1. L'obligation de souscrire une assurance de responsabilité civile décennale

Depuis la loi dite "Spinetta" de 1978, la responsabilité civile décennale des constructeurs est couverte par une assurance obligatoire. Cette assurance doit permettre de couvrir les dommages matériels qui engagent la responsabilité civile décennale d'un constructeur.

L'article 1792 précité dispose :

"Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère."

Cette responsabilité de plein droit, pour les désordres d'une gravité importante, n'aurait pas de sens si elle n'était pas couverte par une assurance qui permet ainsi aux victimes de pouvoir bénéficier d'un garant solvable et de ne pas se heurter à l'insolvabilité d'un constructeur en difficulté financière, voire qui n'existe plus.

Ce risque existe puisque la responsabilité civile décennale est encourue pendant les dix années qui suivent la réception. Ce délai, relativement long, est dangereux pour la personne qui a fait appel à un constructeur et qui, très rapidement, n'aura plus de contact avec lui. Il n'est jamais aisé de retrouver la personne avec qui on a contracté plusieurs années auparavant (changement de statut juridique, nom juridique, nom commercial, liquidation judiciaire, radiation, cession d'entreprises...).

Le législateur a donc souhaité protéger celui qui contracte avec un constructeur en rendant obligatoire l'assurance couvrant le risque de nature décennal.

C'est ce qui résulte de l'article L241-1 du code des assurances qui dispose :

  • "Toute personne physique ou morale, dont la responsabilité décennale peut être engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du code civil, doit être couverte par une assurance.
  • A l'ouverture de tout chantier, elle doit justifier qu'elle a souscrit un contrat d'assurance la couvrant pour cette responsabilité. Tout candidat à l'obtention d'un marché public doit être en mesure de justifier qu'il a souscrit un contrat d'assurance le couvrant pour cette responsabilité.
  • Tout contrat d'assurance souscrit en vertu du présent article est, nonobstant toute stipulation contraire, réputé comporter une clause assurant le maintien de la garantie pour la durée de la responsabilité décennale pesant sur la personne assujettie à l'obligation d'assurance."

 

 

2. La sanction du défaut de souscription

Afin de s'assurer du respect de cette obligation, le législateur a érigé la non-souscription de l'assurance obligatoire en infraction pénale.

C'est ce qui résulte de l'article L243-3 du Code des assurances :

  • "Quiconque contrevient aux dispositions des articles L. 241-1 à L. 242-1 du présent code sera puni d'un emprisonnement de six mois et d'une amende de 75 000 euros ou de l'une de ces deux peines seulement.

Toutefois, une procédure pénale contre une personne morale, aussi incommodante soit-elle, ne permet pas forcément à un particulier d'obtenir les fonds nécessaires à la réparation des dommages de nature décennale. La procédure pénale ne permet pas de pallier à l'éventuelle insolvabilité de la société non assurée.

C'est la raison pour laquelle, en application des principes du droit des sociétés, la Cour de cassation a, par une jurisprudence protectrice, offert une autre possibilité à la victime : celle d'agir directement contre le gérant.

 

 

3. Le défaut de souscription entraîne la responsabilité personnelle du gérant

L'article L223-22 du code de commerce dispose

  • " Les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion. "

La faute à l'origine de la responsabilité personnelle du gérant est qualifiée de faute détachable des fonctions par la jurisprudence et s'assimile donc :

- soit à une infraction aux dispositions législatives et règlementaires;

- soit à une violation des statuts

- soit à des fautes commises dans la gestion

C'est parce que la faute est d'une particulière gravité que la jurisprudence va considérer qu'elle se détache des fonctions de gérant et qu'elle peut être reprochée directement à la personne physique elle-même.

Cette disposition permet de rechercher la responsabilité personnelle d'un gérant de société nonobstant l'écran que forme la société entre lui et les tiers.

En application de cet article, la Cour de cassation affirme, depuis plusieurs années désormais, que le défaut de souscription d'une assurance de responsabilité civile décennale constitue une faute détachable des fonctions de gérant de société laquelle permet donc d'engager la responsabilité personnelle du gérant.

Elle l'a encore rappelé récemment :

Cour de cassation, 3e civ., 14 décembre 2017, n° 16-24.492

Qu'en statuant ainsi, alors que commet une faute séparable de ses fonctions le gérant d'une société chargée de la construction d'un ouvrage qui s'abstient intentionnellement de souscrire l'assurance prévue par l'article L. 241-1 du code des assurances, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs : Casse et annule,

La gravité de cette faute est constituée par le fait qu'il s'agisse d'une infraction aux dispositions législatives mais il faut également considérer que cela puisse constituer une faute de gestion.

Cette parade permet donc de pallier la difficulté en cas d'absence d'assurance en offrant à la victime une double voie : une action contre la société aisni qu'une action contre la personne du gérant, en espérant qu'un des deux soit suffisamment solvable pour lui permettre de récupérer les fonds nécessaires à la réparation des dommages, objectif final de la Loi Spinetta.