La découverte de moisissures dans les pièces d'un appartement ou d'une maison soulève régulièrement la délicate question de savoir si ces désordres constituent un vice caché au sens des articles 1641 et suivants du Code civil. Les demandes en garantie formées par l’acquéreur à l’encontre du vendeur suscitent alors un débat nourri devant les juridictions, notamment lorsque ce dernier oppose des clauses d’exclusion de garantie, ou avance que l’absence de VMC (Ventilation Mécanique Contrôlée) était mentionnée, par exemple dans le DPE (Diagnostic de Performance Énergétique). Il convient d’étudier successivement (I) la définition et les conditions du vice caché, (II) le rôle et l’efficacité des clauses de non-garantie et (III) les arguments classiques du vendeur pour échapper à la garantie, à la lumière de la jurisprudence récente.
I. La qualification de vice caché : définition et conditions
1. Le cadre légal : articles 1641 et suivants du Code civil
Aux termes de l’article 1641 du Code civil,
« Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus. »
Le vice doit donc :
- Être caché, c’est-à-dire non apparent au moment de la vente et non décelable par un examen normal de l’acquéreur ;
- Exister antérieurement à la vente (ou au moins à l’état de germe) ;
- Rendre le bien impropre à son usage ou en diminuer sensiblement l’usage.
Dans le cas particulier des moisissures, les juridictions vérifient si l’acquéreur pouvait raisonnablement les déceler avant la signature (ou soupçonner une humidité latente), et si ces moisissures sont suffisamment graves pour rendre le logement impropre à l’habitation ou en dégrader significativement l’usage.
2. Les spécificités liées aux moisissures
La jurisprudence rappelle régulièrement qu’une présence généralisée de moisissures peut être considérée comme un vice rendant le bien inhabitable, ou pouvant faire obstacle à la location du logement (notamment lorsque l’acquéreur avait pour projet d’exploiter le bien en location). Toutefois, plusieurs décisions récentes soulignent qu’il n’y a pas vice caché si :
- Les moisissures trouvent leur origine dans un défaut d’aération manifeste (occupants trop nombreux, manque d’ouverture des fenêtres, etc.) et non dans la structure du bien.
- L’acquéreur pouvait facilement constater l’humidité ou l’absence de VMC lors des visites.
Ainsi, si le problème d’humidité résulte essentiellement d’un usage fautif de l’acquéreur ou de ses locataires (sur-occupation, mauvaise ventilation volontaire), la reconnaissance d’un vice caché sera écartée.
II. L’articulation avec les clauses de non-garantie et la nécessité de prouver la connaissance du vendeur
1. La clause d’exclusion de garantie des vices cachés
Il est fréquent que l’acte de vente comporte une clause de style excluant la garantie des vices cachés. Cette clause n’a d’effet que si le vendeur est non-professionnel et de bonne foi :
- L’article 1643 du Code civil rappelle que le vendeur demeure tenu à la garantie quand bien même il ne connaissait pas le vice, sauf s’il a stipulé qu’il n’y sera obligé à aucune garantie.
- Toutefois, la clause tombe si le vendeur est professionnel de la construction ou de l’immobilier, ou s’il est prouvé qu’il connaissait le vice (dol ou réticence dolosive).
En pratique, les juridictions demandent à l’acquéreur de prouver que le vendeur avait effectivement conscience de l’ampleur ou de la gravité de l’humidité (par exemple, via un historique de travaux, des correspondances, ou des témoignages attestant que le vendeur avait déjà constaté des champignons). À défaut, la clause de non-garantie demeure opposable et prive l’acquéreur de toute action en garantie des vices cachés.
2. Illustration jurisprudentielle
-
Cour d’appel de Bordeaux, 2 novembre 2023 (n° 20/03291)
La cour a débouté l’acquéreur de ses demandes en garantie des vices cachés dès lors que les vendeurs non-professionnels n’avaient pas connaissance de désordres particuliers, que l’acquéreur avait pu constater l’état du bien (et notamment l’absence de ventilation mécanique) dès la visite, et qu’une clause de non-garantie était insérée dans l’acte. Les juges ont relevé que l’expert n’avait pas démontré la mauvaise foi des vendeurs, ni prouvé que l’humidité rendait le bien impropre à sa destination. -
Cour d’appel de Metz, 28 mars 2023 (n° 21/01301)
Là encore, la juridiction admet qu’une clause d’exclusion de garantie protège le vendeur non-professionnel en l’absence de preuve de la connaissance préalable du vice. L’acquéreur s’était plaint de moisissures apparues peu après la prise de possession. L’expertise a cependant attribué le phénomène principalement à la condensation liée à une mauvaise aération, et la cour a souligné que l’acquéreur n’avait pas établi que le vendeur savait, avant la vente, qu’une ventilation non conforme provoquerait à coup sûr l’apparition de moisissures. -
Cour d’appel de Nancy, 11 février 2014 (n° 12/02547)
Les juges y rappellent de façon nette que l’acquéreur doit démontrer l’antériorité et le caractère caché du vice, ainsi que la connaissance qu’en aurait eue le vendeur ou sa qualité de professionnel. À défaut, la clause de non-garantie peut jouer.
III. Les arguments fréquemment invoqués par le vendeur pour contrer la qualification de vice caché
1. L’existence d’un diagnostic et la mention d’absence de VMC
Lorsque le DPE ou tout autre diagnostic technique (ou état des lieux avant-vente) mentionne la non-existence d’une VMC ou d’un système d’extraction, certains vendeurs soutiennent que l’acquéreur ne peut se prévaloir d’un vice caché.
- En effet, le caractère « caché » disparaît si l’absence de VMC était portée à la connaissance de l’acheteur par des documents officiels, ou si l’absence d’extracteurs était objectivement visible lors de la visite du bien (bouches d’aération manquantes, etc.).
- Sur ce point, la Cour d’appel de Bordeaux (02-11-2023) a jugé que, lorsque le diagnostic ou l’acte de vente stipule clairement l’absence de VMC, l’acquéreur est réputé informé ; par conséquent, le défaut de ventilation ne saurait constituer un vice caché.
2. Le défaut d’entretien ou de vigilance de l’acquéreur
Le vendeur fait souvent valoir que les moisissures ne résultent pas d’un vice structurel du bâtiment, mais d’un usage fautif de l’acquéreur ou de ses locataires :
- Sur-occupation du logement ;
- Aération insuffisante (ou inexistante) ;
- Chauffage réduit ou inadapté.
À cet égard, la Cour d’appel de Metz (28-03-2023) a souligné que la condensation excessive, causée par l’occupation d’une petite surface par plusieurs occupants et l’absence d’aération, ne s’analyse pas en un vice caché imputable au vendeur, surtout si aucun désordre n’avait été constaté auparavant.
3. L’importance de distinguer vice caché et obligation de délivrance
Dans certains litiges, l’acquéreur tente de se prévaloir de la non-conformité (par exemple, absence de VMC alors que cela aurait été promis) pour reprocher un manquement à l’obligation de délivrance (article 1604 du Code civil). Cependant, la jurisprudence demeure exigeante : il faut prouver que le vendeur avait garanti l’existence d’une ventilation adéquate ou d’un état exempt d’humidité. À défaut, les juges refusent de sanctionner le vendeur sur le terrain de la délivrance non conforme.
Conclusion
La jurisprudence récente montre que la découverte de moisissures dans un bien immobilier n’entraîne pas mécaniquement la mise en jeu de la garantie des vices cachés. Plusieurs éléments s’avèrent déterminants :
- Caractère réellement “caché” : si l’absence de VMC ou un risque d’humidité était connu ou objectivement repérable, le vice perd ce caractère.
- Défaut de ventilation ou problème structurel ? : si le phénomène est simplement dû à une sur-occupation ou un défaut d’aération imputable à l’occupant, ce n’est pas un vice caché.
- Clause d’exclusion de garantie : dans le cas de vendeurs non-professionnels agissant de bonne foi, cette clause demeure efficace, sauf preuve par l’acquéreur de la connaissance du vice par le vendeur (dol).
- Charges de la preuve : c’est à l’acquéreur de rapporter la preuve du vice caché, de son antériorité et de la connaissance du vendeur (en cas de clause d’exclusion).
En définitive, l’apparition de moisissures peut constituer un vice caché à la condition stricte de prouver qu’elles procèdent d’un défaut structurel, existant avant la vente, restant indécelable pour l’acheteur moyen, et ignoré ou dissimulé par le vendeur. L’acheteur doit donc être particulièrement vigilant au stade des diagnostics et vérifier notamment les systèmes de ventilation ; le vendeur, quant à lui, trouvera un solide moyen de défense dans la mention explicite de l’absence de VMC dans le DPE, la clause de non-garantie et la possibilité de démontrer l’absence de toute mauvaise foi ou de tout comportement dolosif de sa part.
Références utiles :
- Code civil, art. 1641 et s. (garantie des vices cachés), art. 1604 (délivrance conforme).
- CA Bordeaux, 02-11-2023, n° 20/03291.
- CA Metz, 28-03-2023, n° 21/01301.
- CA Nancy, 11-02-2014, n° 12/02547.
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