CE, 13 avril 2016, M. B, req. n°389798

Par un arrêt du 13 avril dernier, le Conseil d'Etat est venu rappeler les modalités d'application de L.600-1-2 du code de l'urbanisme tout en précisant les conditions dans lesquelles un voisin immédiat d'un projet de construction devait justifier de son intérêt à agir.

L’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme impose à toute personne désireuse de demander l'annulation d'un permis de construire (sauf l'Etat, les collectivités territoriales ou une association) de justifier que l'aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L.261-15 du code de la construction et de l'habitation.

Ces dispositions issues de l'Ordonnance n°2013-638 du 18 juillet 2013 ont pour objectif de restreindre les possibilités de recours des tiers à l'encontre de certaines autorisations d'urbanisme et donc, indirectement, de faciliter les projets de construction.

Par un arrêt du 10 juin 2015 (req. n°386121), le Conseil d'Etat est venu préciser la façon dont cette disposition devait être appliquée par les tribunaux en considérant notamment :

"(...) qu'il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien ; qu'il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité ; que le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci ;"

Appliquer à la situation d'un voisin immédiat d'un projet de construction, cette position avait pu donner lieu à des appréciations particulièrement restrictives de la part des juridicitions du fond, certaines considérant que  :

« (…)  les requérants [qui] soutiennent, sans plus de précision, que « l’implantation d’une construction de cette hauteur serait de nature à créer un vis-à-vis, des troubles de vue et d’ensoleillement à chacun des voisins mitoyens », soit ceux dont l’habitation est située en face et à côté du projet ; que, toutefois, ces éléments, insuffisamment précis et étayés, ne sont pas de nature à établir que la construction autorisée est susceptible d’affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de leurs biens, alors qu’il ressort du dossier de permis que le projet, d’architecture traditionnelle et d’un volume limité, comporte, sur ses parties latérales, de simples châssis translucides empêchant toute création de vues sur les maisons les plus proches ; qu’ainsi, les requérants ne justifient pas d’un intérêt pour agir et il y a lieu de rejeter leur requête par application des dispositions précitées du 4° de l’article R. 222-1 du code de justice administrative, y compris les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; » (TA Versailles, ord., 26 novembre 2015, M. et Mme D et autres, req. n°1504490)

Cette tendance semblait être confirmée par la haute juridiction dans un arrêt du 10 février 2016 aux termes duquel le Conseil d'Etat précisait :

"(...) qu'il appartient à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien ; (...)" (CE, 10 février 2016, M. et Mme B D, req. n°387507)

Par la décision présentée, le Conseil d'Etat semble assouplir cette position qui imposait aux requérants, voisins directs compris, de démontrer concrètement (et pièces à l'appui) en quoi le projet litigieux était susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien.

Dans cette affaire, le Tribunal administratif de Marseille avait rejeté la demande d’annulation d’un permis de construire formée par un voisin au motif que ce dernier ne justifiait pas de son intérêt à agir.

Dans les faits, le voisin en question invoquait dans sa demande la circonstance qu'il était occupant d'un bien immobilier situé à proximité immédiate de la parcelle d'assiette du projet, au numéro 6 de la même voie, et faisait valoir qu'il subirait nécessairement les conséquences de ce projet, s'agissant de sa vue et de son cadre de vie, ainsi que les troubles occasionnés par les travaux dans la jouissance paisible de son bien.

Par ailleurs, il avait joint à sa requête une copie du recours gracieux adressé au maire de Marseille, lequel mentionnait une hauteur de l'immeuble projeté supérieure à dix mètres et la perspective de difficultés de circulation importantes.

Le Tribunal avait estimé que ces éléments étaient insuffisants pour caractériser l'existence d'un intérêt à agir.

Le Conseil d'Etat saisi par ce voisin annule la décision rendue par le Tribunal administratif de Marseille en considérant que le juge avait inexactement qualifié les faits.

Il rappelle qu'eu égard à sa situation particulière, : "(...) le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction.(...)"

Cette décision renforce ainsi le droit au recours des voisins immédiats d'un projet de construction lequel était jusqu'alors bien mis à mal.