Il s’agit de la très sérieuse question posée par l'arrêté n°41/2016 du 9 août 2016 par lequel Fabrice Beauvois, maire de la commune de Bressolles (01), a interdit "l'implantation de Pokemon" sur le territoire de sa commune.

Cette décision, largement relayée dans la presse, va sans doute redonner un peu de vie au sempiternel débat sur l'étendue des pouvoirs de police du maire et les contours de la notion d’ordre public.

Avant qu’un juge ne soit éventuellement saisi pour apprécier la légalité d’une telle décision, il peut être intéressant de rappeler sur quels fondements juridiques un maire peut interdire une activité donnée sur le territoire de sa commune.

Tout d'abord, il est important de préciser que le maire de Bressolles n'a pas interdit le jeu Pokemon Go contrairement à ce qui a pu être relayé dans la presse mais a interdit aux sociétés éditrices du jeu (The Pokemon Compagny et Niantic) d'implanter virtuellement des Pokémons sur le territoire de sa commune.

Si en pratique cette mesure prive de tout intérêt l’utilisation de l’application à Bressolles, la nuance est ici essentielle puisque l’interdiction n’aura ni les mêmes destinataires, ni la même portée.

S’agissant à présent de la faculté reconnue au maire de règlementer certaines activités sur le territoire de sa commune, il convient également de rappeler qu’un maire peut être tenu responsable de la carence avérée dont il a fait preuve dans l’exercice de ses pouvoirs de police.

Ainsi, au-delà du « coup médiatique » joué par le maire de ce village de 900 âmes, il existe au moins une raison juridique pouvant inciter ce dernier à interdire une activité dont il pense - à tort ou à raison - qu’elle pourrait engager sa responsabilité.

1 - Sur les fondements juridiques premettant au maire d'interdire une activité sur le territoire de sa commune

Le maire dispose de larges pouvoirs de police que l’on peut classer en deux catégories : les pouvoirs de police générale et les pouvoirs de polices spéciales.

Ses pouvoirs de police générale sont prévus par les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT).

L’article L. 2212-2 énumère une liste non exhaustive des domaines composants la police municipale en précisant que celle-ci : « a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ».

C’est notamment sur le fondement de cette disposition qu’un maire doit interdire les rassemblements nocturnes qui seraient de nature à troubler la tranquillité publique (CAA Bordeaux, 29 mars 2005, X., req. n° 00BX02120).

De même, afin de garantir la sûreté et la sécurité publiques, un maire peut interdire la circulation nocturne des mineurs non accompagnés sur certains secteurs de sa commune si des circonstances locales particulières le justifient (CE, ord., 27 juillet 2001, Ville d'Étampes).

A ces composantes dites classiques, prévues par la loi, le juge administratif est venu ajouter la moralité publique (CE, 13 février 1953, Hubert de Ternay ; CE 18 déc. 1959, Société «Les films Lutétia» et Syndicat français des producteurs et exportateurs de films) et le respect de la dignité de la personne humaine.

C’est sur le fondement du respect de la dignité de la personne humaine qu’a notamment été jugée légale l’interdiction par un maire, même en l'absence de circonstances locales particulières, d’une attraction de «lancer de nain» (CE, 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge) ou encore d’un spectacle constituant lui-même une menace à l'ordre public en raison des propos pénalement répréhensibles de nature à mettre en cause la cohésion nationale et à provoquer la haine et la discrimination raciales (CE, ord., 11 janv. 2014, SARL Les productions de la plume et M. Dieudonné M'Bala M'Bala).

A côté de ces pouvoirs de police générale, le maire dispose également de pouvoirs de polices spéciales, parmi lesquels figure le pouvoir de règlementer la circulation.

Ainsi, aux termes de l’article L. 2213-1 du code général des collectivités territoriales :

« Le maire exerce la police de la circulation sur les routes nationales, les routes départementales et les voies de communication à l'intérieur des agglomérations, sous réserve des pouvoirs dévolus au représentant de l'Etat dans le département sur les routes à grande circulation. (…) »

Ce pouvoir de police spéciale ne se limite pas à la règlementation de la circulation stricto sensu mais inclus également la règlementation de certaines activités dans l’intérêt de la circulation.

Est ainsi légale l’interdiction d’un spectacle de danses folkloriques sur une place publique dès lors que ce spectacle est de nature à entraver la circulation publique (CE, 28 février 1968, Comité des fêtes et des activités culturelles de Pérouges).

De même, un maire a pu légalement interdire la distribution et la vente de journaux et de prospectus aux abords et sur les voies publiques desservant un stade eu égard à l’affluence exceptionnelle de spectateurs désirant assister à une compétition (CE, 22 juin 1984, Préfet de police de Paris c/ Sté «Le monde du tennis»).

Par ailleurs, un maire peut légalement interdire aux piétons d’emprunter certaines voies pour assurer la sécurité de la circulation.

Enfin, dans des circonstances bien particulières, le juge administratif a pu considérer qu’était légale, l'interdiction de l'activité des photographes-filmeurs le long des voies publiques, compte tenu des dangers que cette activité présente pour la circulation (CE, 13 mars 1968, Ministre de l'Intérieur c/ Époux Leroy).

2 - Les pouvoirs de police du maire à l'épreuve de la réalité virtuelle

Dans l’affaire qui nous intéresse, le maire s’est sans nul doute appuyé sur ces dispositions pour prendre son arrêté.

A la lecture de celui-ci, on constate en effet que sa décision est motivée notamment au regard :

« (…) [du] danger que constitue la recherche des personnages « Pokemon » par l’inattention des piétons et conducteurs de véhicules visionnant leur téléphone,

Considérant que cette situation peut favoriser en soirée et la nuit la constitution de groupes dont il convient de prévenir l’émergence,(…)

Considérant qu’il appartient à l’autorité municipale de prescrire toutes les mesures portant réglementation afin d’assurer le bon ordre et la tranquillité publique, (…) »

Au-delà du tollé médiatique et des simplistes comparaisons avec les législations adoptées dans certains Etats étrangers, force est de constater que le droit français permet aux maires, du moins en théorie, de réglementer une activité de jeu en réalité augmentée si elle est de nature à causer un trouble à l’ordre public ou à créer un danger pour la circulation.

En pratique, on peut toutefois demeurer sceptique sur l’accueil qui sera réservé à cet arrêté par le juge administratif (s’il devait être saisi) tant l'objet de la règlementation est ici original.

Tout d’abord, la commune devra démontrer l’existence ou le risque de troubles justifiant l’adoption d’une telle mesure.

Sur ce point, certains considérants qui figurent dans la décision ne devraient pas survivre à un recours pour excès de pouvoir alors que d’autres font échos à des interrogations légitimes largement développés par la presse et par les professionnels (notamment sur la dangerosité du jeu pour ses utilisateurs).

Il semble en effet délicat de démontrer l’existence d’un lien de causalité direct entre la mise à disposition de l’application Pokemon Go et « l’addiction dangereuse que représente ce jeu vis-à-vis des jeunes populations ».

De même, la commune devra justifier en quoi « la propagation contagieuse et anarchique du phénomène « Pokemon Go », justifie l’adoption d’une telle mesure de police.

A ce titre, il convient de souligner que le code de la route (visé à titre surabondant dans l’arrêté en question) prévoit déjà des dispositions permettant de sanctionner les troubles qui seraient causés à la circulation par les personnes placés sur les voies ou à leurs abords immédiats.

En effet, l’article R. 412-51 du code de la route dispose que :

« Le fait, pour toute personne ayant placé sur une voie ouverte à la circulation publique ou à ses abords immédiats un objet ou un dispositif de nature à apporter un trouble à la circulation, de ne pas obtempérer aux injonctions adressées, en vue de l'enlèvement dudit objet ou dispositif, par un des agents habilités à constater les contraventions en matière de circulation routière, est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe. »

L’article R. 412-52 de ce même code précise quant à lui que

« Le fait de distribuer ou faire distribuer des prospectus, tracts, écrits, images, photographies ou objets quelconques aux conducteurs ou occupants de véhicules circulant sur une voie ouverte à la circulation publique est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe. »

En supposant que l’on puisse considérer les sociétés éditrices du jeu comme les personnes visées par ces dispositions, l’existence de celles-ci suffit à remettre en question l’opportunité même de prendre un arrêté municipal interdisant l’implantation d’objet numérique le long des voies publiques.

On aurait pu en effet imaginer une simple injonction adressée aux sociétés éditrices pour leur demander de retirer les personnages virtuels qu’elles auraient pu placer le long des voies publiques.

Sur ce point, l’affaire va sans doute permettre de nourrir les discussions (très sérieuses) existantes sur les modalités de répartition géographique des Pokemon et l’attractivité des territoires.

Ensuite, il est nécessaire de rappeler que la mesure de police doit être exactement proportionnée aux intérêts en cause (CE, 19 mai 1933, Benjamin).

Au cas présent, se posera nécessairement la question de savoir si le maire n’avait pas d’autres moyens que d’interdire complètement aux sociétés éditrices de faire apparaître des Pokemon sur tout le territoire de sa commune.

Par ailleurs, la mesure de police doit être la moins contraignante possible pour prévenir efficacement le trouble.

Là encore, l’adoption d’une interdiction générale et absolue étant, en droit administratif, toujours suspecte.

Plus généralement, se pose la question de la possibilité de faire exécuter une telle mesure de police (preuves des infractions, recouvrement des contraventions auprès de sociétés domiciliés à l'étranger...)

En résumé, si rien ne semble a priori s'opposer juridiquement à l'adoption d'une règlementation limitant l'implantation de Pokemon sur le territoire d'une commune, encore faut-il que l'existence de troubles induits par la présence de ces créatures virtuelles soit rapportée et que la mesure soit efficace et proportionnée.

Quoi qu'il en soit, le contrôle éventuel de la légalité de cet arrêté par le juge admistratif aura au moins pour intérêt de remettre au goût du jour le débat sur les contours de la notion d’ordre public en la confrontant pour la toute première fois, à notre connaissance, à l’épreuve de la réalité virtuelle.