Le 16 mars dernier, lors de son « Adresse aux français », le Président de la République annonçait notamment :

« S’agissant des entreprises, nous mettons en place un dispositif exceptionnel de report de charges fiscales et sociales, de soutien au report d’échéances bancaires et de garanties de l’Etat à hauteur de 300 milliards d’euros pour tous les prêts bancaires contractés auprès des banques. Pour les plus petites d’entre elles et tant que la situation durera, celles qui font face à des difficultés n’auront rien à débourser, ni pour les impôts, ni pour les cotisations sociales. Les factures d’eau, de gaz ou d’électricité ainsi que les loyers devront être suspendus. ».

 

Par ailleurs, en omettant de mentionner – involontairement ou non – les libéraux, il expliquait : « Pour les entrepreneurs, commerçants, artisans, un fonds de solidarité sera créé, abondé par l'Etat, et auquel le Premier ministre proposera aux régions aussi de contribuer. Le Gouvernement, dès demain, précisera toutes ces mesures. Elles seront en fonction des besoins, des réalités économiques, des nécessités secteur par secteur, évidemment adaptées. Nous serons au rendez-vous pour que notre économie soit préservée dans cette période si dure et pour que l'ensemble des travailleuses et des travailleurs puissent avoir cette sécurité aussi en termes de pouvoir d'achat, de continuité de leur vie. » 

 

Le lendemain, le ministre de l’économie et des finances, Monsieur Bruno le Maire, précisait seulement que le fonds de solidarité :

  • était évalué à 1 milliard d’euros par mois, soit 2 milliards d’euros au total,
  • concernerait les entreprise dont l'activité a été fermée ainsi que les très petites entreprises (dont le chiffre d'affaires serait inférieur à 1 million d'euros) et qui auraient perdu le chiffre d'affaires d’au moins 70 % (entre celui des mois de mars 2019 et mars 2020),
  • comprendrait deux « étages » : le premier, nommé « le filet sécurité pour tous », correspondant à une aide «rapide, simple, automatique sur simple déclaration » de 1 500 € versée par la Direction générale des finances publiques et, le second, dit « dispositif anti-faillites », au profit  des « entreprises qui emploient au moins un salarié et qui seraient en très grande difficulté malgré le recours à tous les autres dispositifs », lesquelles pourraient bénéficier « au cas par cas » d’un « soutien financier pour […] éviter toute faillite ».

 

Depuis lors, les indépendants - qu’ils soient commerçants, artisans, agriculteurs mais également libéraux - sont impatients de connaitre les contours du dispositif annoncé.

 

Ce matin encore, le suspense est demeuré à son comble malgré la publication de l’ordonnance n° 2020-317 « portant création d'un fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation », dont les 5 articles nous enseignent uniquement que :

  • ledit fonds sera institué pour une durée de trois mois, pouvant être prolongée de trois mois au plus,
  • il sera financé par l’Etat et, « sur une base volontaire » notamment par les collectivités territoriales,
  • son champ d’application ainsi que les conditions d’éligibilité et d’attribution des aides et leur montant… seront fixés par décret !

 

Puisque, tel que cela est martelé, nous serions en guerre sanitaire, les indépendants vont devoir s’armer de patience.

 

Cela est vrai à propos des conditions d’éligibilité au fonds de solidarité mais également à propos des suspensions de loyers souhaitées par le Président de la République le 16 mars.

 

A titre liminaire, contrairement à ce que certains ont pu (ou voulu) comprendre, il n’a jamais été évoqué le moindre effacement des créances de loyers, seuls le report et l’étalement de leur paiement ont été débattus et votés par le Parlement (cf. article 11, I, 1°, g) de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19).

 

Mais, de façon inattendue, l’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 « relative au paiement des loyers, des factures d'eau, de gaz et d'électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l'activité est affectée par la propagation de l'épidémie de covid-19 » subordonne le bénéfice des mesures qu’elle crée aux seules personnes « susceptible[s] de bénéficier du fonds de solidarité » (dont les conditions d’éligibilité ne sont pas encore définies !) ainsi qu’à « celles qui poursuivent leur activité dans le cadre d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ».  

 

Si cette ordonnance met certains indépendants et sociétés à l’abri des « pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d'astreinte, d'exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d'activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux », cette protection ne profitera qu’à certains d’entre eux et exclusivement pour les « loyers et charges locatives dont l'échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai de deux mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire ».

 

Dans l’attente de savoir s’ils sont susceptibles de bénéficier ou non du fonds de solidarité, les indépendants et sociétés doivent demeurer extrêmement prudents puisqu’un retard de paiement de loyer, même exigible durant « l'état d'urgence sanitaire », pourrait avoir les mêmes conséquences qu’habituellement.

 

Mylène Bernardon, 

Avocate à la Cour