CE, avis, 25 mai 2018, n°417350

Le Conseil d’État est venu récemment préciser les modalités d’articulation entre la faculté qu’a le juge de l’excès de pouvoir d’enjoindre sous conditions à l’administration de délivrer une autorisation d’urbanisme irrégulièrement refusée et l’obligation faite à l’administration par l’article L. 424-3 du code de l’urbanisme d’indiquer l’intégralité des motifs justifiant la décision de rejet ou d’opposition.

Cet article dispose que :

« Lorsque la décision rejette la demande ou s'oppose à la déclaration préalable, elle doit être motivée.

Cette motivation doit indiquer l'intégralité des motifs justifiant la décision de rejet ou d'opposition, notamment l'ensemble des absences de conformité des travaux aux dispositions législatives et réglementaires mentionnées à l'article L. 421-6.

Il en est de même lorsqu'elle est assortie de prescriptions, oppose un sursis à statuer ou comporte une dérogation ou une adaptation mineure aux règles d'urbanisme applicables. »

L’obligation de faire figurer l’intégralité de motifs justifiant la décision de rejet a été insérée dans cet article par la loi n°2015-990 du 6 août (loi Macron).

Très rapidement s’est alors posée la question de l’articulation de cette nouvelle disposition avec les L. 911-1 et L.911-2 du code de justice administrative lesquels prévoient respectivement que :

« Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. » (L. 911-1 CJA)

« Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. » (L.911-2 CJA)

Sur le fondement de ces dispositions, la juridiction qui annulait un refus d’autorisation d’urbanisme pouvait uniquement enjoindre à l’administration de procéder à une nouvelle instruction de la demande d’autorisation dans un délai déterminé si elle était saisie de conclusions en ce sens (voir notamment CAA Versailles, 24 mai 2018, n°16VE02141 ; TA Caen, 5 mai 2011, n°0902568 et n°1001878).

Lors de cette nouvelle instruction, l’administration était bien évidemment libre de prendre une nouvelle décision de refus à l’encontre du pétitionnaire, l’exécution du jugement d’annulation n’impliquant « (…) pas nécessairement que cette autorité lui délivre ledit permis mais lui [faisant] seulement obligation de réexaminer la demande dans les conditions fixées par les dispositions du code de l’urbanisme ; (…) » (CAA Paris, 1e ch., 20 août 1998, n° 96PA01218).

La seule limitation à cette faculté de prendre une nouvelle décision de refus était l’autorité de la chose jugée s’attachant au jugement d’annulation, l’administration ne pouvant refuser de nouveau l’autorisation en se fondant sur l’un des motifs ayant été censurés par la juridiction.

La nouvelle rédaction de l’article L. 424-3 du code de l’urbanisme change sensiblement la donne puisque l’administration est désormais tenue, lors de l’instruction de la demande de permis de construire, de relever l’ensemble des motifs pouvant justifier une décision de rejet et de les faire figurer sur celle-ci le cas échéant.

La circonstance que l’administration soit obligée de « purger » l’intégralité des motifs de refus lors de la première instruction de la demande implique-t-elle nécessairement pour cette administration l’obligation de délivrer cette autorisation en cas d’annulation de sa décision ?

C’est ce que semble considérer le Conseil d’Etat.

Saisi d’une demande d’avis sur cette question (TA Versailles, 16 janvier 2018, n°1703192 et n°1703332), le Conseil d’Etat a en effet considéré que : « lorsque le juge annule un refus d'autorisation ou une opposition à une déclaration après avoir censuré l'ensemble des motifs que l'autorité compétente a énoncés dans sa décision conformément aux prescriptions de l'article L. 424-3 du code de l'urbanisme ainsi que, le cas échéant, les motifs qu'elle a pu invoquer en cours d'instance, il doit, s'il est saisi de conclusions à fin d'injonction, ordonner à l'autorité compétente de délivrer l'autorisation ou de prendre une décision de non-opposition. »

Le Conseil d’Etat précise qu’il n’en va autrement que s'il résulte de l'instruction soit que les dispositions en vigueur à la date de la décision annulée interdisent de l'accueillir pour un motif que l'administration n'a pas relevé, ou que, par suite d'un changement de circonstances, la situation de fait existant à la date du jugement y fait obstacle.  

Il faut relever également que cette nouvelle autorisation délivrée dans ces conditions peut être contestée par les tiers sans qu'ils puissent se voir opposer les termes du jugement ou de l'arrêt.

Par ailleurs, si la décision qui prononce l’injonction de délivrer l’autorisation est annulée en appel ou en cassation, l'autorité compétente peut la retirer dans un délai raisonnable qui ne saurait excéder trois mois à compter de la notification à l'administration de la décision juridictionnelle.

Cette faculté de retrait est prévue sous réserve que les motifs de la décision ne fassent pas par eux-mêmes obstacle à un nouveau refus de l’autorisation et doit être précédée d’une invitation adressée au pétitionnaire afin qu’il présente ses observations.

Il faut enfin souligner qu’aux termes de cette décision, le Conseil d’Etat semble considérer que L. 424-3 du code de l’urbanisme ne prive pas l’administration de la faculté d’invoquer une substitution de motifs dans le cadre du contentieux.

Si cette solution devait être confirmée, il s’agirait alors d’une dérogation qui neutraliserait complètement l’obligation désormais faite à l’administration de faire figurer tous les motifs de refus dans la décision.