Plaidoyer pour un véritable "remodelage" des règles encadrant la médecine esthétique

Le 24 mars 2023, le ministre de l'économie a publié un guide de bonne conduite à l'attention des influenceurs et créateurs de contenu[1].

Il rappelle notamment que la promotion d'actes médicaux et chirurgicaux est "très encadrée", qu'elle est désormais autorisée[2] mais que "le médecin ne peut pas s'appuyer le témoignage d'un tiers" et que "le message ne doit être qu'informatif".

Il annonce également que la promotion de la chirurgie esthétique devrait être, à l'avenir, purement et simplement interdite et que le parlement pourrait élargir cette interdiction.

Pourtant, il est peu probable que l'encadrement et/ou l’interdiction de la promotion de cette activité en plein essor[3] permettra de faire disparaître - d’un coup de baguette magique - tous les prestataires non diplômés, qui pratiquent actuellement des actes de médecine esthétique, qu'ils ne maîtrisent pas, en causant des complications multiples et parfois graves (infections, nécroses, brûlures), sans être assurés, au point que 200 chirurgiens esthétiques aient signé une tribune, publié hier par Le Parisien, pour demander l’arrêt de la vente libre d’acide hyaluronique[4].

Comme l'a suggéré l'Académie nationale de médecine, le 4 octobre 2022[5], il serait opportun que "l'accès aux informations pour trouver un spécialiste autorisé à pratiquer la médecine esthétique soit rapidement améliorer".

Plus globalement, il devient urgent que les règles encadrant la médecine esthétique soient repensées et redéfinies, les textes de référence étant particulièrement anciens[6].

Pour mémoire, depuis que le Conseil d'Etat a radicalement fait évoluer sa jurisprudence à propos de l'épilation à la lumière pulsée, mais également au laser, le 8 novembre 2019[7], en invitant "les autorités compétentes" à "encadrer ces pratiques d’épilation par des mesures de nature à garantir […] la protection de la santé publique", et ce, "dans un délai raisonnable", aucun texte n'a été publié.

Bien que la Cour de cassation ait emboîté le pas de son homologue administratif à propos de l'épilation à la lumière pulsée (dont on sait désormais qu'elle ne relève plus des compétences exclusivement médicales[8]), le régime juridique de l'épilation au laser demeure incertain[9] et d'autres pratiques fréquemment réalisées par des prestataires non médecins (sous leur contrôle ou non) ne bénéficient pas de la même souplesse (comme la cryothérapie[10] ou la cryolipolyse et le micro-needling[11]).

Pourtant, tel que l'a considéré le Conseil d'Etat en 2019, certains actes pourraient probablement être réalisés par des professionnels qualifiés - non médecins - sans risque pour la santé, à condition que des mesures adaptées encadrent ces gestes, comme par exemple l'examen préalable du patient par un médecin et l'accomplissement des actes sous la responsabilité et la surveillance d'un médecin.

La réforme de la médecine esthétique attendue depuis le revirement de jurisprudence du Conseil d’Etat du 8 novembre 2019 devrait permettre de définir et distinguer, sans ambiguïté, ce qui est autorisé de ce qui est interdit, plutôt que de laisser les praticiens – médecins ou non – flirter dangereusement avec la ligne rouge de l’exercice illégal de la médecine ou de sa complicité.  

Elle permettrait également de sanctionner plus systématiquement et plus sévèrement les prestataires non diplômés – et non assurés – qui mettent en danger les personnes vulnérables qui leur font confiance.

Mylène Bernardon

Avocate à la Cour 

 


[1] https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/dossier-de-presse-accompagner-les-influenceurs-proteger-les-consommateurs-0

[2] Décret n° 2020-1662 du 22 décembre 2020 portant modification du code de déontologie des médecins et relatif à leur communication professionnelle

[3] L’Académie Nationale de Médecine évoque « un taux de progression annuel de 8% sur la période 2018-2023 »

[4]  « Arrêtons la vente libre d’acide hyaluronique » : le cri d’alerte des chirurgiens esthétiques, publié le 29 mars 2023 par le Parisien

[5] « Maîtriser les risques face à la croissance de la médecine esthétique », communiqué de l’Académie nationale de médecine du 4 octobre 2022

[6] Notamment l’arrêté du 6 janvier 196 fixant liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins ou pouvant être pratiqués également par des auxiliaires médicaux ou par des directeurs de laboratoires d'analyses médicales non médecins ou l’arrêté du 30 janvier 1974 réglementant les lasers à usage médical

[7] CE, 1ère et 4ème chambres réunies, 8 novembre 2019, n° 42954

[8] Cass, Crim., 31 mars 2020, n° 19-85.121, publié au Bulletin ; Cass, Crim., 20 octobre 2020, n° 19-86.718 ; Cass, 1ère Civ., 19 mai 2021, n° 20-17.779 et 19-25.749, publiés au Bulletin

[9] le dernier arrêt de la Cour de cassation à ce sujet étant antérieur au revirement de jurisprudence du Conseil d’Etat : Cass, Crim., 13 septembre 2016, n° 15-85.046 

[10] Cass, Crim., 10 mai 2022, n° 21-84.951 et 21-83.522 

[11] Cass, Crim., 31 janvier 2023, n° 22-83.399, publié au Bulletin