Trois arrêts récents rendus par la Cour de cassation le 15 juin, le 29 juin et le 14 septembre 2017 sont l’occasion de revenir sur les conditions d’application de la responsabilité civile décennale du constructeur.



Rappel

La responsabilité civile décennale, régie par les articles 1792 et suivants du Code civil, suppose la réunion de plusieurs conditions cumulatives :

  • construction d’un ouvrage au sens de ces articles (travaux immobiliers et de grande ampleur) ;
  • existence d’un dommage à l’ouvrage le rendant impropre à sa destination ou portant atteinte à sa solidité.

La notion d’ouvrage apparaît comme une notion centrale pour définir si des travaux entrent dans le champ de la responsabilité civile décennale, laquelle est couverte par une assurance obligatoire.

Face à un litige, il convient donc de s’interroger, en premier lieu, à la qualification des travaux entrepris et en second lieu, à la caractérisation du dommage les affectant.

Pour ce qui concerne les éléments d’équipement, les textes et la jurisprudence distinguent selon leur nature et selon la période de leur installation.

Ainsi, pour les éléments d’équipement installés en même temps que la construction d’un ouvrage :

  • s’ils sont indissociablement liés à l’ouvrage, ils sont également soumis à la responsabilité civile décennale (Article 1792-2 du code civil)
  • s’ils sont dissociables de l’ouvrage, ils font l’objet d’une garantie de bon fonctionnement de deux ans (Article 1792-3 du code civil)

En revanche, les éléments d’équipement dissociables installés sur un ouvrage existant relèvent de la responsabilité contractuelle de l’entrepreneur.

 

Mais

Par deux décisions du 15 juin 2017 et du 14 septembre 2017, la Cour de cassation a opéré ce qui semble être un revirement de jurisprudence.

Il résulte de ces décisions que les désordres affectant des éléments d'équipement relèvent de la responsabilité civile décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination.

Par son arrêt du 29 juin 2017, la Cour de cassation a même étendu cette solution aux éléments d’équipement inertes (non destinés à fonctionner) lesquels ne relèvent même pas de la garantie de bon fonctionnement.

Par ces décisions, pour que la responsabilité civile décennale s’applique, la Cour de cassation ne s’intéresse plus à la question de savoir si l’élément d’équipement est dissociable ou non et s’il est d’origine ou installé sur des existants.

C’est la notion d’impropriété à destination de l’ouvrage dans son ensemble qui devient centrale.

Ainsi, si la défaillance de l'élément d’équipement emporte l'impropriété à la destination de l'ouvrage dans son ensemble, il y a lieu à garantie décennale, et ce sans discussion, même s’il s’agit de menus travaux d’installation dans un ouvrage existant d’un élément d’équipement parfaitement dissociable de l’ensemble (en l’espèce, une pompe à chaleur).

 

Perspectives

Cette nouvelle interprétation est sujette à critique au regard des conséquences pratiques et économiques qu’elle peut avoir.

En effet, désormais, tous les artisans se retrouvent potentiellement soumis au risque de la responsabilité civile décennale et donc à l’obligation d’assurance qui l’accompagne.

Or, il est évident que tous les artisans, et notamment ceux qui interviennent pour de simples travaux de rénovation et d’installation d’équipement dans les ouvrages existants, n’ont pas souscrits d’assurance les couvrant au titre de cette responsabilité.

Il convient de rappeler que le défaut d’assurance est une infraction pénale qui peut également engager la responsabilité personnelle du dirigeant.

La large publicité à laquelle est destiné l’arrêt du 14 septembre et le fait que la Cour de cassation ait relevé un moyen d’office démontre qu’il s’agit bien d’un revirement

 

Si ces décisions paraissent avantageuses et protectrices des intérêts des maîtres d'ouvrage (particuliers et professionnels), elles s'avèrent aussi dangereuses pour les artisans qui doivent donc bien s'interroger et se renseigner sur le contenu des polices d'assurance souscrites.