Les écoles sont des équipements publics indispensables. Mais lorsqu’elles s’implantent à proximité immédiate d’habitations, les riverains peuvent être confrontés à des nuisances sonores répétées, à des atteintes à la tranquillité ou même à une dépréciation de leur bien immobilier. À quelles conditions ces troubles peuvent-ils ouvrir droit à réparation ? Et dans quels cas un juge administratif peut-il enjoindre à la collectivité de les faire cesser ? Une série de décisions récentes et anciennes permet de cerner la méthode d’analyse du juge administratif.
I. La méthode du juge : entre normalité des sujétions et gravité du trouble
Le juge administratif fait une lecture exigeante du principe selon lequel les équipements publics peuvent causer certains désagréments que les riverains doivent normalement supporter. Ce n’est qu’en cas de trouble anormal du voisinage, ou dans certains cas de carence fautive de l’administration, qu’une indemnisation peut être obtenue.
1.1. En matière de responsabilité sans faute : une exigence d’"anormalité" du préjudice
La jurisprudence constante (CE, 28 févr. 1947, Cie générale des eaux ; CE, 17 mai 1974, Malaterre, n° 84391) impose la démonstration d’un préjudice anormal et spécial. Le juge apprécie notamment :
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La nature du trouble (bruit, éblouissement, dépréciation) ;
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Sa durée, son intensité et sa fréquence ;
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L’ancienneté et l’affectation de la zone (zone urbanisable vs zone résidentielle) ;
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Les mesures prises ou non par la collectivité pour y remédier.
1.2. En cas de faute ou comment invoquer la carence du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police ?
Lorsque la nuisance provient d’un tiers (par exemple une école privée), l’action peut viser la commune si le maire a négligé d’agir dans le cadre de ses pouvoirs de police (articles L. 2212-2 et L. 2512-13 CGCT). Encore faut-il démontrer une carence manifeste (absence de mise en demeure, absence de PV), ce qui est rare en pratique.
II. Une grille de lecture illustrée par la jurisprudence administrative
2.1. L’indemnisation retenue : par exemple, CE, 1974 et CAA Paris, 2024
Dans l’affaire Malaterre (CE, 17 mai 1974), le Conseil d’État reconnaît un trouble anormal causé par un chenil universitaire, situé à proximité immédiate d’un pavillon. Le caractère intensément sonore, répété, jour et nuit, a justifié une indemnisation sans qu’aucune faute ne soit exigée.
Plus récemment, dans l’affaire de l’école parisienne (CAA Paris, 10 décembre 2024), les juges relèvent que les nuisances sonores persistaient malgré une précédente condamnation et qu’aucune mesure sérieuse n’avait été mise en œuvre par la Ville. L’expert a confirmé que les cris des enfants restaient audibles à l’intérieur du logement. Le juge enjoint à la Ville de rehausser les murs de la cour et propose, à défaut, une indemnité complémentaire.
➡️ Le point commun ? Une nuisance sonore clairement caractérisée, durable, non corrigée, et localisée dans une zone d’habitation dense.
2.2. L’indemnisation refusée : par exemple, CAA Nantes, 2017 – CAA Paris, 2016
Dans ces deux décisions, le juge refuse d’indemniser les riverains d’écoles, publiques ou privées. Les motifs sont éclairants :
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Dans l’affaire Audrieu (CAA Nantes, 29 déc. 2017), l’école avait été construite en zone "1NAs", destinée à l’urbanisation et aux équipements collectifs. Les troubles (éblouissement, bruits) étaient limités et atténués par des plantations. La perte de valeur invoquée n'était pas démontrée par des actes concrets.
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Dans l’affaire Lennen School (CAA Paris, 4 oct. 2016), le maire de Paris avait agi (PV, mises en demeure) contre l’école privée. Le juge rejette toute faute et estime que le dépassement ponctuel des seuils de bruit ne suffit pas à démontrer une atteinte excessive à la tranquillité publique.
➡️ L’action est vouée à l’échec si les nuisances sont limitées dans le temps, si le plan d’urbanisme permet expressément de tels équipements, ou si la commune a engagé des actions correctives.
III. Enseignements pratiques pour les requérants
Pour espérer une décision favorable, il convient de :
✅ Constituer un dossier probant, avec constat d’huissier, relevés acoustiques, attestation de tiers ;
✅ Démontrer l’absence de mesures correctrices, ou leur inefficacité dans le temps ;
✅ Faire valoir l’ancienneté résidentielle, la destination paisible de la zone, et la gêne concrète et durable ;
✅ En présence d’un ouvrage tiers (école privée notamment), prouver la carence fautive du maire dans l’exercice de ses pouvoirs (absence de réaction malgré des plaintes répétées).
Conclusion
Les décisions étudiées montrent que le juge administratif, s’il est ouvert à l’indemnisation ou à l’injonction en cas de troubles manifestement excessifs, applique une méthode rigoureuse et exigeante. La seule proximité d’un établissement scolaire, même source de désagréments sonores, ne suffit pas à fonder une indemnisation : encore faut-il prouver l’anormalité du trouble, son caractère durable et l’insuffisance des mesures correctrices.
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