Avec l'annonce du déconfinement, prévu pour le 11 mai 2020, la plupart des entreprises se préparent à reprendre leur activité... Mais déconfinement ne signifie pas "fin du virus". Il est donc indispensable de repenser l'organisation des entreprises, afin de faire en sorte que la reprise de l'activité ne relance pas la propagation du virus. 

Quelles sont les obligations des entreprises pour protéger la santé des salariés ? Quelles mesures doivent être mises en place? Que faire si l'on s'estime insuffisamment protégé? Faisons le point... 

D'abord, un petit rappel sur le cadre juridique... 

Il pèse sur chaque employeur une obligation de sécurité (article L. 4121-1 du Code du travail) : l'employeur doit prendre toutes "les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs". A défaut, sa responsabilité (civile voire pénale) peut être engagée.

La Cour de cassation a précisé, en 2015, que l'obligation de sécurité est une obligation de moyens renforcée et non une obligation de résultat (Soc. 25 nov. 2015, n°14-24.444, dit "arrêt Air France"). Muriel PENICAUD, Ministre du travail, a d'ailleurs rappelé cela, lors de son audition par les Députés, le 22 avril 2020. Cela signifie que si l'employeur peut démontrer qu'il a mis en oeuvre toutes les mesures nécessaires à la protection de la santé et de la sécurité des salariés, il est réputé avoir satisfait à son obligation de sécurité, quand bien même un dommage se produirait. 

Autrement dit, dans les circonstances actuelles, si l'employeur met correctement en oeuvre toutes les mesures nécessaires pour protéger les salariés contre le coronavirus, il ne pourra pas voir sa responsabilité engagée, dans le cas où un salarié tomberait malade.

Mais alors, quelles mesures mettre en oeuvre pour satisfaire à l'obligation de sécurité ? 

Le 14 avril dernier, le tribunal judiciaire de Nanterre ordonnait à la société Amazon de restreindre l'activité, de ses entrepôts, à la réception et à l'expédition des seuls produits de première nécessité (alimentaire, hygiène, médical), au motif qu'elle n'avait pas pris les mesures suffisantes pour protéger ses salariés. Cela avait d'ailleurs été relevé par l'Inspection du travail quelques jours auparavant. 

La décision a été confirmée hier (24 avril 2020), par la Cour d'appel de Versailles. Amazon doit "procéder, en y associant les représentants du personnel, à l'évaluation des risques professionnels inhérents à l'épidémie de Covid-19 [...] ainsi qu'à la mise en œuvre des mesures prévues à l’article L. 4121-1 du code du travail en découlant".

De cette décision, l'on comprend qu'il apparait indispensable:

1. de mettre à jour le DUER (document unique d'évaluation des risques professionnels), pour qu'il intègre les risques liés à l'épidémie de Coronavirus;

2. de prévoir des mesures sanitaires suffisamment protectrices.

Sur ce point, la Ministre du travail a donné, lors de son audition par les Députés, des indications importantes et extrêmement précises puisqu'elle a affirmé que le respect de l'obligation de sécurité sera évalué au regard des fiches conseils établies par le Ministère du travail, pour chaque secteur d'activité*.

Autrement dit, il semblerait que la mise en oeuvre effective des mesures sanitaires, prévues dans ces guides, suffirait à exonérer l'employeur de sa responsabilité en cas de contamination d'un ou plusieurs salariés.

Quoiqu'il en soit, et comme l'a rappelé le Gouvernement, pour les activités qui le permettent, le télétravail reste la règle. 

A noter : dans les entreprises qui en sont dotées, le CSE a un véritable rôle à jouer dans la définition et le choix des mesures de protection à mettre en place. D'ailleurs, l'ordonnance du 22 avril 2020 prévoit de réduire les délais de consultation de cette instance afin de favoriser le dialogue social. 

* A noter, que 35 guides sont publiés et une trentaine d'autres sont à paraître.

En pratique, comment se traduisent ces mesures ? 

Evidemment, la première chose à faire est d'afficher dans l'entreprise un rappel des gestes barrière. 

Dans la mesure du possible, l'employeur mettra à disposition du gel hydroalcoolique, voire des masques ou autres dispositifs de protection dont il pourrait disposer.

Il est également souhaitable de limiter au maximum les déplacements, lorsqu'ils ne sont pas essentiels, ainsi que la concentration de personnes dans un même lieu: pas de pause déjeuner en commun, ni à la machine à café, réduction des réunions de travail au strict minimum et dans le respect des règles de distanciation. 

L'organisation du travail doit être repensée pour être organisée, par exemple, par équipe avec un système de roulement afin de minimiser les contacts. 

En cas de suspicion de contamination ou de contamination avérée, il faudra évidemment mettre le salarié en "quarantaine" et alerter l'ensemble des personnes qui ont pu être en contact avec lui. Il est également impératif de procéder à une désinfection des locaux. 

Pour plus d'informations sur les mesures à prendre : cliquer ici

Est-il possible d'imposer le dépistage ou la prise de température à l'entrée de l'entreprise? 

La CNIL semble s'y opposer, dans une communication du 6 mars 2020, indiquant que l'employeur doit "s'abstenir de collecter de manière systématique et généralisée des informations relatives à la recherche d'éventuels symptômes présentés par un employé".

Pourtant, certaines entreprises (comme par exemple VEOLIA) annoncent vouloir y recourir et prévoient de dépister tous les collaborateurs revenant sur le site. 

Il faut être extrêmement prudent dans le recours à ce type de méthodes, car elles pourraient porter atteinte aux libertés les plus fondamentales des salariés. Idéalement, il vaut mieux responsabiliser les salariés et leur demander de ne pas venir travailler s'ils présentent des symptômes.

Concernant le dépistage, un parallèle est possible avec les règles applicables au recours aux tests d'alcoolémie dans l'entreprise. Dans ce cas, le dépistage ne serait possible qu'à condition :

- d'être prévu par le règlement intérieur,

-  de ne pas être systématique, c'est-à-dire utilisé uniquement s'il est nécessaire et proportionné à la situation (exemple : le test d'alcoolémie ne peut concerner que les salariés occupant des fonctions qui pourraient les mettre en danger s'ils ont bu de l'alcool. Un chauffeur poids lourds par exemple.)

En l'espèce, si le dépistage pourrait apparaitre comme nécessaire et proportionné, compte tenu de l'épidémie, il est tout de même préférable de ne le mettre en place qu'en dernier recours, sur validation du CSE et après communication d'une information aux salariés. 

A NOTER: l'obligation de sécurité pèse également sur chaque salarié (article L.4122-1). Il convient donc de les responsabiliser en prévoyant que tout salarié, qui présenterait des symptômes de la maladie, ne doit pas se présenter sur son lieu de travail. 

Mise à jour du 4 mai 2020 : Le Ministère du travail a publié un protocole de déconfinement indiquant très précisément toutes les règles à respecter pour une reprise en toute sécurité. Il est à consulter ici.

Que faire si l'on s'estime insuffisamment protégé par son employeur? 

En tant que salarié, vous disposez d'un droit d'alerte et de retrait, que vous pouvez exercer lorsque vous avez un motif raisonnable de penser que vous êtes exposés à un danger grave et imminent pour votre vie ou votre santé (art. L. 4131-1 du Code du travail).

Néanmoins, le Ministère du travail indique sur son site internet que le droit de retrait vise "une situation particulière de travail et non une situation générale de pandémie".

Autrement dit, à moins que votre employeur n'ait pas mis en oeuvre de mesures de protection, il parait risqué d'user de votre droit de retrait.

En revanche, il recommandé d'alerter l'employeur ou même un représentant du personnel, par écrit, de la situation qui vous inquiète. En l'absence de réaction, et si la situation vous parait vraiment préoccupante, il conviendra d'envisager une saisine de l'inspection du travail ou des juridictions. 

En prenant rendez-vous sur la plateforme, vous pouvez bénéficier d'une première analyse de votre dossier.