Depuis plusieurs jours, les hôpitaux et le ministère de la santé annoncent observer une baisse du nombre d’hospitalisation et surtout de patients hospitalisés en réanimation en raison du Covid-19. Cette excellente nouvelle qui nous redonne à tous de l’espoir, à commencer par nos soignants, est relayer sur la toile via l’ensemble des réseaux sociaux.

 

C’est ainsi qu’on a pu notamment voir certains établissements de santé publier des photos et/ou des vidéos pour partager des moments de joie et d’émotion, tels que « la sortie [du premier patient], debout, du service de réanimation ».

 

Passé la réjouissance procurée par ce type de communication, déformation professionnelle oblige, ces publications ainsi que leur multiplication virale – sans mauvais jeux de mots – m’ont laissé perplexe !

 

Au regard du nombre de messages que j’ai reçus à ce sujet de la part de mes amis en blouse blanche, je n’ai manifestement pas été la seule : « Je me souviens qu’un jour tu m’avais dit que le patient ne pouvait pas autoriser son médecin à publier une photo de lui ou révéler des informations sur sa santé. Il semblerait que la Loi sur le secret professionnel ait changé ! ».

 

Noyée par toutes les dispositions dérogatoires récemment adoptées, dont certaines portent des atteintes – selon mon avis subjectif d’avocate – disproportionnées à des droits et libertés fondamentaux, aurais-je laissé passer une nouvelle exception au secret professionnel à propos des patients atteints du Covid-19 ?

 

Après vérification, il n’en existe aucune. Malgré l’état d’urgence sanitaire, le secret médical demeure intact, c’est-à-dire général et absolu.

 

Le secret professionnel, dont il n’est qu’une déclinaison, a certes vocation à protéger la personne qui s’est livrée contre le risque d’une divulgation de ses informations personnelles par le dépositaire à qui il les a confiés, mais il a surtout pour but de garantir la confiance que le professionnel doit impérativement recevoir pour pouvoir exercer correctement sa mission.

 

En effet, pour que le médecin puisse poser le bon diagnostic et prescrire le traitement adéquat, il est impératif que son patient lui dise « toute la vérité et rien que la vérité ». Or, cela n’est possible qu’à la condition que ce dernier ne craigne pas d’être trahi.

 

Comme l'écrivait Émile Garçon à la fin du XIX siècle dans son commentaire de l'article 378 du code pénal :

« le bon fonctionnement de la société veut que le malade trouve un médecin, le plaideur un défenseur, le catholique un confesseur, mais ni le médecin, ni l'avocat, ni le prêtre ne pourraient accomplir leur mission si les confidences qui leur sont faites n'étaient assurées d'un secret inviolable.

Il importe donc à l'ordre social que ces confidents nécessaires soient astreints à la discrétion et que le silence leur soit imposé sans condition ni réserve, car personne n'oserait plus s'adresser à eux si l'on pouvait craindre la divulgation du secret confié. Ce secret est donc absolu et d'ordre public. »

  

C’est pour cette raison que le code pénal comme celui de la santé publique prohibent et répriment sévèrement toutes les atteintes qui pourraient être portées au secret professionnel dans sa conception la plus large :

  • article 226-13 du code pénal : « La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. »
  • article R. 4127-4 du code de la santé publique : « Le secret professionnel institué dans l'intérêt des patients s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris. »
  • article L. 1110-4 du code de la santé publique : « I. - Toute personne prise en charge par un professionnel de santé, un établissement ou service […] a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel, de tout membre du personnel de ces établissements, services ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s'impose à tous les professionnels intervenant dans le système de santé. […] »

 

En revanche, comme tout principe, le secret médical est assorti d’exceptions, étant précisé que l’article 226-14 du code pénal comme l’article L. 1110-4 susvisé imposent qu’elles soient déterminées par la Loi :

« L'article 226-13 n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. »

 

Elles sont nombreuses et variées puisque dans certains cas le médecin a l’obligation de révéler une information médicale portée à sa connaissance tandis que dans d’autres c’est une faculté qui lui est octroyée. On citera à titre d’exemples les déclarations de naissance, de décès, de sévices sur des personnes vulnérables ou de maladies contagieuses.

 

A propos de cette dernière, consacrée aux articles L. 3113-1 et R. 3113-1 et suivants du code de la santé publique, le médecin doit obligatoirement déclarer à l’autorité sanitaire les cas de contamination à certaines maladies listées aux articles D. 3113-6 et D. 3113-7 du même code (telles que le Chikungunya, le Choléra, la Dengue, la Fièvre jaune, la Légionellose, la variole, la Peste, la Rage, la Rougeole, la Tuberculose), étant observé qu’à ce jour le Covid-19 n’y est pas mentionné. 

 

Quoi qu’il en soit, en dépit des multiples exceptions consacrées légalement, la protection du secret médical est robuste et vigoureusement garantie par toutes les juridictions, qui à ce sujet ont su accorder unanimement leur jurisprudence.

 

Une telle harmonie jurisprudentielle mérite d’être soulignée puisque, d’une part, elle est rare et, d’autre part, elle consacre une conception très large du secret, en rappelant régulièrement qu’il est « général et absolu ».

 

A cet égard, on ne citera que deux affaires, la première parce qu’elle est récente, la seconde parce qu’elle est célèbre, mais aussi pour illustrer l’appréciation commune des juges judiciaires et administratifs qui refusent que le consentement donné par un patient puisse lever le secret professionnel :

  • par un arrêt du 26 septembre 2018 (n° 407856), le Conseil d’État a jugé qu’« alors même que les patientes concernées auraient, par leur participation à ce type d'émissions ou leur consentement à l'article de presse mentionné ci-dessus, sciemment recherché la médiatisation et consenti à la révélation de leur identité, le concours apporté par [le médecin] à la divulgation de l'identité de patientes à l'occasion d'émissions ou d'articles était constitutif d'une méconnaissance des dispositions, citées ci-dessus, de l'article R. 4127-4 du code de la santé publique, qui prohibent la violation du secret médical »,
  • tout comme les juridictions judicaires avaient retiré puis interdit des ventes « le Grand Secret », le livre écrit par le Docteur Gubler (en collaboration avec le journaliste Michel Gonod) à propos du suivi médical du Président Mitterrand, lequel avait été publié huit jours après son décès, jugeant qu’il était indifférent que ce dernier ait pu consentir à l’édition de l’ouvrage.

 

Aucune des mesures d’exception prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire n’ayant tempéré ou aménagé la portée du secret médical, il demeure général et absolu : aucun patient ne peut efficacement autoriser la publication par l’équipe soignante d’une photo ou d’une vidéo permettant de l'identifier pour se réjouir de sa guérison.

 

Ainsi, les praticiens et les établissements de santé sont appelés à faire preuve de plus de retenue, même s’il est aisé de comprendre qu’ils puissent être fiers de gagner des « batailles » contre le Covid-19 dans le cadre de cette « une guerre sanitaire ».

 

Mylène Bernardon,

Avocate à la Cour