La mise en cause, le lundi 13 mai 2019, de Jacques Bangou, maire de Point-à-Pitre (Guadeloupe), dans le cadre d’une procédure dite de révocation est l’occasion de revenir sur cette procédure particulière prévue par le code général des collectivités territoriales.
L’article L. 2122-16 de ce code dispose en effet que :
« Le maire et les adjoints, après avoir été entendus ou invités à fournir des explications écrites sur les faits qui leur sont reprochés, peuvent être suspendus par arrêté ministériel motivé pour une durée qui n'excède pas un mois. Ils ne peuvent être révoqués que par décret motivé pris en conseil des ministres.
Le recours contentieux exercé contre l'arrêté de suspension ou le décret de révocation est dispensé du ministère d'avocat.
La révocation emporte de plein droit l'inéligibilité aux fonctions de maire et à celles d'adjoint pendant une durée d'un an à compter du décret de révocation à moins qu'il ne soit procédé auparavant au renouvellement général des conseils municipaux. »
Ces dispositions ont pour objet de réprimer les manquements graves et répétés aux obligations qui s'attachent aux fonctions de maire et de mettre éventuellement fin à des comportements dont la particulière gravité est avérée.
La mise en œuvre récente de ces dispositions, aussi rare que remarquée, est l’occasion de revenir sur cette forme d’expression particulière du pouvoir de tutelle de l’État sur les collectivités territoriales.
Il faut tout d’abord noter que le code et la jurisprudence n’établissent aucun lien entre le type de sanction (suspension ou révocation) et la gravité des motifs retenus.
Les motifs qui permettent de prononcer l’une et l’autre de ces sanctions ont été dégagés progressivement par la jurisprudence administrative.
Ces manquements peuvent être caractérisés par des défaillances dans l’exercice des fonctions exécutives de l’élu (CE, 24 octobre 2011, n°348771 : transmission à la préfecture d’extraits certifiés conformes du registre des délibérations alors que le registre en question n’était plus tenu ; CE, 27 février 1987, n°s 78247 et 80149 : négligences graves dans la préparation et l’établissement du budget communal ainsi que dans la gestion des biens de la commune sur plusieurs années) ou par des défaillances dans les obligations qui incombent au maire en sa qualité d’agent de l’État.
Certains faits d’une particulière gravité peuvent également donner lieu à ces sanctions même s’ils sont étrangers aux fonctions (CE 12 juin 1987, n°78114 : cas d’une condamnation pénale).
La procédure est enclenchée à l’initiative de l’État. L’élu visé par la sanction doit être mis en mesure de présenter sa défense. Il doit être informé, par tout moyen, de l’intégralité des griefs qui pourraient motiver le prononcé de la sanction.
Puis il doit disposer d’un délai raisonnable pour présenter des observations écrites, observations qui devront être consignées dans le dossier qui sera transmis à l’administration centrale. Il appartient à l’État de démontrer que l’élu a bien été informé de ce droit et qu’il a pu être entendu ou présenter des observations.
Si ce droit n’a pas été respecté ou si la preuve ne peut en être rapportée, l’information est présumée n’avoir pas eu lieu et la procédure encourt l’annulation pour vice de procédure.
La décision est prise par le ministre (suspension) ou par le Président de la République et éventuellement, le Premier ministre et les ministres concernés (révocation) selon la gravité de la sanction.
L’élu concerné peut contester cette décision devant les juridictions administratives dans un délai de deux mois à compter de sa notification.
L’arrêté ministériel ou le décret doit être motivé au regard des circonstances de fait et de droit. Il ne peut se borner à viser le rapport établi par l’autorité déconcentrée au risque d’être annulé par le juge administratif (CE 29 novembre 1985, n° 68768 ; CE 3 décembre 1937, Doriot, recueil Lebon).
Le juge exerce un contrôle normal des motifs qui conduisent l’État à prendre ces sanctions (CE, 2 mars 2010, n°328843). Il peut annuler la décision pour une simple erreur d’appréciation.
Plusieurs critiques ont pu être formulées à l’égard de ce dispositif.
La première a pu porter sur la compatibilité du dispositif au regard du cadre constitutionnel « post lois de décentralisation ».
Le régime général de la révocation et de la suspension des maires et de leurs adjoints est issu de lois anciennes, des 21 mars 1833 et 4 avril 1884.
L’adoption des lois de décentralisation n’a pas rendu obsolète ce dispositif qui constitue incontestablement un instrument de contrôle de l’État sur les collectivités territoriales.
Le conseil constitutionnel considère que cette forme d’expression du pouvoir de tutelle est conciliable avec le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales et ce même si la suspension ou la révocation produit des effets sur l'ensemble des attributions du maire, en sa qualité d’élu comme d’agent de l’Etat (CC, 13 janvier 2012, Décision n°2011-210 QPC).
La deuxième critique a pu porter sur la définition du manquement donnant lieu à suspension ou à révocation.
C’est ainsi qu’au visa de l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, il a pu être reproché au dispositif le manque de précision quant aux motifs qui permettent de sanctionner l’élu notamment au regard du principe de légalité des délits et des peines, ces motifs ayant été dégagées dans leur grande majorité par la jurisprudence du Conseil d’Etat.
Le Conseil constitutionnel a considéré que s’agissant de sanction administrative ayant le caractère de punition, la définition des manquements sanctionnés par référence aux lois et règlements, ainsi qu’à « la jurisprudence constante du Conseil d’Etat » ne méconnaissait pas ce principe (CC, 13 janvier 2012, QPC n°2011-210).
Il faut également relever que dans un cas très particulier, il a été jugé par le Conseil d’Etat que l’adoption d’une mesure de suspension par le haut-commissaire de la République dans l’océan pacifique ne faisait pas obstacle à une éventuelle révocation ultérieure décidée par le premier ministre pour les mêmes faits (CE, 27 février 1981, nos 14361 et 12112).
On peut se demander dans quelle mesure cette solution, si elle devait être réitérée, n’entrera pas en conflit avec le principe général du droit non bis in idem qui fait obstacle à ce qu’une autorité inflige deux fois des sanctions pour les mêmes faits.
Giany Abbe
Avocat au barreau de Paris
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