L’exigence d’impartialité de la Justice trouve un fondement juridique au sein de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La CEDH apprécie les conditions d’impartialité des tribunaux selon deux aspects :

  • Un aspect subjectif : les membres de la formation de jugement ont-ils une conviction ou un intérêt personnel dans l’affaire qu’ils ont à juger ?
  • Un aspect objectif : les membres de la formation de jugement offrent-ils des garanties fonctionnelles suffisantes pour exclure à leur égard tout doute légitime sur leur impartialité[1] ?

L’aspect subjectif de l’impartialité des membres de la formation de jugement apparaît plus délicat à contredire dès lors qu’il s’agit de percer leur for intérieur et de fonder les allégations tendant à démontrer qu’ils ne sont pas impartiaux.

D’ailleurs, la Cour de Strasbourg fait peser sur les membres de la formation de jugement une présomption simple d’impartialité[2].

Ainsi, la contestation de l’impartialité d’un membre de la formation de jugement repose principalement sur l’aspect objectif et fonctionnel de l’impartialité (appréciation des liens hiérarchiques avec d’autres acteurs de la procédure pendante ou d’autres membres de la juridiction, appréciation du fait que l’un membre de la formation de jugement a participé à des actes antérieurs à la procédure etc.).

La CEDH tend à imposer que soient mises en place des règles internes afin de garantir l’impartialité des membres de la formation de jugement[3].

C’est précisément ce point qui pose question dans le cadre de l’articulation entre les procédures de référé et les procédures au fond devant le juge administratif.

Dès lors, comment apprécier l’impartialité d’un membre de la formation du jugement qui est intervenu en qualité de juge des référés et inversement ?

 

L’apport du Conseil d’Etat :

Dans un avis rendu par la section du contentieux le 12 mai 2004[1], le Conseil d’Etat a considéré que l’identité entre le juge des référés et l’un des membres de la formation de jugement au fond ne méconnaissait pas le principe d’impartialité : « la seule circonstance qu'un magistrat a statué sur une demande tendant à la suspension de l'exécution d'une décision administrative n'est pas, par elle-même, de nature à faire obstacle à ce qu'il se prononce ultérieurement sur la requête en qualité de juge du principal ».

Toutefois, la position du Conseil d’Etat n’est pas aussi tranchée puisqu’il envisage l’hypothèse à l’occasion de laquelle l’identité entre le juge des référés et l’un des membres de la formation de jugement méconnaît le principe d’impartialité.

Ainsi, il y aurait méconnaissance du principe d’impartialité si le juge des référés a outrepassé son office et préjugé de l’issue du litige  pour lequel il se retrouve membre de la formation de jugement : « sous réserve du cas où il apparaîtrait, compte tenu notamment des termes mêmes de l'ordonnance, qu'allant au-delà de ce qu'implique nécessairement cet office, il aurait préjugé l'issue du litige ».

A titre d’exemple, le juge du référé suspension qui aurait statué sur la recevabilité de la requête au principal pour rejeter la requête en référé, et faisant ultérieurement partie de la formation jugeant la requête au fond, ne saurait être considéré comme présentant des garanties suffisantes d’impartialité.

En effet, il n’appartient pas au juge du référé suspension de se prononcer sur la recevabilité de la requête au principal introduite au fond ; dans ces conditions, le juge du référé suspension a outrepassé son office.

Dès lors que le juge du référé suspension a outrepassé son office et qu’il a fait ultérieurement partie de la formation de jugement au fond, il ne pouvait se prononcer sur la requête en qualité de juge du principal[2].

 

Jurisprudence casuistique du Conseil d’Etat :

Dans d’autres cas de figure particuliers, le Conseil d’Etat a pu considérer que l’identité entre le juge des référés et le juge du fond ne méconnaissait pas le principe d’impartialité, tout comme l’identité entre les juges du référé.

D’une part, il en va ainsi pour le juge du référé liberté qui a statué sur une demande et qui amené ultérieurement à statuer en qualité de juge du référé suspension sur une demande portant sur une décision, prise par la même autorité dans le cadre de la même affaire[3].

D’autre part, il en va ainsi pour le membre de la formation de jugement qui a rejeté le recours dirigé contre une décision administrative et qui se prononce en qualité de juge des référés sur la suspension de l’acte, après cassation du jugement[4]

 


[1] : CE, avis, 12 mai 2004, Commune de Rogerville, n° 265184.

[2] : CE, 30 janvier 2017, n° 394206.

[3] : CE, 13 mars 2019, n° 420514.

[4] : CE, 8 avril 2019, n° 426820.


[1] : CEDH, 1er octobre 1982, Piersack c/ Belgique, n° 8692/79.

[2] : CEDH, Grande Chambre, 15 décembre 2005, Kyprianou c/ Chypre, n° 73797/01

[3] : CEDH, 1er octobre 1982, Piersack c/ Belgique, n° 8692/79.