TA Marseille, 15 mars 2017,M. T, n°1604693

Par un arrêté du 15 novembre 2015, le ministre de l’intérieur a assigné à résidence M. T. sur le territoire de la commune de Septèmes-les-Vallons, lui a fait obligation de présentation quatre fois par jour à des horaires déterminés au commissariat de police du 15ème arrondissement de Marseille, tous les jours de la semaine y compris les jours fériés ou chômés, de demeurer, tous les jours entre 20 heures et 6 heures, dans les locaux où il réside à Septèmes-les-Vallons et lui a interdit de se déplacer en dehors de son lieu d’assignation à résidence sans avoir préalablement obtenu un sauf-conduit établi par le préfet de police des Bouches-du-Rhône. 

Le 26 novembre 2015, l'intéressé forme un recours gracieux contre la décision du ministre, lequel abroge l’arrêté d’assignation à résidence sans prendre de nouvelle mesure.

Le 3 juin 2016, M. T saisi le Tribunal administratif de Marseille pour demander l'indemnisation des conséquences dommageables résultant, pour lui et sa famille, de l'illégalité de la mesure d'assignation à résidence.

Il faisait valoir que les éléments mentionnés dans la note blanche des services de renseignement qui a conduit le ministre à estimer que l’activité de M. T s’avérait dangereuse pour la sécurité et l’ordre publics étaient inexacts.

L'arrêté du ministre mentionnait en effet que le requérant, ancien chauffeur au sein de d'une grande entreprise française, s’était rendu sur un site sensible (chimie pour le traitement des eaux) où il avait travaillé durant six ans "sous un prétexte fallacieux" et qu'il s’était "beaucoup intéressé aux lieux de stockage des produits sensibles et leur mise en utilisation".

Le requérant a fait valoir au soutien de ses prétentions et sans être contredit par le ministre, qu’il n’avait jamais travaillé sur le site en question mais sur une station de traitement des eaux usées où il avait exercé les fonctions d’agent de service assainissement de 2006 à 2009. Il s’est rendu une seule fois sur ce dernier site avec toutes les autorisations requises pour un motif légitime.

M. T a également précisé utilement que le signalement aux services de renseignement à l’origine de la « note blanche » émanait de la société V., son ancien employeur, avec laquelle il était en conflit judiciaire depuis plusieurs années.

De manière forte gênante, le Tribunal a cru nécessaire (ou bon) de souligner que le requérant : "fils d'un ancien combattant de l'armée française et lui-même réserviste de l'armée fait également valoir sans être contredit, et ainsi que cela ressort des différentes attestations versées au dossier, qu’il est un « musulman modéré et tolérant », peu pratiquant, et qu’il n’a aucun lien avec la mouvance islamiste radicale, ce qui n’est d’ailleurs pas même allégué par le ministre de l’intérieur qui, au demeurant (...) a abrogé le 8 décembre 2015 son arrêté d’assignation à résidence du 15 novembre 2015 sans prendre une nouvelle mesure de police à l’encontre de M. T ;".

Au regard de tous ces éléments, le juge administratif a considéré que le ministre de l'intérieur avait commis une erreur d'appréciation entachant d'illégalité son arrêté. Cette illégalité est constitutive d'une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat.

Il est en effet de principe que saisi d’une demande indemnitaire, il appartient au juge administratif d’accorder réparation des préjudices de toute nature, directs et certains, qui résultent de l’illégalité fautive entachant la mesure d’assignation à résidence.

En l'espèce, le Tribunal administratif de Marseille a considéré que la faute de l'Etat justifiait qu'il soit versé à titre d'indemnités à M. T et sa famille, la somme globale de 10 980 euros laquelle comprend les frais de déplacements rendus nécessaires par la mesure illégale, des frais d'avocats nécessaires pour obtenir l'abrogation de l'arrêté et l'indemnisation du préjudice moral de l'intéressé et des membres de sa famille.

Au regard des conséquences sur la vie des intéressés et de l'erreur grossière d'appréciation commise par l'administration, on peut en effet regretter le faible montant de l'indemnisation versée.

L'opprobre jetée sur le requérant du fait d'une mesure prise sur la dénonciation calomnieuse d'un ancien employeur méritait sans doute une indemnité plus élévée. Mais il appartient sans doute à l'intéressé de tenter de poursuivre son ancien employeur devant les juridictions compétentes. 

Toutefois, cette décision permet de démontrer que les rédacteurs des notes blanches ne font pas toujours un véritable travail de vérification des faits qu'ils évoquent. Il y a dans cette décision la démonstration exemplaire de ce que ces documents peuvent être détournés de leurs fins avec les plus graves conséquences.

Bien qu'il s'agisse d'une décision de première instance, il importe de saluer ici le "courage" dont a fait preuve le juge administratif. La Jurisprudence démontre en effet que le contrôle effectué par le juge sur la matérialité des faits mentionnés dans ces notes est faible, trop faible. Le contenu de ces notes anonymes est en effet rarement remis en question par le juge administratif alors qu'elles permettent à l'administration de prendre de manière quasi discrétionnaire des mesures particulièrement attentoires à la liberté des individus.