La refonte du contentieux des contrats publics par le Conseil d’Etat se poursuit.

Depuis plus de dix ans, le Conseil d’Etat s’emploie à redessiner les contours de ce contentieux, et tente de faire coïncider ouverture aux tiers et sécurité juridique.

La période estivale semble particulièrement propice à ce travail.

En 2007 déjà, le Conseil d’Etat avait profité de l’accalmie de l’été pour rendre un premier arrêt fondamental, autorisant les tiers irrégulièrement évincés de l’attribution d’un contrat administratif à en contester la validité dans des conditions de délai et d’intérêt à agir relativement strictes[1].

Cette possibilité a par la suite été confirmée, précisée et étendue à d’autres tiers aux contrats par le fameux arrêt Tarn et Garonne[2].

Et c’est encore en pleine période estivale que le Conseil d’Etat vient de bouleverser une nouvelle fois le régime du contentieux des contrats publics.

Par un arrêt « SMPAT [3]», il ouvre ainsi la possibilité aux tiers à un contrat de contester les mesures d’exécution d’un contrat administratif directement devant le Juge du contrat, s’agissant tout du moins du refus d’en prononcer la résiliation.

Jusqu’à présent, seules les parties à un contrat pouvaient saisir le Juge du contrat pour en contester les mesures d’exécution.

Les tiers au contrat souhaitant voir celui-ci résilié devaient demander à la personne publique qu'elle procède à cette résiliation et, en cas de refus, saisir le Juge de l’excès de pouvoir.

L'annulation éventuelle de cette décision de refus n’entrainait pour autant pas ipso facto la résiliation du contrat. Le Juge du contrat devait encore être saisi par l'une des parties au contrat, ce qui entraînait d'évidents problèmes d'exécution.

Depuis la décision SMAPT, la situation est désormais toute autre, et les tiers au contrat peuvent directement saisir le Juge du contrat d'un refus de résiliation. Le Juge pourra alors prononcer lui-même cette résiliation :

« Considérant qu'un tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par une décision refusant de faire droit à sa demande de mettre fin à l'exécution du contrat, est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat ;»

S'il s'agit d'une ouverture indéniable au profit des tiers au contrat, le Conseil d'Etat y a apporté des conditions relativement strictes. Dans un souci de préservation de la sécurité juridique, ce nouveau recours est ainsi strictement encadré, particulièrement sur les trois points suivants :

  • L’intérêt à agir du requérant tout d'abord. A l’instar du recours en contestation de validité du contrat, le requérant doit, pour voir son action jugée recevable, démontrer qu’il est susceptible d’être lésé de manière suffisamment directe et certaine par le maintien du contrat.

La condition étant similaire, il est à prévoir que le Juge fasse preuve de la même sévérité.

La même exception existe cependant s’agissant des membres de l’organe délibérant de la   personne publique et du Préfet, qui n’ont pas à justifier d’un intérêt à agir, ou plutôt pour lesquels l’existence d’un tel intérêt constitue un présomption irréfragable.

  • Les moyens invocables ensuite sont strictement encadrés, et ne peuvent porter que sur le non-respect d’une obligation de mettre un terme au contrat en cours du fait de dispositions législatives, sur une irrégularité telle qu’elle devrait être soulevée d’office par le Juge, ou sur le fait que la poursuite de l’exécution du contrat serait contraire à l’intérêt général.

Tous les autres moyens, et notamment ceux portants sur l’irrégularité formelle de la décision de refus de résiliation, sont pour leur part inopérants.

  • Enfin, le Juge dispose d’un large pouvoir d’appréciation et, s’il peut prononcer la résiliation du contrat si les conditions précédentes sont réunies, il peut également s’abstenir ou différer cette résiliation, selon ce que lui dictent les impératifs d'intérêt général.

Cette décision poursuit donc l’œuvre de refonte et d’harmonisation du contentieux des contrats publics. Peu à peu, le contentieux de l’excès de pouvoir disparaît au profit du plein contentieux.