Le Cabinet a représenté devant le juge administratif un fonctionnaire ayant fait l'objet d'une sanction d'exclusion de formation préalable à l'entrée en école de gardiens de la paix, sanction suspendue par le juge des référés avec injonction de réintégration de l'agent. Celui-ci avait été réintégré par le Ministère de l'intérieur, et avait poursuivi normalement son parcours, en obtenant une mesure de nomination en qualité d'élève gardien de la paix stagiaire, puis le 29 juin 2017, une mesure de titularisation dans ce corps.

Entre-temps, par jugement du 14 avril 2016, le tribunal administratif a rejeté la requête de fond, et ce n'est que par une décision du 28 septembre 2017, que le Ministère a finalement décidé de retirer la décision de titularisation du 29 juin 2017, et de "remettre en vigueur" la sanction initiale d'exclusion.  

Le Cabinet a détaillé, dans une précédente note d'actualité, comment ce retrait avait été suspendu par le tribunal administratif, de nouveau saisi en référé, devant lequel nous avions soutenu que la mesure violait le principe de sécurité juridique, selon lequel l'administration ne peut retirer une décision individuelle défavorable, à la supposer illégale, que dans un délai raisonnable (qui est fixé par principe, depuis la jurisprudence Ternon, à 4 mois courant à compter de l'adoption de l'acte) : https://www.linkedin.com/pulse/contentieux-administratif-le-d%C3%A9lai-raisonnable-de-4-ta-komly-nallier/

Le Ministère ayant formé un pourvoi en cassation contre cette ordonnance de référé, la requête a été examinée par le Conseil d'Etat, qui a saisi cette occasion pour étendre l'application de sa jurisprudence "Commune de Bordeaux" (C.E. Section, 7 octobre 2016, Commune de Bordeaux, n° 395211, p. 409).

Cette jurisprudence "Commune de Bordeaux" a été rendue dans le souci de protéger la sécurité juridique des justiciables qui, pour faire simple, gagnent d'abord en référé mais perdent ensuite au fond : ils ont obtenu en référé la suspension de la décision défavorable qu'ils attaquaient, et en exécution de cette suspension, ils ont obtenu la mesure favorable qu'ils espéraient. Mais dans les mois qui suivent, l'affaire est jugée au fond et le juge du fond refuse de suivre le juge des référés et considère, lui, que la requête doit être rejetée, c’est-à-dire que la décision défavorable initiale était justifiée. Comment régler le sort de la mesure favorable intervenue entre-temps ?

L'arrêt "Commune de Bordeaux" a tranché la question : à compter de la réception par l'administration du jugement au fond, celle-ci a un "délai raisonnable" pour retirer la décision favorable prise en exécution de la suspension ordonnée par le juge des référés. Passé ce délai, elle n'a plus le droit de retirer cette décision qui, même illégale, est devenue définitive.

Toute la question est de savoir quel est le "délai raisonnable", et c'est là que se situe l'incertitude de cette jurisprudence, puisque l'arrêt "Commune de Bordeaux" permettait de comprendre que le Conseil d'Etat n'entendait pas fixer un délai général, mais entendait se réserver la possibilité de différencier les délais en fonction des catégories de décisions administratives (catégories qui ne sont elles-mêmes pas non plus définies par l'arrêt "Commune de Bordeaux"…).

L'arrêt "Commune de Bordeaux" a ouvert le ban en précisant qu' "eu égard à l'objet et aux caractéristiques d'un permis de construire", une commune ne peut retirer un permis accordé suite à l'injonction délivré par le juge des référés ayant suspendu le refus initial de permis, que dans un délai de 3 mois à compter de la notification du jugement rejetant la requête de fond dirigée contre le refus initial.

Pour la deuxième mise en œuvre jurisprudentielle de cette règle, le Conseil d'Etat a ensuite fourni une importante précision, par son arrêt "Leonardi" (C.E. 17 mai 2017, Leonardi / Ministre de l'économie, n° 397053), décidant qu'une rémunération versée à un fonctionnaire initialement mis à la retraite, mais réintégré par ordonnance de référé suspendant la mise à la retraite, ne peut jamais donner lieu à une demande de remboursement par l'administration, lorsque la requête en annulation de la mise à la retraite a, finalement, été rejetée au fond. On se situe là dans une exception qui pourrait s'étendre à d'autres catégories de décisions : celles qui ne peuvent, par principe, jamais donner lieu à un retrait postérieur au jugement au fond, même dans un délai raisonnable (ce qui est logique puisque la rémunération n'est pas une "mesure provisoire" prise après référé, elle est un droit attaché au service fait).

L'arrêt rendu par le Conseil d'Etat dans l'affaire du gardien de la paix défendu par notre Cabinet est la 3e mise en application, mentionnée au Recueil Lebon, de la jurisprudence "Commune de Bordeaux" (C.E. 23 mai 2018, X. / Ministère de l'intérieur, n° 416313).

Dans cette dernière affaire, le Conseil d'Etat a estimé que, dans la situation du fonctionnaire exclu de service, la mesure de réintégration prise en exécution de l'ordonnance de référé ne peut être retirée que dans un délai de 4 mois courant à compter de la notification à l'administration, du jugement au fond ayant rejeté la requête en annulation de l'exclusion initiale.