Le cabinet a représenté devant la Cour administrative d'appel de Nancy un fonctionnaire hospitalier affecté dans une maison d'enfants en qualité d'éducateur spécialisé, ayant été contraint de rechercher sa mutation en dehors de cet établissement en raison d'agissements de harcèlement moral dont il était victime de la part de sa supérieure hiérarchique.

La maison d'enfants soulevait d'abord devant la Cour, la prescription quadriennale mais l'exception est écartée par les juges, qui rappellent qu'en matière de harcèlement moral, s'applique la règle selon laquelle la prescription ne court qu'à compter de la date à laquelle la réalité et l'étendue des préjudices ont été entièrement révélées à l'agent. A contrario, la prescription ne commence pas à courir à compter de la date à laquelle les faits de harcèlement moral ont été commis.

La Cour administrative d'appel de Nancy relève ensuite qu'il résulte des attestations produites par le requérant, précises et circonstanciées, couvrant une période chronologique bien délimitée et émanant de collègues de travail qui ont été témoins directs, que le requérant a bien été la cible de critiques virulentes et disproportionnées, tenues en public (en réunion de service), exprimées en termes vexatoires, agressifs et dévalorisants, excédant les limites du pouvoir hiérarchique.

La maison d'enfants objectait que plusieurs agents étaient l'objet de ce type de pratiques managériales, le requérant ne pouvant dès lors se prévaloir d'une intention spécifique de lui nuire. Mais la Cour écarte l'objection en rappelant que l'intention de nuire n'est pas une condition constitutive du harcèlement moral.

Enfin la Cour relève que le requérant a été poussé au départ par ce comportement harcelant de sa cheffe, dont il avait pourtant signalé la teneur en temps utile à l'administration, et qu'à défaut de succès des candidatures proches de son domicile, il a dû se résoudre à muter dans un établissement éloigné, ce qui lui a occasionné d'importants temps de trajet avec les préjudices liés (fatigue, frais de transport, perturbation de la vie familiale, etc.).

Ici, la Cour administrative d'appel de Nancy a fait application d'une jurisprudence récente du Conseil d'Etat, selon laquelle "Si la circonstance qu'un agent a subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement moral ne saurait légalement justifier que lui soit imposée une mesure relative à son affectation, à sa mutation ou à son détachement, elles ne font pas obstacle à ce que l'administration prenne, à l'égard de cet agent, dans son intérêt ou dans l'intérêt du service, une telle mesure si aucune autre mesure relevant de sa compétence, prise notamment à l'égard des auteurs des agissements en cause, n'est de nature à atteindre le même but" (19 décembre 2019).

Cette jurisprudence interdit de muter ou réaffecter l'agent harcelé, sauf à démontrer qu'aucune mesure n'a pu être prise contre le harceleur. En filigrane, le Conseil d'Etat pose le principe de la protection de la victime du harcèlement, sachant que bien souvent, celle-ci subit une "double-peine" : en plus de la souffrance liée au harcèlement, elle subit la perte de sa situation professionnelle.

Ici, la Cour administrative d'appel de Nancy, reconnaissant que la maison d'enfants n'a aucunement justifié des mesures qui auraient pu être prises contre le harceleur pour éviter le départ du harcelé, condamne l'administration à indemniser la victime en raison des préjudices liés à une mutation forcée en dehors de l'établissement.