Aux origines de l’obligation d’assistance en mer
Étonnamment, c’est le droit français qui a organisé l’obligation de porter secours aux personnes en danger en mer. L’ordonnance de la marine de 1681 imposait à quiconque voyant des personnes en danger de naufrage de faire tout pour les secourir. De même, un devoir d’assistance est imposé aux navires publics français dès 1790.
Le Parlement britannique créera, en 1823, une société pour la sauvegarde des naufragés et de leurs biens qui deviendra la Royal National Lifeboat Institution.
L’article 12 de la Convention de Genève sur la haute mer du 29 avril 1958, prévoit l’obligation internationale de prêter assistance.
L’obligation de prêter assistance a ensuite été développée dans la Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer du 1er novembre 1974 dite Convention SOLAS (le chapitre III est dédié au sauvetage en mer et le chapitre V à la sécurité de la navigation). Ce dernier chapitre comprend les règles 10 et 15 qui rappellent les obligations pesant tant sur les navires que sur les gouvernements. Ainsi, un capitaine de navire qui reçoit une information indiquant la présence de personnes en détresse en mer est tenu de se porter « à toute vitesse » à leur secours.
Par la suite, la Convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritimes du 27 avril 1979 (dite Convention Search and Rescue ou SAR) a renforcé cette obligation à l’article 2.1.10 de ses annexes qui rappelle que « les parties s’assurent qu’une assistance est fournie à toute personne en détresse en mer. Elles le font sans tenir compte de la nationalité ou du statut de cette personne ni des circonstances dans lesquelles celle-ci a été trouvée ».
Cette obligation sera reprise à l’article 98 de la Convention des Nations unies sur le Droit de la mer du 10 décembre 1982 dite Convention de Montego Bay.
Contenu de l’obligation
La Convention de Montego Bay prévoit notamment en ses articles 17 et suivants un « droit de passage inoffensif » pour tout navire, l’article 18, § 2, précisant que ce droit de passage peut comprendre l’arrêt, dans une installation portuaire ou au mouillage dès lors que cet arrêt s’impose « par suite d’un cas de force majeure ou de détresse ou dans le but de porter secours à des personnes, des navires ou des aéronefs en danger ou en détresse ».
Pourtant, l’obligation de sauvetage ne veut pas dire que l’Etat qui intervient devra accueillir sur son sol les personnes sauvées, mais seulement les conduire « vers un lieu sûr ».
Les limites de l’obligation et le nécessité de simplifier les règles d’accueil des demandeurs d’asile et de migrants au niveau européen
Bien qu’affirmée, cette obligation n’est pas effectivement sanctionnée, et les États restent maîtres du jeu.
Ainsi, l’article 19 de la Convention de Montego Bay, précise que « le passage est inoffensif tant qu’il ne porte pas atteinte à la paix, au bon ordre ou à la sécurité de l’État côtier ». Or ces atteintes peuvent être constituées par l’« embarquement ou débarquement de marchandises, de fonds ou de personnes en contravention aux lois et règlements […] d’immigration de l’État côtier ».
En Méditerranée, les États concernés ont mis en place un Centre de coordination des secours maritimes (MRCC), qui gère le trafic maritime et gère également les sauvetages en mer.
Il convient pourtant de préciser qu’il serait souhaitable que l’obligation de sauvetage soit distinguée du sort réservé aux personnes sauvées. En effet, l’Etat ayant permis le sauvetage pourra sous sa juridiction, décider du sort des personnes sauvées, selon qu’elle sont ou pas des demandeurs d’asile par exemple.
Or la complication apparaît dans l’échec des mécanismes européens de gestion des demandeurs d’asile et des migrants. Ainsi, selon le règlement Dublin, c’est l’État qui enregistre le premier l’arrivée d’un migrant sur le sol européen qui est souvent considéré comme étant responsable de cette demande. Or très souvent, c’est sur le bateau ou au débarquement au port dit « sûr » que les empreintes sont relevées.
Une circulaire de l’Organisation maritime internationale (OMI) du 22 janvier 2009 est venue rappeler la nécessite de « veiller à ce que les opérations et procédures qui débordent le cadre de l’assistance aux personnes en détresse, telles que le contrôle et la détermination du statut de ces personnes, aient lieu après le débarquement en un lieu sûr », précisant que « la responsabilité de veiller à ce que cette coopération soit assurée incombe en premier lieu au gouvernement responsable de la zone SAR dans laquelle les personnes ont enté secourues ». Or Malte par exemple, n’est pas membre de la Convention SAR, qui ne s’applique donc pas à lui.
D’où les problèmes posés pour sauver les personnes. La crise est donc une crise de l’accueil et l’échec du règlement Dublin. Il est temps d’activer la solidarité européenne pour rendre effectif l’obligation de sauvegarde tout en préservant la souveraineté des Etat. Force est de constater que les solutions nationales ne peuvent être satisfaisantes et conduisent même à porter atteinte aux valeurs de solidarité et de partage, chères aux pères fondateurs de l’Europe.
Recherche de solutions pour contraindre les États d’assumer leur responsabilité au nom des citoyens
Que faire donc pour forcer l’Etat à respecter les conventions qu’il a signé ?
Les juridictions nationales peuvent intervenir pour forcer même en référé l’Etat à assumer sa responsabilité.
En cas de preuves d’inaction des autorités françaises, il est possible de poursuivre sur le fondement de l’article 223-6 du code pénal qui sanctionnent la non assistance à personne en danger et l'omission de porter secours à personne en péril.
Signalons aussi que la Convention de Montego Bay prévoit de régler les différends découlant de l’application de la Convention devant entre autre, le Tribunal international du droit de la mer, la Cour internationale de Justice. Mais ces procédures doivent néanmoins être engagées par un État à l’encontre de l’autre État. Ainsi, seul un engagement politique de la France, au regard de la nationalité du navire ou plus probablement de l’Espagne à l’encontre de l’Italie pourrait permettre d’obliger les États récalcitrants à respecter leurs obligations.
Enfin, la décision des États de refuser l’accès à un port sûr contrevient notamment aux dispositions de la Convention relative au statut des réfugiés du 22 avril 1954, qui pose en son article 33 le principe de non-refoulement, principe absolu également consacré par la réglementation (34 du règlement (UE) 2016/1624 du Parlement européen et du Conseil du 14 sept. 2016 relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes) et la jurisprudence européenne (CEDH 23 févr. 2012, Hirsi Jamaa et autres c. Italie, req. n° 27765/09). L’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 prévoit que toute personne soumise à la persécution a le droit de chercher asile et d’en bénéficier.
Rappelons surtout que depuis le Traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, l’Union européenne elle-même, mais aussi chacun des États membres, ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950.
Or cette Convention, si elle ne vise pas expressément le devoir des États de porter secours aux personnes en détresse en mer, précise tout de même en son article 2, § 1, que « le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi ». La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a eu l’occasion de rappeler que cette disposition faisait peser sur les États des obligations en ces termes : « la première phrase de l’article 2, § 1, astreint l’État non seulement à s’abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et irrégulière mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction » (CEDH, L.C.B. c. Royaume-Uni, 9 juin 1998, req. n° 23413/94). L’article 3 de ladite Convention, vise l’interdiction de soumettre une personne à des traitements inhumains ou dégradants, peut également être invoqué.
La Cour européenne des droits de l’homme peut être saisie par « toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui s’estime victime d’une violation de ses droits ou libertés, garantis par la Convention », soit, en l’espèce, les articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme susmentionnés.
La porte est donc ouverte pour saisir la Cour européenne des droits de l’homme sur le fondement des articles précités. Cette action sur le plan du droit aura sans doute pour mérite de provoquer le débat sur le plan juridique en insistant sur l’essentiel : aucune politique, de gauche ou de droite, ne doit permettre de bafouer les valeurs essentielles de l’Europe rappelées dans le Traité fondateur et la Charte des droits fondamentaux de l’Union : la solidarité européenne et l’interdiction de porter atteinte à la dignité des personnes ou lui faire subir des traitements inhumains.
Rappelons pour mémoire que la Cour européenne des droits de l’homme a condamné l’Espagne pour le refoulement sommaire de deux migrants au niveau de la barrière de Melilla. Pour la première fois, la Cour a désavoué les pratiques espagnoles de contrôles aux frontières, en rejetant explicitement l’idée d’une « frontière opérationnelle » où les droits protégés par la Convention ne trouveraient guère à s’appliquer (CEDH, 3 octobre 2017, N.D. et N.T. c. Espagne, req. n° 8675/15 et 8697/15).
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