Lorsqu’un tribunal correctionnel constate une infraction aux règles d’urbanisme, il peut, conformément aux articles L. 480-5 et suivants du Code de l’urbanisme, infliger des sanctions et ordonner la remise en état des lieux, voire la démolition. Ces injonctions sont fréquemment assorties d’une astreinte destinée à contraindre le condamné à réaliser les travaux prescrits. Cette astreinte – qui se distingue de l’astreinte civile ou de celle que prononce le juge de l’exécution (JEX) – est marquée par son caractère répressif : elle provient d’une infraction pénale au Code de l’urbanisme et vise à faire cesser ou à réparer la violation commise.

Le présent exposé s’emploie à décrire, de manière synthétique, le cadre juridique entourant l’astreinte pénale en urbanisme, ses modalités d’exécution et de recouvrement, ainsi que les voies de contestation dont dispose le redevable. Seront également évoquées les décisions judiciaires de référence illustrant la manière dont les juridictions mettent en œuvre ce mécanisme, en particulier lorsque l’exécution de la démolition rencontre des difficultés pratiques ou financières.


I. Principes fondamentaux et spécificités de l’astreinte pénale

a) fondement légal et finalité

En vertu de l’article L. 480-7 du Code de l’urbanisme, le juge pénal peut assortir son injonction de démolir ou de régulariser d’une astreinte, généralement calculée sur la base d’un montant périodique (par jour ou par semaine de retard). Cette somme, versée au Trésor public, se cumule aussi longtemps que l’ordre de la juridiction n’est pas exécuté.

Sur le plan fonctionnel, l’astreinte constitue un levier incitatif : plus la personne condamnée tarde à se conformer à la décision, plus elle s’expose à une charge financière en hausse. La mesure conserve néanmoins une coloration répressive, car elle complète la peine pénale (amende, etc.) encourue pour l’infraction d’urbanisme.

b) distinction avec l’astreinte civile

Contrairement à l’astreinte de droit civil, qui naît d’un litige privé et que le juge de l’exécution peut liquider, l’astreinte en urbanisme prend sa source dans une disposition pénale. Elle vise la protection de l’ordre public d’urbanisme. Son recouvrement, par principe, bénéficie à l’État plutôt qu’à une partie privée, même si dans certains cas, la partie civile peut obtenir que les sommes lui soient allouées.


II. Désignation du débiteur de l’astreinte et sort du bien en cas de cession

a) le « bénéficiaire » des travaux au moment de l’infraction

Le Code de l’urbanisme précise que celui qui profite effectivement des travaux non conformes (ou de l’utilisation illégale du sol) est censé devoir assumer l’astreinte et l’obligation de remettre les lieux en l’état. Cette règle permet d’éviter que l’on impose l’astreinte à un tiers qui ne serait pour rien dans la construction irrégulière.

Même lorsque le propriétaire initial revend le bien postérieurement, la condamnation demeure opposable à ce dernier s’il était l’auteur ou le bénéficiaire de l’ouvrage irrégulier. Seul celui qui a participé à la commission de l’infraction et qui a été attrait dans la procédure peut être tenu solidairement au paiement de l’astreinte.

b) jurisprudences illustratives sur le partage de la charge

Lorsque la qualité de « bénéficiaire des travaux » n’appartient plus à l’intéressé en raison d’une vente, plusieurs cours, dont la cour d’Aix-en-Provence, ont considéré que ce changement de propriétaire ne mettait pas fin à l’astreinte à l’encontre de celui qui était en tort à l’origine. En revanche, si l’acquéreur a lui-même participé à la poursuite de l’infraction et a été mis en cause, la juridiction peut étendre l’obligation de démolir et l’astreinte à son encontre.


III. Modulation du montant : dépassement du plafond et dispenses partielles

a) apports de la loi du 2 juillet 2003 : prise en compte des circonstances

Dans un esprit plus conciliateur, la loi n° 2003-590 (dite loi Urbanisme et Habitat) a donné la possibilité au juge de limiter ou d’effacer une partie de l’astreinte en fonction du comportement de la personne condamnée et des difficultés rencontrées pour satisfaire à l’injonction de démolition. Il peut ainsi prendre en considération :

  • des impératifs financiers qui ont retardé l’exécution,
  • des démarches administratives longues pour régulariser la situation,
  • des obstacles d’ordre familial ou juridique.

Les tribunaux ont, dans ce cadre, rendu diverses décisions modulant le montant final au regard des aléas subis. Ainsi, certaines juridictions (comme la cour d'appel d'Aix-en-Provence, dans plusieurs arrêts du 9 décembre et du 18 novembre 2003) ont consenti :

  • une réduction à 30 % lorsque le prévenu avait subi un accident ayant lourdement impacté ses ressources,
  • une dispense de 50 % lorsque la régularisation effective n’est intervenue qu’après cession de l’immeuble,
  • une exonération portée à 70 % en cas de complications liées à l’attribution du logement à l’ex-épouse.

Ces exemples soulignent que le condamné ne doit pas hésiter à présenter toutes les justifications nécessaires pour permettre au juge d’apprécier sa situation et son éventuelle diligence.

b) relèvement du taux maximal

Depuis la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 (dite loi ALUR), le tribunal a la possibilité, lorsque la remise en conformité n’est pas intervenue dans l’année suivant le délai imparti, de hausser plusieurs fois le niveau initial de l’astreinte. Le plafond de 500 euros par jour de retard (antérieurement bloqué à 75 euros) peut alors être dépassé, sous réserve d’une nouvelle audience publique et de réquisitions du parquet.

Cette faculté a pour but d’exercer une pression supplémentaire sur le contrevenant, afin de le dissuader de repousser indéfiniment l’exécution.


IV. Liquidation annuelle, recouvrement et remises gracieuses

a) obligation de liquider « au moins une fois par an »

La loi ALUR a introduit, dans le dispositif répressif, l’obligation de liquider périodiquement (au moins chaque année) les sommes dues au titre de l’astreinte. Cette règle évite que l’on attende plusieurs années, au risque de faire gonfler de manière démesurée la dette, laquelle devient alors difficile à recouvrir.

Un mécanisme de liquidation fréquente incite également le condamné à agir plus rapidement, puisque la créance est régulièrement exigible.

b) modalités de recouvrement et possibilités de remise

En principe, la somme revenant à l’État est recouvrée par les comptables publics. Les remises gracieuses relèvent d’une procédure particulière, combinant les dispositions du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 et ses textes modificatifs. Ainsi :

  • le trésorier-payeur général peut accorder une réduction lorsqu’elle n’excède pas un certain plafond (76 000 euros),
  • le ministre du budget est compétent au-delà de ce seuil, avec consultation d’un comité contentieux pour les montants les plus élevés.

En revanche, si l’astreinte est liquidée au profit d’une commune, ni la municipalité ni le préfet ne disposent, en leur seule qualité, du pouvoir de consentir une remise gracieuse. Il leur faut en pratique se conformer aux voies légales de recouvrement.


V. Moyens de contestation du titre exécutoire : validité et exécution

a) opposition à poursuites devant le juge de l’exécution

Le débiteur de l’astreinte peut, en premier lieu, contester la forme du titre exécutoire et sa régularité. Cette démarche, qualifiée d’« opposition à poursuites », relève de la compétence du juge de l’exécution (JEX), conformément à l’article L. 311-12-1 du Code de l’organisation judiciaire. Il s’agit essentiellement de vérifier si le titre répond aux prescriptions légales (signature, date, etc.).

b) opposition à exécution devant la juridiction répressive

Lorsque la contestation porte sur le bien-fondé de l’astreinte, son montant ou son exigibilité, la logique veut que ce soit la juridiction pénale – celle qui a prononcé la condamnation – qui demeure compétente pour examiner les griefs. On parle alors d’« opposition à exécution ». Le redevable peut faire valoir par exemple :

  • qu’il s’est exécuté partiellement et que le solde demandé est excessif,
  • que la somme réclamée n’est plus due à la suite d’une régularisation validée ou d’une décision de dispense,
  • ou encore qu’une impossibilité technique est intervenue, rendant la démolition inapplicable.

VI. Difficultés d’exécution et impossibilité matérielle

a) prise en considération des obstacles concrets

Dans certains cas, la démolition ou la mise en conformité peut se révéler complexe à réaliser (refus d’accès opposé par un occupant, aléas techniques, démarches administratives délicates, etc.). La jurisprudence admet que le juge tienne compte de ces facteurs s’ils sont sérieux et qu’ils ne relèvent pas simplement d’une négligence.

Plusieurs décisions rendues illustrent la nécessité de vérifier si l’impossibilité évoquée est réelle ou seulement invoquée pour retarder l’exécution. Dans l’hypothèse où de véritables problèmes, apparus après le jugement, empêchent l’exécution des travaux, une atténuation (ou un abandon partiel) de l’astreinte peut être décidée.

b) exemple de contrôle de la Cour de cassation

Une instance récente a montré que la juridiction du fond doit impérativement explorer les difficultés avancées par les condamnés (ex. refus des entreprises de prendre en charge des travaux dangereux, problématiques d’assurance, comportement de la partie adverse). À défaut, elle encourt la censure pour manque de base légale si elle écarte sommairement la thèse de l’impossibilité d’exécuter (V. par ex. Cour de cassation, 3e chambre civile, 6 juillet 2017, 15-23.173).


Conclusion

L’astreinte prononcée par le juge pénal en matière d’urbanisme demeure un instrument efficace destiné à faire respecter les règles de construction et d’occupation des sols. Elle se distingue par sa nature répressive, tout en conservant un but pratique d’incitation à la conformité. Les évolutions législatives (lois Urbanisme et Habitat de 2003 et ALUR de 2014) ont renforcé son efficacité, notamment en permettant un relèvement périodique de son montant et en imposant des liquidations annuelles, ce qui limite le risque d’abandon ou d’insolvabilité.

Pour autant, la loi autorise une marge d’appréciation pour modérer le montant exigé lorsque des circonstances particulières le justifient. Les personnes confrontées à ce type de sanction doivent s’assurer de bien identifier la juridiction compétente selon la nature du recours (opposition à poursuites ou à exécution) et présenter, le cas échéant, des éléments concrets sur leurs obstacles techniques et financiers.
En définitive, l’articulation entre sanctions et mesures d’aménagement invite chaque justiciable à faire valoir au plus tôt les arguments susceptibles d’éviter une accumulation financière irrécouvrable et, pour les autorités, à appliquer ces astreintes de manière efficace mais proportionnée.