pourrait pas imposer au bailleur une double peine : celle de ne pas percevoir ses loyers et celle d’être à l’origine de la fermeture (et, par voie de conséquence, de l’absence de jouissance) du locataire. Si la décision de fermeture des commerces non essentiels revient aux pouvoirs publics, il revient aux parties de s’organiser.
Enfin, rappelons que dans le dernier arrêt connu sur la question (CA Orléans, Ch. Commerciale, 25 mars 2021, n°20/02454), la Cour d’appel d’Orléans a même considéré qu’à la vue des éléments comptables soumis aux débats, les éléments de nature à caractériser la force majeure n’étaient pas réunis. Il faut en conclure un seul dénominateur commun à toutes ces affaires : aucune possibilité d’invoquer la décharge de son obligation de payer les loyers n’existe par le simple fait de l’existence de la crise sanitaire. Les juridictions ont bel et bien mis en place un système d’appréciation in concreto. En notre qualité d’avocat, nous devons bien rappeler cela à nos clients.
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Asif Arif
Avocat au Barreau de Paris
asif.arif@cabinet-arif.com
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