L'équilibre entre la protection de l'intérêt social (exigée par le droit des sociétés) et la protection du dirigeant vulnérable (exigée par le droit des majeurs protégés) est difficile.

En effet, la compatibilité du statut de dirigeant social avec la mesure de protection est consacrée par la jurisprudence de la Cour de cassation, qui n’admet par ailleurs pas que la personne protégée soit assistée ou représentée dans l’exercice de ses fonctions (1).

Le tuteur – représentant le majeur protégé - a pour mission d'assurer la protection des intérêts de ce dernier et non la protection de l'intérêt d'une personne morale (2).

Il a également été jugé que le curateur d’une personne protégée à qui a été dévolue la fonction de gérant d’une SCI n’est pas investi du pouvoir d’assister la société (3).

Le tuteur n'a pas le pouvoir d'engager la société au nom du gérant placé sous tutelle (4).

Cet état du droit est source d’inquiétude quant à la préservation de l’intérêt social, mais aussi pour le dirigeant vulnérable lui-même en raison de la responsabilité à laquelle il se trouve ainsi exposé (5).

L’Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations paraît toutefois apporter une réponse à cette difficulté, puisque figure désormais dans le Code civil un paragraphe consacré à la représentation (articles 1153 à 1161), et en particulier l’article 1160 qui dispose que « les pouvoirs du représentant cessent s’il est atteint d’une incapacité ou frappé d’une interdiction ».

Il s’en suit que si le dirigeant est frappé d’incapacité (placé sous le régime de protection curatelle, curatelle renforcée, tutelle ou sous mandat de protection future), ses pouvoirs cessent de plein droit.

« S’agissant de cette société civile immobilière, il est indéniable que des actions sont à entreprendre au nom de la personne protégée (co-gérante), ne serait-ce que pour tirer les conséquences du placement sous tutelle incompatible avec des fonctions de cogérante » (6).

Lorsque la société est privée d'un organe de direction frappé d'incapacité, il convient alors de procéder au remplacement de ce dirigeant.

L'assemblée des associés doit alors être convoquée pour remplacer le dirigeant démissionnaire ou révoqué.

Cette révocation devra être prononcée par voie de justice, lorsque le dirigeant frappé d'incapacité est associé unique ou associé majoritaire de la société et qu'il ne souhaite pas démissionner de ses fonctions.

L’ordonnance n°2019-744 du 19 juillet 2019 est également venue compléter plusieurs articles du Code de commerce afin que les dirigeants de sociétés anonymes (administrateur, président du conseil d'administration, directeur général, directeur général délégué, membre du directoire ou directeur général unique, membre du conseil de surveillance) soient réputés démissionnaires d'office, lorsqu'ils sont placés sous tutelle (C. com. art. L.225-19, L. 225-48, L. 225-60, L. 225-70).

Quant au gérant unique d'une SARL placé sous tutelle, sa révocation intervient sur décision des associés (C. com. art. L. 223-27, al. 8).

Sauf stipulation contraire des statuts, la décision de révocation d’un gérant minoritaire associé d’une SARL, lorsqu’elle ne comporte que deux associés, peut résulter du seul vote de l’associé possédant plus de la moitié des parts sociales (7).

En conclusion, prudence et vigilance s’imposent aux organes de la tutelle.

L’ouverture d’une mesure de protection à l’égard d’un dirigeant de société place inévitablement le tuteur ou le curateur face à des difficultés d’ordre juridique et pratique dont la solution ne relève pas directement de leur domaine d’action.

Aux termes de l’article 496 du Code civil, le tuteur ou le curateur est tenu d’apporter dans la gestion du patrimoine du majeur protégé « des soins prudents, diligents et avisés, dans le seul intérêt de la personne protégée ».

Ainsi, commet une faute de nature à engager sa responsabilité le curateur qui n’entreprend pas les démarches aux fins de désignation d’un administrateur provisoire, le majeur protégé gérant une société (8).


Claudia CANINI

Avocat - Droit des majeurs protégés

www.canini-avocat.com 


1. Cass. Com. 29 septembre 2009, n°08-15125

2. Civ. 1re, 12 juill. 2012, no 11-13.161

3. Civ. 2e, 7 avr. 2016, no 15-12.739

4. Cass. Civ. 3ème 17 oct. 2019 - n°18-16.823

5. Annexes au rapport de mission interministérielle L’ÉVOLUTION DE LA PROTECTION JURIDIQUE DES PERSONNES, Anne Caron Déglise, Avocate générale à la Cour de cassation

6. CA TOULOUSE, Ch. Protection Juridique des Majeurs, 03 mai 2016

7. Cass. Com., 31 mars 2021, n°19-12.057

8. CA Paris, 5 déc. 2013, no 09/10986.